Milei, le Wagner de la finance
Autoritarisme et répression, ultralibéralisme et austérité, creusement des inégalités : nous ne sommes pas en France, mais en Argentine, où nous approchons du premier anniversaire de l’élection du président d’extrême-droite Javier Milei. Ce que met en œuvre ce « Wagner de la finance » est-il l’avenir que nous concoctent Messieurs Macron, Barnier et Bardella ? Éléments de réponse.
Mi-Trump, mi-Macron
Il était apparu aux yeux du monde, la tronçonneuse à la main pour supprimer les ministères qu’il jugeait inutiles, comme une allégorie de ce que le libéralisme a produit de pire. Javier Milei, économiste et président de la République argentine depuis le 10 décembre 2023, plonge son peuple dans des tourments semblables à ceux de la dictature militaire en place de 1976 à 1983.
Le personnage est un Donald Trump dans le texte, n’hésitant pas à user de la mise en scène pour faire infuser dans son pays les thèses les plus réactionnaires. Opposition à l’avortement, soutien au port d’armes, négation du changement climatique ne sont encore que la partie émergée de cet « anarcho-capitaliste » revendiqué. A 54 ans, il a multiplié les outrances et les injures agressives à l’endroit de ses adversaires politiques pour sillonner le paysage argentin, passant d’un premier engagement public en 2020 aux plus hautes fonctions du pays trois ans plus tard.
Professionnellement, M. Milei est un économiste au service exclusif des grandes fortunes. Cadre de plusieurs institutions ultra-libérales, de la banque HSBC (Hong-Kong & Shangaï Banking Corporation qui est, comme son nom ne l’indique pas, britannique) ainsi que du Forum de Davos, où se rencontrent chaque année les grands dirigeants capitalistes de la planète, son parcours a des points communs avec celui de l’ex-banquier d’affaires Emmanuel Macron. Il a notamment été conseiller économique à partir de 1999 d’un député d’extrême-droite, Antonio Domingo Bussi, mis en cause pour crimes contre l’humanité commis sous la dictature.
Nous pouvons donc le surnommer le « Wagner de la finance », non en référence au groupe militaire privé qui sert de supplétif aux armées de Vladimir Poutine, mais en guise de parallèle au « Mozart de la finance » adulé un temps par les élites françaises qu’aura été M. Macron. Notons d’ailleurs, pour expliciter notre choix, que le grand compositeur du XIXème siècle Richard Wagner fut, bien malgré lui, admiré d’Adolf Hitler et encore aujourd’hui de certains néonazis.
Marche-pied médiatique
Comme de nombreux candidats de l’extrême-droite, généralement affublés du qualificatif « populistes » comme un euphémisme de leur caractère fasciste, Javier Milei a largement profité d’une machine médiatique argentine et mondiale dans sa prise du pouvoir. Les titres de presse, y compris numériques, d’ordinaire conservateurs, se sont montrés mi-séduits par le personnage qui cassait les codes, mi-fascinés par le basculement de société promis par son élection à la plus prestigieuse des fonctions politiques.
N’hésitant pas à exprimer sauvagement son attachement à un système capitaliste dont les grands propriétaires ont bien saisi que la démocratie bourgeoise ne suffisait plus à sa survie, « l’homme à la tronçonneuse » a fait le tour des fréquences à heures de grande écoute. Le but, comme avec le 45ème et 47ème président des Etats-Unis d’Amérique Donald Trump, est de pousser l’ensemble du débat public autour de ses prises de position, jusqu’aux moindres conversations dans les milieux populaires du quotidien argentin.
En s’imposant dans le paysage politique comme la figure centrale, malgré ses postures radicalement violentes, M. Milei a su – avec le concours des institutions libérales, notamment médiatiques – transformer le scrutin présidentiel en référendum pour ou contre sa personne, et transformer son succès électoral en plébiscite valant chèque en blanc pour l’application de sa politique, bien plus ravageuse encore que ses seules prises de position outrancières.
Leader de l’extrême-droite
En tant que président de la République argentine, Javier Milei a souhaité incarner le leadership de l’extrême-droite américaine (au sens continental du terme), orpheline des mandats de Javier Bolsonaro et Donald Trump – quand il fut élu il y a onze mois, à date de publication du présent article.
Après avoir prêté serment, M. Milei a tenu un discours non dans l’enceinte du Parlement argentin comme le veut la tradition, mais sur les marches du Congrès devant une foule venue l’acclamer. Il a fustigé une situation économique catastrophique, résumée par sa formule « il n’y a plus d’argent », avant de promettre des « mesures chocs » pour y remédier.
Sur le plan international, le nouveau chef de l’Etat argentin s’est engagé à ce que, sous sa présidence, son pays ne commerce plus avec « des communistes tels que la Chine, le Brésil et la Russie » (sic). Un mois après son élection, M. Milei a qualifié son homologue colombien Gustavo Petro de « communiste meurtrier ». Pour son premier voyage officiel en Europe, en février 2024, il a choisi Rome où l’accueille à bras ouverts la présidente du Conseil -cheffe du gouvernement italien – post-fasciste Giorgia Meloni.
En mai 2024, en qualité d’invité d’honneur du mouvement d’extrême-droite Vox à Madrid, il reprend à son compte les accusations graves de corruption contre le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez et son épouse, provoquant une crise diplomatique qui se solde par le retrait « définitif » de l’ambassadrice d’Espagne en Argentine.
Alignement sur l’impérialisme
Avant même son premier déplacement en Europe, Javier Milei s’était rendu en Israël où il a annoncé, comme Donald Trump avant lui, le déménagement de l’ambassade d’Argentine à Jérusalem, reconnaissant cette dernière comme capitale exclusive de l’État hébreu alors que les Nations-Unies considèrent toujours la partie orientale de la ville sainte comme palestinienne et illégalement occupée.
La défense inconditionnelle de la colonisation israélienne, à rebours du continent sud-américain qui y voit historiquement une continuité de l’impérialisme et de ses crimes, s’inscrit dans un alignement de l’Argentine sur les positions occidentales. Ce phénomène, observé plus tôt chez le voisin brésilien avec Jair Bolsonaro, n’a rien d’anodin à l’heure où le Sud global exerce un contrepoids grandissant face à l’hégémonie des États-Unis et de leurs alliés.
Ce que M. Milei partage avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, c’est d’abord et avant tout l’appartenance à l’extrême-droite raciste et une vision commune du monde, qui serait inconciliable entre ses différentes cultures mais devrait garantir coûte que coûte les intérêts capitalistes.
Emmanuel Macron le salue
Cette convergence des extrêmes-droites, violemment libérales d’un point de vue économique et répressives d’un point de vue civique, nationalistes et guerrières, Javier Milei entend l’incarner d’une manière nouvelle, faisant passer d’étatiste à libertarien le fascisme dans sa réintroduction au XXIème siècle.
L’anarcho-fascisme comme stade suprême du libéralisme ? Pas de quoi inquiéter, en tout cas, Emmanuel Macron qui, bien que confronté à une crise politique national de premier ordre au cœur de l’été dernier, a accueilli en grandes pompes Javier Milei à l’Élysée le 26 juillet 2024, à l’occasion d’un entretien durant lequel les deux chefs d’États se sont visiblement bien entendus.
Selon les termes du communiqué officiel de la présidence de la République française, M. Macron a « aussi salué le soutien continu de l’Argentine au peuple ukrainien » et « les deux présidents ont réitéré toute l’attention accordée à la situation au Venezuela ». Une fois de plus, la gauche populaire apparaît aux yeux de la droite libérale comme l’antagoniste à combattre en priorité, là où « le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie bourgeoise, mais son évolution par temps de crise », tel que l’écrivait Bertolt Brecht.
Répression et austérité
Sur le plan intérieur, l’élection de M. Milei, puis sa politique effective de coupes sombres et massives des crédits des services publics, ont entraîné de grandes mobilisations populaires. Ces dernières ont été sévèrement réprimées, au point de faire ressurgir chez les plus anciens manifestants le traumatisme de la dictature militaire, dont ils pensaient avoir tourné la page il y a quarante ans.
« Un exploit aux dimensions historiques à l’échelle mondiale » : c’est ainsi que Javier Milei, en avril 2024, a qualifié le premier excédent public trimestriel argentin depuis seize ans, profitant à nouveau des médias conservateurs pour reprendre ses éléments de langage. Un exploit, à quel prix ? Son programme « d’austérité draconien », selon un article assez élogieux dans Le Figaro, comprend la paralysie des travaux publics, le licenciement des fonctionnaires, la fermeture d’administrations, la réduction des subventions et le gel du budget malgré une inflation annuelle alors à 290%. « N’espérez pas une issue grâce à la dépense publique » a assumé le président d’extrême-droite.
Soupes populaires et pauvreté
Concrètement, ces restrictions budgétaires brutales se sont traduites par le délitement sans précédent des services publics et la suspension pure et simple de toute aide aux quelque 45.000 Soupes populaires du pays dès l’arrivée au pouvoir de M. Milei, qui a pris prétexte de corruptions individuelles pour éliminer un système entier de solidarité. Le 27 mai 2024, la justice a ordonné au gouvernement argentin de distribuer ses stocks d’aide alimentaire, dont des milliers de tonnes étaient retenus dans des entrepôts de l’État depuis six mois. Le porte-parole de la présidence, Manuel Adorni, a alors rétorqué que le gouvernement ferait appel de cette décision de justice qui selon lui « viole la division des pouvoirs ».
Plus récemment, le caractère terrible de la politique à l’œuvre en Argentine a pu se formaliser dans les chiffres. Le très officiel Institut national de statistiques et de recensement (Indec) du pays a noté, en septembre 2024, que le taux de pauvreté était passé de 41,7% en décembre 2023 à 52,9% au terme du premier semestre 2024. Cela faisait plus de vingt ans que l’Argentine n’avait pas enregistré un tel taux, avec une dynamique jamais observée puisqu’en six mois, ce sont 3.400.000 Argentins qui sont passés sous le seuil de pauvreté monétaire.
Une source d’inspiration pour la France
Au moment même où l’Indec révélait ces chiffres, le JDNews, nouveau-né de la galaxie médiatique de Vincent Bolloré en France, se félicitait d’avoir réalisé un entretien exclusif avec Javier Milei, que le magazine (dont le nom savamment trouvé mêle Journal du Dimanche et CNews) a élogieusement titré « Ses leçons qui pourraient inspirer la France ».
En septembre dernier toujours, M. Milei n’a pas hésité à user de son veto présidentiel – équivalent du 49.3 cher à l’exécutif macroniste – pour invalider une mesure pourtant votée au Parlement, à savoir l’alignement du budget des universités d’Argentine sur une inflation annuelle actuellement à 236%. Les enseignants du supérieur ont perdu un tiers de leur pouvoir d’achat depuis le début de l’année ; le 9 octobre 2024, l’opposition a échoué à réunir les deux tiers du Parlement nécessaires à l’invalidation du veto présidentiel.
« Ce que nous voulons, c’est moins de prélèvements obligatoires, une diminution réelle du train de vie de l’État, des incitations à la croissance par la suppression des normes, je prends l’exemple de ce qui est fait en Argentine par le président Milei avec l’image de cette tronçonneuse, et bien il faut aussi qu’on ait une tronçonneuse pour couper dans les dépenses publiques qui servent à rien en France. » Cette déclaration d’amour, énoncée sur le plateau de franceinfo le 22 octobre 2024, est signée Eric Ciotti, ancien président du parti Les Républicains (LR) devenu fidèle allié de Marine Le Pen et Jordan Bardella, qui n’exclut pas d’approuver le budget actuellement discuté à l’Assemblée nationale si ses amendements sont adoptés.
Ça arrive près de chez vous
Les coupes budgétaires défendues par le Premier ministre Michel Barnier et son gouvernement, dont le ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian qui a ouvert la porte au principe de licenciement des fonctionnaires exactement comme l’a fait le gouvernement de Javier Milei, s’inscrivent dans une logique d’austérité qui, poussée au bout, nous amène droit à ce que connaît tragiquement l’Argentine depuis dix mois.
L’ultra-libéralisme n’a pas vocation à libérer les acteurs du marché, mais simplement à supprimer les normes, les lois et le droit régulant l’explosion des grandes fortunes, freinant le creusement des inégalités et abritant des millions de personnes de la misère. Quand ces normes sont remplacées par la seule loi du plus riche, cela signifie systématiquement le glissement vers la pauvreté de toute la population qui vit de sa force de travail – face à la fraction multipropriétaire qui vit encore plus confortablement de ses rentes juteuses.
L’injustice criante de la politique économique, en Argentine, oblige le gouvernement à contenir toujours plus sévèrement les mouvements de contestation populaire par une répression féroce, à l’image de la vision du maintien de l’ordre appliquée aujourd’hui par Bruno Retailleau, héraut de la droite vendéenne, ancien poulain de Philippe De Villiers et actuel ministre de l’Intérieur français.
En somme, si la droite française poursuit son phénomène de radicalisation imposé en premier lieu par l’alliance objective entre M. Macron et Mme Le Pen, et si elle se maintient au pouvoir, un coup d’œil sur la situation argentine laisse présager de ce qui pourrait s’imposer chez nous dès demain.
Pour approfondir le sujet (sources)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Javier_Milei
https://www.humanite.fr/politique/le-billet-de-maurice-ulrich/optimiste
https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/largentine-de-milei-plonge-dans-la-pauvrete-2121979
https://blogs.mediapart.fr/carlos-schmerkin/blog/250724/macron-milei-la-france-n-oublie-pas