Jaloux

C’est un classique : face à une mise en cause des plus riches et de leur rôle prépondérant dans les injustices flagrantes de notre société, il existe un certain nombre de commentateurs pour prendre la défense des milliardaires. Systématiquement, ils accusent l’auteur de ne pas (suffisamment) travailler, d’être responsable de son supposé échec social, et surtout d’être jaloux de la réussite des plus riches. Ce serait donc la jalousie qui pousserait à critiquer la haute bourgeoisie.

Est-ce être jaloux que d’analyser froidement et rationnellement la classe capitaliste, son extorsion des richesses créées par les travailleurs, sa fonction nuisible à l’intérêt général ? En est-ce davantage d’exprimer sa colère et sa passion face aux crimes majeurs que représentent le chômage de masse, la misère grandissante, l’exploitation jusqu’à l’os des salariés, l’étau des emprunts bancaires, le pillage des ressources et la provocation de guerres impérialistes ? Ces crimes ont des responsables, des noms, des figures, que l’on les retrouve en haut des classements Forbes et Challenges.

À bien y réfléchir, ce réquisitoire salutaire pour éveiller les consciences se situe à des années-lumière de la jalousie. Ceux qui jalousent réellement les plus riches sont ceux qui cherchent à devenir comme eux, à intégrer leur classe sociale, précisément parce qu’ils sont mus par l’envie de les imiter, de connaître eux aussi une vie de jouissances et d’oisiveté. Ceux-là n’acceptent pas la critique des milliardaires, étant donné qu’ils rêvent d’en devenir, et se disent que, pour être cohérent avec eux-mêmes, ils ne peuvent accepter qu’on mette en cause la réussite des gagnants actuels, puisqu’ils n’accepteront pas qu’on mette en cause leur réussite demain.

Qui sont ces jaloux qui, en manque d’argumentation et par effet miroir, rejettent leur vice sur les subversifs qui tentent de les éveiller ? Des simples travailleurs pour la plupart, abreuvés à la propagande dominante et ses belles histoires de succès fulgurants de « partis-de-rien », dont nous
assènent jour après jour les médias et les arts bourgeois. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend de l’importance depuis l’avènement des réseaux sociaux, qui a eu la qualité de permettre à chacun, même le moins instruit, d’exprimer ses opinions par écrit, et le défaut de mettre en lumière tout ce que les classes populaires comptent de penseurs réactionnaires, incapables de toute conscience de classe, d’attachement aux intérêts de leurs semblables, qu’ils espèrent écraser pour parvenir à leur victoire individuelle. Victimes de l’ordre établi, mais défenseurs féroces de l’ordre établi.

Bien entendu, l’accusation de jalousie prête à sourire tant elle est en décalage avec la contestation rigoureuse et intransigeante du pouvoir capitaliste. Elle trouve pourtant des adeptes et des sympathisants, car il est toujours plus facile de coller avec l’idéologie dominante que de développer des concepts révolutionnaires. Le travail d’information, indépendant de toutes pressions politiques et financières, peut déjouer les préjugés conservateurs en mettant en exergue, implacablement, les contradictions, les inefficiences et les mensonges des structures capitalistes comme des individus qui les dominent. C’est le devoir qu’avec notre documentaire, « Un Pognon de Dingue », sur les inégalités de patrimoine à travers l’enquête sur la fortune d’Emmanuel Macron, nous cherchons à accomplir.

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