L’anxiété de masse, plus alimentée que jamais, aura des conséquences politiques lourdes
En procédant à la dissolution de l’Assemblée nationale, le Président Macron a fait atteindre un palier inédit au malaise psychique qui gangrène la société française.
Le climat de peur
Le climat anxiogène était d’ores et déjà nourri, de plus en plus intensément ces dernières années, par des médias dominants – comprendre : aux ordres de la classe dominante, dans un lien de dépendance et de subordination volontaire aux capitalistes propriétaires de leur entreprise ou annonceurs.
Ces médias, privés ou publics, qui ont l’influence la plus massive dans notre pays, donnent bien l’impression d’utiliser la détresse psychologique du public comme une arme pour faire monter l’audimat. Le traitement tour à tour des faits divers, de la pandémie de Covid-19, des guerres, de l’inflation ou de la politique nationale vient accentuer les peurs et les inquiétudes chez les classes populaires.
Partie immergée de l’iceberg
Le traitement médiatique ne se révèle, néanmoins, qu’être la partie émergée d’un iceberg de malaise dont l’englouti, le non-dit, remonte à plus loin, s’enracine plus profondément dans nos vies.
Quel que soit notre âge, nous nous accordons à considérer le passé comme un temps béni où l’insouciance avait droit de cité.
La perte de liens sociaux et l’individualisme, à l’heure des réseaux et outils numériques censés nous faciliter la communication, se manifestent plus que jamais. La tête constamment inclinée et le regard baissé vers l’écran de notre téléphone, nous voyons passer, en scrollant, une foule de contenus qui heurtent notre sensibilité.
Confrontée aux rires gras et virils de ceux qui tournent en dérision notre nature sensible, la grande majorité d’entre nous ressent honteusement un malaise souvent conforté par les réseaux sociaux, dans un cercle vicieux tournant, pour les plus jeunes et les plus fragiles, en tragédie.
Individualisme renforcé
À la logorrhée numérique se mêle un mutisme physique, dans lequel s’enferme une part grandissante de la population française et qui cache mal un refoulé souvent violent que l’on s’acharne à oublier.
Ces phénomènes d’individualisme et d’absence de parole libre et directe se sont brutalement renforcés lors des confinements successivement imposés pendant la crise du Covid.
S’y ajoutent la difficulté à joindre les deux bouts, à satisfaire nos besoins les plus élémentaires jusqu’à la fin du mois dans un contexte d’inflation record, et l’impossibilité d’assouvir les tentations suscitées en permanence par la publicité et le monde des influenceurs, où règne le superficiel.
Il suffit, pour ce point, de constater combien ce qui est considéré, par des millions de jeunes femmes et jeunes hommes, comme l’archétype de la beauté a glissé, ces dernières années, du charme naturel aux stéréotypes esthétiques défigurés et intoxiqués.
Tétanie collective
L’anxiété généralisée, chez un individu ou à l’échelle d’un groupe social – de la famille nucléaire (parents et enfants) jusqu’aux classes populaires – peut provoquer une tétanie. L’incapacité à se mouvoir, en l’occurrence à s’engager pour une cause claire, se fait douloureusement ressentir chez les classes exploitées et l’ensemble des personnes sensibles et capables de ressentir la souffrance d’autrui.
Or, cette tétanie populaire fait particulièrement les affaires de quelques élites économiques, politiques ou médiatiques. Le repli sur soi, jusqu’à l’individualisme et au mutisme, d’une population en souffrance permet de gommer le malaise collectif au moment même où il prend racine plus que jamais.
L’objectif de cette classe dominante est de parvenir à l’acceptation, par celles et ceux qui les subissent, de décisions arbitraires dans le monde du travail, de mesures politiques anti-populaires, de préjugés rétrogrades qui seraient prouvés par tel ou tel fait divers.
L’ordre établi, aussi injuste qu’il puisse être, se maintient dans les consciences de ses victimes devenues crispées, contractées et rigides, dans le comportement du corps comme dans la façon de raisonner.
Le coup de grâce
Factuellement, dissoudre l’Assemblée nationale le jour où l’extrême-droite fait son meilleur score depuis la Libération, à six semaines du coup d’envoi des J.O. et avec un calendrier précipité est l’ultime coup de grâce fomenté par Emmanuel Macron sur le bien-être psychique de celles et ceux qui se sentent impuissants face au cours des événements.
Le calendrier annoncé dès le soir du 9 juin par le chef de l’État, avec moins d’une semaine pour déposer les candidatures dans chacune des 577 circonscriptions et moins de 20 jours calendaires de campagne, suscite à juste titre des incertitudes et préoccupations à un niveau jamais atteint dans la vie de la plupart des citoyennes et citoyens.
La campagne elle-même, telle qu’organisée par les médias – on est loin du « débat démocratique » qu’ils sont censés garantir – et telle que menée par la Macronie en déclin n’arrange rien.
Campagne indigne
Dans la mesure où, contrairement au bloc macroniste sortant et au bloc lepéniste grimpant, le nouveau Front populaire (NFP) est la seule force politique à présenter un programme complet, détaillé, actualisé et chiffré, le débat tel qu’organisé et nourri par les principaux médias porte sur tout… sauf sur les programmes.
Chaque jour voit son lot d’accusations de trahisons et de purges, dans l’ensemble du paysage politique. La première semaine a été marquée par le psychodrame autour d’Eric Ciotti, toujours officiellement président d’un parti – Les Républicains – dont le bureau politique l’a exclu à l’unanimité. La deuxième semaine voit poindre à gauche, bien qu’elle soit parvenue à un large accord de coalition en un temps record, des divisions dont se régalent les élites.
Plus que toute autre force politique, le NFP fait face à une campagne de diffamation aberrante qui rappelle l’unanimisme bourgeois pour le « Oui » au référendum sur le Traité constitutionnel européen – scrutin tenu le 29 mai 2005 qui aboutira à une victoire écrasante du « Non » qui s’avérait, selon toutes les études politiques, un « Non » massivement anti-libéral plutôt que xénophobe.
Diffamations insensées
Là aussi, chaque jour voit de nouvelles accusations injustifiées, en un mot de calomnies, prendre le dessus sur le reste de l’actualité de la coalition de gauche. Elle a avant tout été accusée de « propager l’antisémitisme » – alors qu’aucun candidat du nouveau Front populaire n’a jamais été condamné pour incitation à la haine raciale, qui inclut dans le droit la haine des juifs, contrairement à des candidats et dirigeants du Rassemblement National (RN) ou de la prétendue « union des droites » condamnés pour ce délit grave.
Elle a ensuite été accusée de préparer la « faillite budgétaire » de la France, alors même que son programme économique, tout en restant offensif sur le partage des richesses, est équilibré et ne va pas creuser la dette et les déficits autant que ne l’a fait Monsieur Macron, proclamé « Mozart de la finance » par les ultra-riches, ces sept dernières années.
Enfin, puisqu’on parle de lui, lors de sa dernière expression publique à date de publication de cet article, devant des citoyens qu’il cherchait à effrayer, le Président de la République a accusé le nouveau Front populaire d’être « immigrationniste » et de proposer « le changement de sexe en mairie », reprenant les mots, les caricatures et les mensonges de l’extrême-droite la plus rance.
« Calomniez ! Calomniez ! Il en restera toujours quelque chose… » écrivait en 1597 le philosophe Francis Bacon, qui a influencé – excusez du peu – René Descartes et Denis Diderot.
L’inconcevable s’invite
Le dernier élément de la campagne électorale, telle qu’elle est imposée par les médias, le gouvernement sortant et le favori d’extrême-droite, n’est pas anecdotique et mérite d’être passé au crible.
Le viol à caractère antisémite d’une enfant de 12 ans qui, selon les médias dominants, « s’invite dans la campagne des législatives », constitue l’ultime pièce d’un puzzle délétère. Les faits se sont produits samedi 15 juin à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, avant d’être révélés au grand public la semaine suivante.
Ils ont très rapidement été instrumentalisés politiquement, en premier lieu par le Garde des Sceaux, qui a dénié, par un tweet mercredi 19 juin, à Jean-Luc Mélenchon le droit de condamner ce crime, avant que le même Éric Dupond-Moretti n’entame son discours, lors du rassemblement devant l’Hôtel de Ville de Paris le soir du même jour, par une nouvelle référence au dirigeant insoumis.
Remuer les tripes
Pourquoi ce ne sont pas les inondations massives, touchant des milliers de Français cette semaine, qui « s’invitent dans la campagne » selon les journaux, les radios, les chaînes télé et les sites d’info ayant pignon sur rue ? Parce que le biais cognitif induit par la médiatisation d’un fait divers, qui se trouve justement être un crime atroce, remue les tripes des citoyens.
« Informer » ou plutôt « inviter » en boucle, dans la tête des citoyennes et des citoyens, les moindres détails du viol d’une enfant fait appel à leurs peurs les plus profondes, aux traumatismes du harcèlement, de l’agression verbale voire physique, des violences sexistes et sexuelles, de la discrimination, que nous sommes si nombreuses et nombreux à avoir vécu sous une forme ou une autre.
Le fait qu’il s’agisse d’une enfant juive, contre qui ont été proférés des insultes antisémites et des menaces de mort, donne du grain à moudre à une machine médiatique, une droite macroniste et une extrême-droite lepéniste qui avaient déjà axé leur campagne contre le nouveau Front populaire sur le supposé, mais mensonger, antisémitisme de ses composantes ou de ses représentants.
L’exception qui confirme la règle
Logiquement, la violence palpable des discours politiciens et médiatiques, qui n’ont eu de cesse depuis des années d’attiser les peurs et les angoisses, affecte tout le monde ou presque.
En réalité, seuls ceux qui sont dénués de toute forme d’empathie, qui ne doutent jamais et qui en toute hypothèse ne remettent pas en question leurs certitudes, que l’on a pu nommer psychopathes, sociopathes ou pervers narcissiques à mesure que ces termes entraient dans le langage courant, ne sont pas émotionnellement affectés par les événements actuels.
On n’ose plus
Pour toutes les personnes sensibles, le désarroi grandit. De moins en moins osent dire ce qu’elles ont sur le cœur, sauf à avoir sur le cœur les idées triomphantes du rejet de l’autre, du différent, de l’étranger, de l’inconnu, de l’altérité.
On esquive le débat politique dans la plupart des milieux populaires, de peur d’alimenter cette anxiété dans nos entourages, de peur de se confronter, de peur de se déchirer davantage et de peur de se blesser.
Vents favorables au RN
Quant à l’angoisse, le malaise, plus présents que jamais, les voilà qu’ils entravent l’action individuelle sur le cours des choses, qu’ils limitent l’engagement sur le terrain et qu’ils poussent inexorablement vers l’extrême-droite.
Cette dernière, force politique démagogique qui dit au peuple ce qu’il croit vouloir entendre, n’a de cesse de vouloir défendre le retour à un passé « apaisé », de prétendre incarner l’ordre ou de se présenter comme le débouché naturel de la colère populaire, consubstantielle à la souffrance ressentie.
Nouvelle norme
Or, la prise du pouvoir législatif et exécutif par le RN provoquerait inévitablement un désordre majeur à l’intérieur même du peuple, dont les luttes intestines sur des critères identitaires et communautaires seraient attisées par un gouvernement pyromane.
Le peu d’espaces et de temps de paix que nous pouvons partager avec nos voisins, nos collègues, nos amis en vertu de notre État de droit, de nos libertés individuelles et collectives, pourraient voler en éclats sous la pression d’une logique de guerre civile instaurée par un regain de la violence, par des manœuvres policières, judiciaires et administratives expéditives et une impunité des milices nationalistes dont la fureur se déchaînerait sur la moindre différence de la nouvelle norme.
En cela, dans ses aspects répressifs et discriminatoires, l’extrême-droite marquerait non pas un changement de degré par rapport à la politique d’Emmanuel Macron, ultra-libérale sur le plan économique et autoritaire sur le plan démocratique. Nous serions, dans l’hypothèse d’une prise de pouvoir par le RN et ses dirigeants tels qu’ils sont aujourd’hui, face à un changement de nature de nos institutions, du droit français et des relations sociales, plus conflictuelles et brutales que jamais.
Face à la machine
Vous comprendrez aisément que nous ne prétendons pas, par la lecture de nos articles, améliorer votre état mental ou infuser un optimisme démesuré, mais avec celui que vous parcourez, nous essayons d’agir plutôt en lanceurs d’alerte.
Ni le couple Emmanuel Macron / Gabriel Attal, ni le couple Marine Le Pen / Jordan Bardella, ne peuvent et ne veulent réunir les conditions pour l’épanouissement psychique des Françaises et des Français. Ils ont fait tout l’inverse jusqu’à présent et si d’aventure notre pays basculait à l’extrême-droite à l’issue des scrutins du 30 juin et 7 juillet 2024, nous ne serions pas au bout de nos peines.
Les frictions à gauche entre certaines figures, dont celle inévitable de Jean-Luc Mélenchon, n’ont pas tendance à rassurer davantage. Entre les accusations infamantes et fallacieuses d’une part, et les sempiternels débats sur l’incarnation d’une personne pour l’ensemble d’un Front populaire inédit d’autre part, bien des représentants sincères de la coalition de gauche se laissent broyer par la machine politico-médiatique capitaliste plutôt que de mettre en valeur la force authentique du NFP.
Atout presque amputé
Cette force du nouveau Front populaire réside dans le rassemblement des composantes partisanes, syndicales, associatives et des nombreuses personnes qui se placent, au-delà de tout ce qui les différencie, non pas derrière un homme mais derrière une bannière, d’abord pour empêcher l’extrême-droite de parvenir à ses fins, ensuite pour rompre avec des décennies de creusement des inégalités civiques et sociales par une majorité législative et un gouvernement de Front populaire.
Le véritable atout de la coalition s’observe dans le programme de gouvernement sur lequel le NFP s’est mis d’accord par un contrat de législature. Logiquement, le débat médiatique ne portant pas sur les programmes, comme nous l’avons constaté, cette force et cet atout sont pratiquement amputés. Et pourtant, le seul moyen de relever le niveau du débat se trouve ici.
Un programme pour s’attaquer à la détresse
Le contrat de législature comprend justement l’accroissement des moyens affectés à notre système de santé, par une hausse des recettes de la Sécurité sociale notamment, afin que la psychiatrie cesse d’être le parent pauvre du domaine médical.
La prévention figure également en bonne place dans le programme, avec dès l’école une médecine renforcée, y compris en psychologues scolaires.
Le nouveau Front populaire promet par ailleurs une amélioration des conditions d’existence des personnes les plus affectées, ne serait-ce que l’alignement du montant de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) sur celui du SMIC dès la fin de l’été 2024.
Aujourd’hui en France, 12 millions de personnes sont en situation de handicap ; parmi elles, 80% sont affectées par des handicaps « invisibles », difficultés sensorielles, psychiques, mentales et/ou cognitives. Les personnes handicapées éloignées durablement de l’emploi, critère officiel d’attribution de l’AAH, ne seraient enfin plus maintenues sous le seuil de pauvreté.
Nous ne pouvons que vous inviter à vous renseigner sur les programmes de législature et de gouvernement, les propositions concrètes avancées par chaque camp politique et interroger leur impact concret sur vos vies.
Un processus de libération
Quand on a conscience de la violence du climat anxiogène et de l’ampleur de sa propagation, dans chaque espace et à chaque instant, le réflexe naturel est de se déconnecter des médias et des réseaux sociaux.
Ce geste de survie n’aide malheureusement pas, dans la mesure où il empêche toute anticipation aux événements majeurs, fait parfois perdre conscience de la gravité de la situation politique et enferme dans l’idée que nous serions, de toutes façons, impuissants à peser sur le cours de l’histoire.
Le seul moyen de se libérer, sans espérer un quelconque épanouissement spontané, est au moins de réagir, au mieux d’agir sur le monde qui nous entoure. Cette démarche porte un nom : l’engagement collectif, non pas en faveur du repli identitaire entre gens qui nous ressemblent en apparence, mais pour faire vivre la solidarité populaire avec des personnes qui partagent une condition sociale et un vécu similaires aux nôtres.
Ce n’est qu’en entamant un processus d’émancipation que nous pourrons retrouver notre humanité et notre foi en elle.
Très belle analyse. L’axe est original. Il serait intéressant de poursuivre sur ce paradigme d’une psychopathologie collective et ses conséquences politiques, sociales sur les libertés individuelles et collectives.
Très bonne analyse. La haine de l’autre, la peur de l’autre, c’est aussi la peur de soi, de ses pulsions, de sa lâcheté. On ne s’aime plus dans ses inhibitions, dans sa soumission et plutôt que de s’y confronter, on accuse l’autre d’être la cause de ses frustrations. Un peuple infantilisé.