La vraie raison du déni démocratique de Macron : son refus d’augmenter le SMIC

Depuis les résultats du second tour des élections législatives anticipées, au soir du dimanche 7 juillet, le Président de la République est dans le déni. Il emploie tous les moyens d’influence qu’il lui reste pour ne pas appeler à gouverner le Nouveau Front Populaire, sorti vainqueur du scrutin.

« Redonner le choix » et ne pas le respecter

La situation de blocage, cette première semaine après qu’aient été connus les 577 députés, nouveaux ou réélus, de l’Assemblée nationale, serait moins tragique si deux éléments n’avaient pas été mis en avant par le camp présidentiel.

Le premier, répété maintes fois par le chef de l’État, est la justification permanente de la dissolution de l’Assemblée, qu’il a annoncée le dimanche 9 juin dernier, sous l’argument d’autorité que « redonner le choix » aux Français était nécessairement une bonne option.

La clarification allait venir, disait-il, pour donner un nouveau cap au pays en entendant ce qu’ont à dire les citoyennes et citoyens. Le corollaire le plus évident de cette position est, qu’a minima, le choix des électeurs soit respecté. Or, M. Macron a prouvé qu’il n’y était pas prêt, en témoigne encore la lettre qu’il a jugé bon de publier, par voie de presse quotidienne régionale, le mercredi 10 juillet 2024 en fin de journée.

Il voulait cohabiter… avec Bardella

S’il est vrai que le Président de la République s’était activement préparé à une cohabitation, c’était avec… le Rassemblement National. C’est, là, le second élément qui montre l’hypocrisie et la solitude dont fait montre M. Macron.

Les récentes révélations du journal Libération, cette semaine, ont prouvé que l’entourage du chef de l’Etat, à commencer par l’ancien député Thierry Solère et l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, était ces derniers mois et ces derniers jours en contact étroit avec les dirigeants du RN.

L’aspirant-Premier ministre Jordan Bardella est ainsi apparu devant le domicile de M. Solère trois jours seulement après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le même Thierry Solère, conseiller régional d’Ile-de-France au titre du groupe macroniste, avait contacté une candidate ciottiste LR-RN dans l’entre-deux tours des législatives pour lui demander de se retirer au profit du camp présidentiel, contre le Nouveau Front Populaire.

La majorité relative n’explique rien

L’argument, aujourd’hui dispensé par tous les biais médiatiques à l’initiative des derniers proches d’Emmanuel Macron, selon lequel la majorité relative du Nouveau Front Populaire serait trop insuffisante pour prétendre gouverner le pays est tout simplement nul et non avenu.

Non seulement, pendant deux ans le camp présidentiel a gouverné précisément avec une majorité relative à l’Assemblée nationale et une absence totale de majorité au Sénat, et ce, sans dévier d’une ligne du programme d’Emmanuel Macron. Ainsi, au printemps 2023, alors minoritaire dans le pays, dans les corps intermédiaires et au Parlement, le gouvernement a choisi de passer en force sa réforme de la retraite à 64 ans – minimum.

Annoncé par la coalition de gauche, l’exercice du pouvoir par le Nouveau Front Populaire serait sensiblement différente de celui de la Macronie. Il s’agit de partir du contrat de législature établi par les forces de gauche, programme sur lequel a été élue une majorité de députés aux scrutins des 30 juin et 7 juillet, et de chercher à dépasser la condition de majorité relative en cherchant, texte par texte, sur chaque projet de loi ou proposition de loi, une majorité absolue du Parlement.

L’exercice serait moins autoritaire mais n’en serait ni plus difficile, ni moins légitime. Qui est prêt à s’opposer, dans l’hémicycle, au rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) compte tenu des inégalités économiques fracturant la France, ou à la mise en place de la gratuité réelle de l’Éducation nationale avec la garantie de fournitures mises à disposition des écoliers, collégiens et lycéens dans tous les établissements scolaires publics dès la rentrée 2024 ?

La gauche a élu ses députés… et ceux du camp macroniste

En plus d’un exercice du pouvoir gouvernemental respectant réellement les institutions parlementaires, au contraire de ce à quoi nous ont habitués les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron ces sept dernières années, le Nouveau Front Populaire a une double légitimité pour être appelé à gouverner.

La première, évidente mais qu’il est bon de rappeler tant elle est niée par le camp présidentiel, est que le NFP a gagné les élections et dispose d’une majorité relative. Du côté des derniers des macronistes, qui ont tout de même perdu une centaine de députés entre 2022 et 2024, on explique qu’il n’y aurait pas de gagnant à ces élections. Seule la volonté la plus crasse de nier les résultats démocratiquement sortis des suffrages des Françaises et des Français peut expliquer un tel déni.

La seconde légitimité, le NFP la tire du comportement de ses électrices et électeurs du premier tour. Face à la menace fasciste d’un gouvernement dominé par le RN, le « front républicain » a tout d’abord été appelé par les responsables politiques des forces de gauche et scrupuleusement appliqué par une grande majorité de l’électorat de gauche.

Les premières études sur les reports de voix démontrent qu’au moins deux fois plus, proportionnellement, d’électeurs de gauche se sont reportés sur les candidats macronistes restés en lice au second tour du 7 juillet, que d’électeurs de centre-droit se sont reportés sur les candidats NFP toujours en course après le 30 juin.

Le barrage à l’extrême-droite, nécessaire et qui n’a pas souffert de la moindre ambiguïté ni dissonance au sein du Nouveau Front Populaire et de ses porte-parole, à l’inverse de la géométrie variable honteusement défendue par plusieurs poids lourds de l’ex-majorité présidentielle, a donc été permis par la gauche davantage que par les macronistes.

Malgré une absence de discipline chez l’électorat de centre-droit fidèle au chef de l’État, les représentants élus à l’Assemblée nationale au soir du second tour sont plus nombreux dans le camp du Nouveau Front Populaire que dans celui de la Macronie. La coalition de gauche est, de loin, celle qui a le plus progressé, largement devant l’alliance Bardella-Ciotti-Maréchal à l’extrême-droite et évidemment sans commune mesure avec la perte du camp présidentiel de plus d’un tiers de ses députés.

La vraie raison qui oblige Macron

Ce qui terrorise Emmanuel Macron et ceux qui lui sont fidèles est donc la perspective d’un gouvernement de la coalition de gauche qui, bien que respectant dans leur intégralité les principes démocratiques de la République, les effraie bien davantage qu’un gouvernement formé par M. Bardella. Nous nous risquons à dire que ce dernier, en cas de majorité relative remportée par le RN au soir du 7 juillet, aurait été nommé à Matignon dès le lendemain par le chef de l’État.

Les débats qui agitent jusqu’à aujourd’hui les composantes du Nouveau Front Populaire, sur la composition du gouvernement de gauche et sur le profil de la personne qui le dirigerait, n’expliquent en rien les tergiversations et, nous le répétons, le déni dans lesquels s’effondrent M. Macron et ses derniers représentants.

Ce qui fait peur, plus que tout, au chef de l’État et à son camp, est de prendre conscience que l’expression civique des Françaises et des Français formalisée dans les urnes va à l’encontre de ce pourquoi Emmanuel Macron a été placé à l’Élysée : défendre les ultra-riches. C’est bien la classe capitaliste qui a poussé l’élection, puis la réélection, de l’ancien banquier d’affaires à la présidence de la République et cela, afin de mener une politique exclusivement antisociale, contre les intérêts de celles et ceux qui vivent de leur force de travail, pour les intérêts de celles et ceux qui vivent de leurs rentes.

Le SMIC à 1.600 euros les terrifie

Parmi les éléments programmatiques du Nouveau Front Populaire et qui oblige la majorité relative à l’Assemblée nationale, et logiquement la coalition appelée à gouverner, se trouve un point précis qui terrifie M. Macron et ses lieutenants : l’augmentation du Salaire minimum interprofessionnel à 1.600 euros nets, soit une hausse de 200 euros.

Aidé par les économistes libéraux et les grands chefs d’entreprise qui, dans la même veine que leurs aïeux démentis en 1936 et en 1968, prétendent qu’une augmentation forte des salaires serait une catastrophe économique, le camp présidentiel est convaincu que le SMIC à 1.600 euros nets correspondrait à renier l’ensemble de leur politique économique menée depuis sept ans.

La Macronie ne comprend toujours pas qu’elle a été sanctionné précisément pour sa politique de creusement des inégalités et d’obligation des chômeurs à accepter les premiers emplois qui se présentent, au risque de perdre tous leurs droits.

En prétendant qu’il a redonné de l’attractivité à la France (vis-à-vis des capitaux étrangers) et qu’il a réduit le taux de chômage – au prix de tripatouillages statistiques et d’un accroissement sans précédent du mal-être au travail – le camp macroniste est convaincu qu’il a relancé l’économie française. Les classes populaires ne sont pas de cet avis et viennent de lui faire comprendre.

L’augmentation du SMIC est souhaitable et soutenable

Contrairement aux convictions dans lesquelles s’enferrent, contre toute prise de conscience de la situation réelle du monde du travail, le chef de l’État et ses subordonnés, l’augmentation de 200 euros du salaire minimum interprofessionnel, puis la hausse de tous les salaires en les indexant de nouveau sur l’inflation, est une bonne manière de répartir les richesses plus justement, à la source – dans les entreprises où les salariés et travailleurs indépendants créent la valeur.

En augmentant le SMIC, les grandes entreprises devront nécessairement baisser la rémunération, en dividendes et primes, du capital pour assurer au travail un revenu digne de ce nom. Les super-profits, développés comme jamais depuis les différentes crises – Covid, guerre, inflation de masse – vont donc être revus à la baisse par une classe dominante contrainte de restituer plus équitablement les richesses à celles et ceux qui les créent, les classes populaires.

En augmentant le SMIC, les petites entreprises devraient concéder d’une main ce qu’elles retrouveraient en double de l’autre. Les personnes et ménages vivant des petits revenus du travail se privent, en priorité en cas de restriction budgétaire dans le foyer, de ce que leur proposent les petits commerces. Le pain est moins cher à Leclerc qu’à la boulangerie du coin de la rue. Les salons de coiffure peinent à trouver suffisamment de clients venus prendre soin de leur apparence. Les petits restaurants font de moins en moins le plein à mesure que l’inflation galopante a diminué drastiquement le pouvoir d’achat des petits consommateurs ; et ainsi de suite.

Les petites entreprises devront donc augmenter les salaires mais cela serait immédiatement compensé par le cercle vertueux de la véritable relance de l’économie, celle du développement de la consommation populaire. Quant aux entreprises sous-traitantes de grands groupes, elles reverront à la hausse les contrats noués avec leurs riches clients dans cette configuration nouvelle et, en définitive, ce serait uniquement l’accumulation inouïe des capitaux qui s’en verrait affectée.

Contre les intérêts des corrupteurs de l’Élysée

Cette politique économique de gauche, qui tient debout par la seule application de cette augmentation nette du SMIC, trouve de nombreux adversaires pour la simple et bonne raison qu’elle s’attaque aux intérêts de la classe capitaliste, privée d’une partie de ses rentes et de l’accélération du grossissement de ses patrimoines privés.

Si Emmanuel Macron est corrompu aux intérêts de la finance depuis son élection en 2017, ses corrupteurs sont alors nul autre que la classe dominante qui tire les ficelles des marchés financiers et, par extension, dispose d’un pouvoir invraisemblable sur l’économie réelle et l’organisation du travail en France.

Pendant sept ans, la classe capitaliste française et mondiale voyait ses intérêts fièrement défendus par le chef de l’État et depuis quelques semaines, elle se faisait à l’idée que ses intérêts continueraient à être défendus par un gouvernement d’extrême-droite – la pire politique sociale est la politique raciale, mais elle est après tout une bonne politique pro-business.

Ils ne s’y attendaient pas

Ce à quoi ne s’attendaient ni M. Macron, ni ses très riches corrupteurs, c’est la victoire de la coalition de gauche, réunie sur un programme clair de réduction des inégalités par l’augmentation des revenus du travail et le redéploiement des services publics.

S’il est vrai qu’une partie du programme du Nouveau Front Populaire reste à ce stade hypothétique, dans la mesure où il faudra sur chaque réforme législative trouver une majorité de députés pour voter les dispositions de la loi, il est tout aussi vrai qu’une partie de son programme est applicable immédiatement.

Le contrat de législature du NFP se décompose en trois phases chronologiques : 15 jours de rupture, l’été des bifurcations puis les transformations des mois suivants. Figurant dans les toutes premières mesures d’urgence, l’augmentation du SMIC se ferait par décret gouvernemental – comme toutes les augmentations du SMIC depuis des décennies – donc sans condition nécessaire de trouver une majorité parlementaire pour l’entériner et la faire appliquer, et sans risquer l’hypothétique adoption d’une motion de censure.

Après avoir écarté la menace de l’extrême-droite au pouvoir, les composantes du mouvement social français doivent se mobiliser pour que soit reconnue la victoire électorale du Nouveau Front Populaire, pour que la coalition de gauche soit appelée à gouverner conformément à tous les usages démocratiques en vigueur, et pour que son programme commence à s’appliquer.

Mettre la pression, plus que jamais

Derrière l’effroi de M. Macron, qui tente tant bien que mal de se raccrocher au peu de pouvoirs qu’il lui reste, se trouve une classe capitaliste terrifiée à l’idée de renoncer à une partie de l’accumulation à venir de ses fortunes gigantesques.

Mettre la pression sur le Président de la République pour qu’il reconnaisse et respecte le choix sorti des urnes, revient à mettre la pression sur la classe capitaliste pour qu’elle reconnaisse et respecte le refus des Françaises et des Français de la poursuite de la politique économique du bloc macroniste et leur volonté de prendre une tangente souhaitable et soutenable pour l’ensemble des forces vives de l’économie réelle.

Sophie Binet a appelé le mouvement social à de larges mobilisations en vue du jeudi 18 juillet, à l’occasion de l’ouverture de la première session parlementaire de la législature. « Il faut qu’il y ait une pression populaire, citoyenne, pour que le résultat des élections soit respecté » déclarait la secrétaire générale de la CGT, sur LCI, ce 11 juillet. Bien qu’une partie des militants se soient épuisés dans le sprint électoral des dernières semaines et que beaucoup d’entre nous aspirent à des vacances méritées, n’est pas encore venu le temps de désarmer.

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