Le plan de Marine Le Pen pour s’arroger les pleins pouvoirs après le 24 avril

La candidate et finaliste du Rassemblement National à l’élection présidentielle sait qu’en l’état de la Vème République, bien que cette dernière concentre les pouvoirs entre les mains du chef de l’État, des verrous lui empêcheraient d’avoir tous les pouvoirs et en particulier, le pouvoir législatif dévolu au Parlement. Voici la manière dont elle souhaite s’y prendre pour les faire exploser l’un après l’autre.

1/ Gouverner par ordonnances

Le régime des ordonnances, décrets et directives présidentielles permet d’ores et déjà au Président de la République d’imposer des réformes sans passer par la voie législative.

Si certains candidats souhaitaient, tels que Jean-Luc Mélenchon, user de ce pouvoir pour augmenter le salaire minimum interprofessionnel (SMIC) ou les minima sociaux, Madame Le Pen compte l’employer pour faire appliquer une phénoménale poussée sécuritaire et anti-sociale avec l’expulsion des étrangers « fichés S » (un fichage large qui comprend des militants progressistes en plus d’une minorité d’individus radicalisés) ou la fin des aides sociales à l’écrasante majorité des étrangers en situation régulière, y compris celles et ceux occupant un emploi.

2/ Le référendum d’initiative présidentielle

Sous la Vème République, le chef de l’État peut prendre l’initiative d’organiser un référendum pour soumettre au suffrage universel des réformes d’ampleur, notamment constitutionnelles.

Si la démarche semble louable, tout dépend des termes du débat précédant le scrutin : en 1992, le traité de Maastricht a été adopté d’une courte tête sans que le débat ne permette de pousser les argumentaires dans leurs retranchements ; en 2000, le référendum constitutionnel français instaurant le quinquennat présidentiel et l’inversion du calendrier électoral s’est organisé presque sans débat, tant et si bien qu’à peine 30% du corps électoral se sont déplacés ; en 2005 enfin, un véritable débat a permis de mettre au jour les dangers de l’Europe néolibérale.

L’exemple du dernier référendum organisé en France démontre, si besoin était, que le pouvoir politique suprême sait bafouer l’expression populaire lorsque celle-ci ne lui convient pas.

Marine Le Pen a d’ores et déjà annoncé son intention de multiplier les référendums en cas de victoire à la présidentielle, notamment sur la peine de mort – qu’elle promet, depuis quelques jours, de ne finalement pas chercher à rétablir. Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient, de surcroît lorsqu’elles sont formulées en plein entre-deux tours de l’élection reine.

Or confier l’organisation d’un débat à l’extrême-droite pour apporter de la contradiction face aux mesures qu’elle entend elle-même imposer est tout sauf une garantie de sérieux, d’appel à la raison et de sérénité. Il y a fort à parier que les éditocrates médiatiques, ayant senti le vent tourner, propagent sans sourciller tous les arguments réactionnaires et mettent en difficulté tous leurs contradicteurs.

3/ Une Assemblée le doigt sur la couture du pantalon

C’est le conseiller stratégique de Marine Le Pen, le député européen et juriste Gilles Lebreton, qui avait vendu la mèche au Canard enchaîné en 2017 : en cas d’Assemblée nationale « hostile » au pouvoir présidentiel à l’issue du scrutin législatif, il est question d’organiser (là encore) un référendum à l’initiative de la Présidente, pour mettre en place une élection à la proportionnelle intégrale avec une prime de… 30% des sièges à la liste arrivée en tête.

Autrement dit, il suffirait au RN, certainement allié au parti d’Éric Zemmour Reconquête!, d’arriver en première position lors des nouvelles élections législatives succédant au référendum et d’obtenir au moins 20% des voix pour remporter la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale.

Les centaines de néodéputés nationalistes ainsi élus seraient dans leur majorité bien moins modérés que l’image lisse qu’entend se donner Marine Le Pen lors de cette élection présidentielle. Il y a fort à parier que les opportunistes de tous bords, à commencer par Éric Ciotti, sauteraient sur l’occasion pour soutenir la nouvelle cheffe de l’état, garantir sa place de député et s’accorder les bonnes grâces d’un pouvoir exécutif qu’il pourrait intégrer comme caution « républicaine » à la tête d’un ministère régalien.

Autant dire que les plans sur la comète de certains pour imposer une cohabitation en cas de victoire de Mme Le Pen le 24 avril risquent de se ramasser royalement.

4/ Sénat, Conseil d’État, Conseil Constitutionnel vers leur extinction

Madame Le Pen et son entourage auraient dès lors les mains libres pour réduire drastiquement les pouvoirs, qu’ils considèrent déjà comme des nuisances, des gardes-fous de la République.

Sénat, Conseil d’État, Conseil Constitutionnel n’ont déjà pas bonne presse auprès de citoyens qui les voient comme des instances aux compétences floues et comme repaires de politiciens âgés, à la veille d’une retraite qu’ils auraient dû prendre depuis un certain temps.

Cette réputation d' »Ehpad dorés » aidera Madame Le Pen à se défaire, avec l’assentiment populaire, de ces contre-pouvoirs à l’exécutif politique et à sa majorité à la chambre basse. Ils ne seraient pas dissous, du moins dans un premier temps ; par contre ils se verraient limiter lourdement dans leurs actions et prérogatives, notamment si un énième référendum entérine leur perte de pouvoirs.

5/ Et pour finir…

Les médias indépendants des puissances financières et politiques, les réseaux sociaux, les communications privées, les manifestations, les syndicats, les associations de défense des droits des opprimés feraient-ils long feu dans leur rôle de contre-pouvoirs ?

Rien n’est moins sûr à mesure que les mauvais citoyens seront pointés du doigt et que la législation établissant de facto qui est honnête ou hors-la-loi évoluera à vitesse grand V.

Si vous avez détesté le maintien de l’ordre sous Macron, vous ne risquez pas d’adorer celui imposé par Le Pen avec à ses ordres une police zélée qui lui est déjà dans l’ensemble politiquement acquise.

Si vous avez détesté la propagande néolibérale, vous ne risquez pas d’adorer la propagande nationaliste qui ajoutera aux discours toujours plus féroces contre les prétendus « assistés » français une discorde nationale en désignant systématiquement l’étranger, l’autre, le différent comme responsable des maux d’un capitalisme que Marine Le Pen ne veut remettre en cause sous aucun prétexte.

Quant à l’information libre, qui implique de s’appliquer et de diffuser un esprit critique, leur influence risque peu à peu de se réduire puis s’éteindre jusqu’à ce qu’une interdiction en bonne et due forme passe comme une lettre à La Poste.

Le présent article n’a pas pour objectif de faire peur, mais de rappeler que le danger du Rassemblement National ne peut et ne doit pas être sous-estimé, lorsqu’on n’appartient pas à la caste des privilégiés capitalistes qui, eux, n’ont franchement pas grand chose à craindre d’une arrivée au pouvoir du nationalisme contemporain.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *