Il n’y a qu’un océan qui nous sépare

S’il y a bien une chose qu’on n’enlèvera pas à Donald Trump, c’est l’éclat de sa victoire électorale. Elle est incontestablement brillante.

C’est aussi l’aboutissement d’une tendance que les plus fins observateurs ont remarqué dès 2020: les travailleurs adhèrent dans leur majorité au discours républicain. Ainsi, le vieux parti des Reagan, Bush, Lincoln a bien fait d’opérer sa mue.

 

Au contraire du parti démocrate, qui ne s’est jamais résigné à abandonner sa matrice idéologique ultra-libérale. Du coup, cela reflète la médiocrité de la campagne électorale de sa principale rivale, Kamala Harris. 

Même en ralliant une armada impressionnante de personnalités, elle n’a jamais pu retrouver ce que l’establishment démocrate a perdu, à force de trahisons sur l’autel du libre-échange: le vote populaire. 

 

Et pourtant ! Même le socialiste — au sens américain du terme — Bernie Sanders, a fait campagne [1] pour celle qui fut désignée, à la hâte, comme la successeure du président Joe Biden, jugé trop âgé pour briguer un deuxième mandat. 

Pas sûr que sortir la carte du dernier des mohicans en la personne de Sanders fusse la meilleure des idées. Le bougre est lui-même plus âgé que Joe Biden… 

 

Mais voilà, faire campagne en alertant (hystérisant ?) sur le danger de l’extrême-droite, c’est faire campagne en parlant de l’extrême-droite. 

Finalement, cela revient à faire campagne pour l’extrême-droite. En tombant dans ce piège, Kamala Harris s’est elle-même condamnée. 

C’est un peu comme s’alarmer que la maison brûle au moment où il ne reste déjà plus que des cendres. 

 

Mettons-nous, trente secondes, à la place du citoyen étasunien. 

Si certains sont nés dans les Mauges et finissent licenciés de chez Michelin, à Cholet [2]; d’autres ont grandi dans le Michigan, et finissent licenciés de chez Général Motors, à Flynt. 

 

Pour l’ouvrier français, il serait insupportable d’avoir un N-ième second tour entre un macroniste et un représentant du Rassemblement National (RN). Au point de s’inquiéter, légitimement, d’une victoire de l’extrême-droite en 2027. L’ouvrier choletais, limogé à cause des choix économiques de la Macronie, lassé, votant, par dépit, pour l’ennemi fondamental de ses intérêts. Et on pourrait le comprendre. Pas l’expliquer, c’est certain. Mais au moins faire preuve d’égard. 

Ce n’est ni plus ni moins qu’un équivalent au pays de la Liberté. 

Dans ce cas, et vu de France, on ne peut être que consterné par les commentaires sur les réseaux sociaux, fustigeant l’apparente débilité de l’électeur américain. C’est bien connu, ceux qui donnent des conseils feraient mieux de se l’appliquer eux-mêmes. 

 

Faire l’autruche 

 

Fort heureusement, l’ouvrier choletais peut se rassurer d’avoir à ses côtés une gauche forte parce qu’unie. 

Du moins, en théorie. En tout cas, il est convenable de se rassurer en se disant que cette donnée, que n’ont pas les ouvriers du Michigan, change beaucoup de choses dans le paysage politique. 

D’ailleurs, l’élection législative française a bien montré qu’avec un peu de pédagogie et surtout grâce à un programme de rupture, il est encore possible d’écarter le fascisme. 

 

Maintenant, qu’on a avancé naïvement cette option, il serait bon ton de la démolir: « écarter le fascisme » comme écrit précédemment, ça ne dure qu’un temps. Même si on a un programme. Même si on a un candidat. 

De la peur, il naît le courage, nous l’avons vu en France. De la panique, le malheur s’est produit, nous l’avons vu aux États-Unis. Le pire, dans tout ça, c’est que l’ouvrier du Michigan a peut être voté pour Trump afin de ne pas avoir la guerre civile (ce qu’il promettait en cas de défaite) mais il aura quand même la guerre civile sous le mandat de Donald Trump ! 

 

Ce que nous cherchons à faire comprendre, c’est qu’en France, malgré le programme, malgré le candidat, malgré l’unité, malgré l’appui de la société civile, malgré tout, nous ne sommes pas à l’abri du malheur et de la guerre civile. 

Il n’aura échappé à personne qu’en France, comme aux États-Unis, l’extrême-droite prolifère parce que les grands outils de communication et de transmission l’encouragent. 

 

Même si son ascension est résistible, elle n’en est pas moins bien entamée. 

L’élection législative de juin 2024 l’a montré: dans la conquête des bulletins populaires, le Rassemblement National progresse bien plus vite que toutes les autres forces politiques, Nouveau Front Populaire (NFP) compris

 

La convergence atlantique 

 

Bien que le personnage-président des États-Unis ait l’air aussi caricatural que répugnant, son style a fait, continue et fera des émules en France.

C’est l’une des conséquences de la vassalisation française aux intérêts états-uniens, même s’il existe une affinité politique, sociale, économique et culturelle depuis un certain temps (au moins depuis la fin de la seconde guerre mondiale). 

 

Une autre, moins commentée et pourtant tout à fait notable, c’est la convergence des intérêts entre travailleurs, des deux côtés de l’Atlantique.  

Aussi bien en France que dans le pays des miracles économiques, la fracture sociale a déchiré le pays en morceaux épars, hétéroclites. 

L’individualisme, fruit de l’atomisation, condition nécessaire au travail sous le capitalisme provoque une aliénation comparable. 

La classe capitaliste est autant prédatrice dans le vieux continent que dans le nouveau monde. 

 

En bref, le destin de l’ouvrier choletais est lié à celui de Flynt. Il est probable que les deux profitent des mêmes services, plateformes, plaisirs pendant leur temps libre, devenu tellement maigre. 

Ce qu’ils appellent « trumpisation » du débat, notamment depuis qu’Elon Musk — sans aucun doute l’homme le plus puissant de la planète — a racheté Twitter, ce n’est ni plus ni moins que la résultante de l’accaparement par une poignée de personnes de l’ensemble de l’appareil productif. Un appareil cassé, par le changement climatique, certes mais aussi et surtout par la logique destructrice qu’imposent les capitalistes. 

Qu’on ne s’y trompe pas, la bourgeoisie finit systématiquement par choisir le fascisme. On peut même dire qu’elle a pour ce projet de société une sorte de fascination aussi morbide que masochiste. Ce qui arrive en Occident, c’est peu ou prou ce qu’a fait subir l’Occident au reste du monde, en imposant des dictatures aux quatre coins du globe pour préserver notre si cher « lifestyle ». 

 

Sauf qu’il ne s’agit pas de celui de l’ouvrier de General Motors ou de Michelin, mais bien celui de leurs PDG, de leurs actionnaires. 

Ces premiers se sont tués à la tâche pour se conformer à des critères de compétitivité, prenant à charge les dépenses des États-Nations, qui ont balancé de l’argent public sans vergogne, pour financer des entreprises qui remercient le contribuable en le licenciant. 

 

Le plus petit dénominateur commun 

 

C’est un poncif utile à rappeler: jamais dans l’histoire, des sociétés — donc par là même des masses laborieuses, qui les font vivre — n’ont été aussi connectées. Au 16e siècle, l’océan qui nous sépare était un monde. En 2024, on parle de deux rives d’un ruisseau. 

 

Ce que Donald Trump a compris, c’est qu’on ne devient pas majoritaire sans un projet de société majoritaire. Un enfant de CE2 pourrait le comprendre. 

Mais pas Kamala Harris, qui s’est positionnée sur des valeurs aussi maltraitée — par son propre camp — que la démocratie et la liberté. 

Ça n’a pas l’air d’être le cas non plus pour les quatre forces du NFP. 

En agissant de sorte à ce que les spécificités de chacune des composantes soient plus importantes que ce qui les unit concrètement, elle gaspille une énergie sur les plateaux télévisuels pourtant très précieuse. 

 

Nous en voulons pour preuve la séquence parlementaire qui a mené à la démission de Michel Barnier, le premier ministre au mandat le plus court de l’histoire de la Ve République, en France. Eric Coquerel, président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale (NFP) peut bien se féliciter d’avoir dévoyé le budget pour le rendre « NFP-compatible », il n’empêche que la résultante sera soit un nouveau coup de force politique, soit une nouvelle phase d’instabilité institutionnelle. 

Pendant ce temps-là, le RN, bien qu’absent du Parlement et malgré les déboires, réels, de sa candidate naturelle Marine Le Pen, fait ce qu’il y a de mieux à faire en la période, à savoir battre le pavé, occuper le terrain.

Pendant que Jordan Bardella, président du RN et bras droit de la fille de Jean-Marie, se présente comme l’émanation des travailleuses et travailleurs issus de l’immigration dans son nouvel ouvrage, qu’il en fait la promotion partout où il peut, c’est à dire à peu près partout où il veut, vu comment les médias mainstreams le chouchoutent, il semble bien que la gauche n’arrive plus à se faire entendre.

Non pas qu’elle n’ait pas de projet pour le travail, bien au contraire, le programme du NFP est, sur cette question, comme sur toutes les autres, de très loin le meilleur. Le problème c’est qu’elle n’est pas audible. 

Même François Ruffin, le plus exemplaire des porte-parole de la classe ouvrière, est plus occupé à se faire mousser par le système médiatique pour avoir mis en scène une de ses starlettes (Sarah Saldmann pour ne pas la citer) en honnête travailleuse, le temps de la moitié d’un documentaire, que de parler réellement de ses caristes, agents d’entretiens, auxiliaires de vie ! 

 

En un mot comme en mille, le meilleur barrage face à l’extrême-droite, c’est encore faire de la politique. A bon entendeur. 

 

[1] Lien en Anglais, NDLR

[2] Ci-joint, le lien pour la cagnotte en soutien aux grévistes.

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