Dissoudre l’Autorité de l’État

Ce qui devait arriver arriva, le Conseil Constitutionnel a censuré un tiers de la loi immigration

Dans cette histoire, tout le monde a perdu un peu quelque chose: Gérald Darmanin n’ira pas à Matignon, le pion damé par un gamin, qui a comme seule légitimité d’être le chouchou du chef d’État. Emmanuel Macron dissout son Autorité, au sens étymologique du terme, à savoir celui qui a la capacité de faire grandir, de commander, en ayant joué le jeu du locataire de la place Beauvau. Quant à la sérénité du débat public, nous préférons nous abstenir de commentaires. 

 

Ce n’est pas une surprise et pourtant, tant de questions sont encore en suspens.

Pourquoi le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision en la motivant sur la forme de la loi et non sur son fond ? Pourquoi Laurent Wauquiez, candidat annoncé des mal-nommés Républicains, se la joue plus brun que Mme Marine Le Pen en critiquant (et c’est un euphémisme) cette décision. Pourquoi Emmanuel Macron, le président de la république française, a assumé l’inconstitutionnalité de la loi, lui qui doit être le garant de cette même Constitution ? Pourquoi le réseau social X ? 

 

Il y a de quoi s’inquiéter franchement de la tournure que prennent les événements, surtout d’un point de vue institutionnel.

La critique de la République de 1958 est permise. D’ailleurs, la nôtre est plutôt récente quand on trace son historique.

Pour autant, nous l’avons déjà dit, si Mme Marine Le Pen est élue en 2027, elle aura toute la légitimité politique et institutionnelle pour gouverner. Il est loin le temps où on se disait que la Constitution protégeait contre une dérive fasciste du pouvoir… 

 

Le coup d’État permanent

 

François Mitterrand, avant d’avoir été lui-même élu, fut le critique le plus acerbe de la fonction présidentielle.

Il avait même rédigé un pamphlet à ce propos: le Coup d’État permanent. Best-seller en son temps, tombé en désuétude dès lors que la gauche réformiste a pris le pouvoir.  

Il n’empêche: quinze articles de la Constitution parle des prérogatives du Président, soit un de plus que pour les fonctions gouvernementales et parlementaires réunies.

 

Nous ne sommes pas en monarchie présidentielle, déjà parce que le président, sous la Ve République, a plus de pouvoir que n’a jamais eu Louis XIV, monarque dit absolu.

N’oublions pas que tout puissant fusse le Roi, il avait quand même des comptes à rendre: aux Grands, à l’Église, aux Cités… Même sous la monarchie, il y avait des contre-pouvoirs.

 

De plus, le roi Soleil, comme ses prédécesseurs et successeurs (à l’exception du dernier roi français de l’histoire, Louis-Philippe) tirait sa légitimité du Divin, là où M. Macron – comme ses prédécesseurs et sa probable successeure – la tire de la souveraineté populaire. 

L’article 3 de la Constitution dit: “la souveraineté populaire appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par référendum”.

C’est à partir de cette notion que les représentants élus tirent l’intégralité de leur légitimité, bien plus, du moins dans le texte – dans les faits, c’est autre chose – que par l’aval des puissants. 

 

Si on était tatillon, nous pourrions nous demander ce qu’est le peuple, question absente de la Constitution mais en réalité définie par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, texte membre du bloc constitutionnel

Encore dans son article 3: “le principe de souveraineté réside dans sa nation. Nul individu ne peut exprimer d’autorité qui n’en émane expressément”. De fait, est pensé comme peuple toutes personnes ayant droit de Cité. S’attaquer au droit du citoyen, c’est s’attaquer au droit de toute la Nation. C’est donc aller à l’encontre de ce que le bien commun exige.

 

Une dérive logique

 

Il existe une critique classique dans la gauche française, elle aussi tombée dans les limbes de l’Histoire: la Ve République est un régime fasciste.

De surface, cette critique pourrait faire bondir. Comment expliquer alors que la gauche réformiste soit arrivée au pouvoir, à plusieurs reprises ?

En fait, il s’agirait déjà de définir fascisme. Est théorisé comme tel un régime autoritaire dans un contexte de crise aigüe (à savoir de guerre civile), qui se sert de ce contexte pour asseoir son autorité et qui use de cette dernière pour régler la crise sus-nommée. 

 

Quand on sait que l’arrivée au pouvoir de M. De Gaulle, en 1958, s’est opérée après un coup d’État, il semble évident que les politiciens de l’époque, encore traumatisés par l’expérience de Vichy, s’inquiètent au plus haut point de la signification d’un tel acte.

L’historiographie française aime écrire que l’indépendance algérienne est un problème entre Nations: une impérialiste (la France) et l’autre en voie d’indépendance (l’Algérie). Si ce postulat est vrai, il n’est que partiel car il oublie qu’en métropole, les heurts causés par “les événements”, comme on disait pudiquement à l’époque, ont créé une déstabilisation profonde de l’appareil d’État. Au point de voir la menace d’un débarquement de l’Organisation Armée Secrète (OAS, NDR) si le Général n’arrivait pas au pouvoir. 

 

Que le régime ait finit par s’assagir, afin de devenir une honnête démocratie libérale, cela peut s’entendre mais penser qu’il ne réside pas dans le texte les ferments à l’expression d’un pouvoir autoritaire voire fasciste, il y a un pas que nous ne pouvons pas franchir, à cause justement de la lecture des événements. 

 

Dépasser la Ve République pour sauver la Démocratie

 

Que nous reste t-il en tant que citoyens ? Sûrement le devoir de prendre du recul, en puisant parmi des références oubliées. Notamment “le droit à l’insurrection”, proposé par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793.

Cette référence, l’auteur de ces lignes en a abusé à l’époque où il était encore un apprenti militant révolutionnaire qui voyait dans chacune des luttes l’occasion de déclencher l’assaut final contre le Capital et les patrons bandits. 

 

Aujourd’hui, la sagesse ordonne non pas de se la jouer comme M. Léaument, insupportable député LFI qui passe sa vie à écrire des tweets en référence à ce texte mais plutôt de s’inspirer de réflexions passées afin de dépasser les contradictions présente dans le but d’écrire un futur libéré de la tentation bourgeoise du fascisme.

Il ne s’agit pas de refaire le match, de dire que tel texte vaut mieux qu’un autre et que dans la perspective d’un dépassement nécessaire de la Constitution de 1958, il faut s’appuyer sur des références oubliées. Il apparaît évident qu’afin de régénérer la démocratie française, il est primordial de s’affranchir du dogme du bloc de constitutionnalité. 

La Ve République est morte, vive la République. 

 

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