[Édito] Je pleurerais sur votre sort
Si vous votez pour le RN par colère, par contestation, par dégoût pour un pouvoir qui méprise votre existence, piétine vos aspirations et trahit dès la première occasion, je pleurerais sur votre sort.
Si vous accordez au RN votre suffrage par volonté de vivre et ne plus survivre, de ne plus faire vos courses au hard-discount la calculatrice en main, de manger à votre faim et à votre envie tout le mois et toute l’année, de ne plus vous priver de viande trois jours sur quatre, d’être en capacité de vous faire plaisir de temps à autre et d’offrir des moments de joie à vos enfants ou petits-enfants, je pleurerais sur votre sort.
Si vous donnez votre voix au RN par adhésion, par conviction que la France a perdu de sa superbe, que vous n’êtes plus chez vous, que vous êtes opprimé par vos propres voisins aux us et coutumes contraires à celles qui vous sont familières, que vous ne pouvez plus sortir de chez vous sans craindre la délinquance ou la criminalité, que vous risquez chaque fois que vous vous rendez en ville de connaître l’horreur d’un attentat islamiste, je pleurerais sur votre sort.
Si vous fêtez la victoire du RN aux soirs du 30 juin et du 7 juillet, par croyance que vos difficultés s’atténueront, que vos problèmes existentiels seront derrière vous, que vous ne serez plus obligés de faire vos courses avec la calculatrice, que vous pourrez enfin vous sentir chez vous, que vous serez alors représenté par des hommes et des femmes respectables et fiables, je pleurerais sur votre sort.
Si vous applaudissez à la privatisation de médias publics, qui de toute évidence ont sous-estimé vos soucis ou tourné en dérision ce qui vous tient à cœur, si vous êtes rassuré par l’omniprésence de fonctionnaires de police nationale ou de soldats Sentinelle équipés d’armes automatiques, si vous vous réjouissez du rétablissement des peines-plancher pour les infractions concernant les stupéfiants et de l’expulsion immédiate de tous les étrangers délinquants ou fichés S, si vous pensez que vous pourrez exercer votre droit à vivre en sécurité et en sérénité, je pleurerais sur votre sort.
Si vous soutenez la restriction des droits des homosexuels, des syndicalistes, des musulmans français, des jeunes sortant des sentiers battus, des restaurateurs aux spécialités orientales, des activistes écolos ou de vos voisins aux us et coutumes différentes, si vous considérez l’austérité raciste et l’exclusion des autres comme le seul moyen d’obtenir la reconnaissance que vous méritez, je pleurerais sur votre sort.
Si vous êtes insensible aux manœuvres policières violentes, aux verdicts judiciaires expéditifs, aux décisions administratives arbitraires, à la criminalisation de l’opposition institutionnelle ou populaire, à la constitution et au déchaînement de groupes armés pour imposer par la force les nouvelles lois et les nouvelles normes, je pleurerais sur votre sort.
Si vous ne versez pas la moindre larme sur les cibles du nouveau pouvoir, si vous riez aux éclats du sort réservé à vos voisins aux cultures qui ne sont pas les vôtres, si vous devenez indifférent, brutal et impitoyable, mû par la fureur de votre vengeance aveugle, si vous y perdez vos principes, vos sentiments et votre humanité, je pleurerais sur votre sort.
Si votre révolution nationale, que vous appelez aujourd’hui de vos vœux et que vous rejoindrez sans doute demain, ne m’a pas poursuivi, traqué, enfermé, n’a pas été au bout de sa rage de me punir pour avoir commis la crime d’être journaliste d’opposition, syndicaliste fraternel, communiste convaincu et handicapé psychique, si vous n’avez pas anesthésié ma capacité à me révolter, à m’indigner ou à m’attendrir, si seulement vous ne m’avez pas privé de mon humanité, alors sans condition je l’entretiendrais comme on prend soin d’une faible flamme plus précieuse que jamais et je pleurerais sur votre sort.