Israël-Palestine : “Droit à la défense” ou aux massacres de civils ? Pour la paix, la reconstruction civique !

Mercredi 18 octobre, une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU condamnant « les attaques terroristes et prises d’otages odieuses du Hamas » et « toute violence et hostilité contre les civils », approuvée par 12 des 15 membres du Conseil, dont la France, a été rejetée.

La raison ? Sous prétexte de l’absence de mention du « droit d’Israël à la légitime défense », les États-Unis d’Amérique ont opposé leur veto [1]. Par ailleurs, le Royaume-Uni et la Russie se sont abstenus. Le blocage étasunien fait échec à toute solution diplomatique de la communauté internationale, même pour l’adoption d’une résolution équilibrée, voire timide.

La prison devient cimetière

La bande de Gaza était déjà, depuis près de 20 ans, une prison à ciel ouvert dont les quelque deux millions et demi d’habitants ne pouvaient sortir, contraints d’y survivre dans des conditions déplorables – très peu d’eau, d’électricité et des infrastructures lamentables dans une des régions les plus densément peuplées au monde. Depuis douze jours, les bombardements intensifs de Tsahal – l’armée israélienne – la transforment en cimetière géant. La moitié des Gazaouis sont des enfants.

Logiquement, les attaques terroristes, meurtres et enlèvements aveugles du Hamas sur la population civile israélienne, le samedi 7 octobre 2023, ont eu l’effet d’un double traumatisme dans l’État hébreu. D’abord parce qu’il s’agit probablement du massacre de civils juifs le plus considérable depuis la Shoah ; ensuite parce que le gouvernement israélien d’extrême-droite, mené par Benjamin Netanyahou, s’est montré impuissant alors même que cette mouvance politique, nationaliste et intégriste, s’est toujours vantée d’être mieux à même qu’aucune autre d’assurer la sécurité de ses propres citoyens.

M. Netanyahou a soutenu le Hamas

Si la société civile israélienne critique vertement M. Netanyahou et son administration [2], rappelant notamment que l’actuel Premier ministre a plusieurs fois défendu sa stratégie de soutien aux extrémistes du Hamas pour faire échouer l’émergence d’un État palestinien démocratique [3], elle reste particulièrement solidaire de Tsahal. Le service militaire, obligatoire pour jouir de ses droits civiques, dure deux ans et huit mois pour les hommes et deux ans pour les femmes. De ce fait, presque toutes les familles israéliennes ont des membres engagés dans l’armée, laquelle a notamment pour mission de protéger les colons dans les habitations nouvellement construites sur des territoires jusqu’alors palestiniens.

Les opérations menées derrière l’objectif de « détruire le Hamas » [4] sont donc, pour l’essentiel, plébiscitées par une population israélienne conditionnée depuis toujours à l’idée qu’en la guerre réside la condition de leur subsistance et de leurs droits. Néanmoins, de nombreuses voix israéliennes s’élèvent pour exiger la paix, notamment dans les colonnes du quotidien Haaretz (ou « Ha’Aretz », « Le Pays »), premier journal à avoir été publié en hébreu sous le mandat britannique en 1919 et fervent partisan de la paix et de la reconnaissance des droits des Palestiniens.

Droit à la légitime défense ?

La rhétorique, usée jusqu’à la moelle, du « droit d’Israël à la légitime défense » sert de justification aux crimes de guerre répétés de Tsahal, reconnus comme tels par de nombreux responsables internationaux officiels [5] et d’organisations non-gouvernementales, notamment Amnesty International qui appelait le 22 octobre 2022 la Cour pénale internationale à enquêter sur l’offensive d’Israël sur la bande de Gaza en août de la même année [6], qui avait provoqué la mort de six civils palestiniens sans que les médias francophones ou les reporters sur place, trop habitués à ces exactions, n’en fassent étalage.

Aujourd’hui, ce sont des dizaines ou des centaines de morts civiles par bombardements qui s’additionnent chaque jour à un décompte macabre, lequel risque de s’aggraver bien davantage dans l’hypothèse, très probable car annoncée, d’une opération terrestre de l’armée israélienne à l’intérieur de la bande de Gaza. Chaque disparition d’un être cher plonge, en Israël comme en Palestine, la plupart des proches dans une volonté de se venger coûte que coûte, éloignant d’autant plus la perspective d’une paix juste et durable.

Les extrêmes-droites se rejoignent en tous points

C’est la situation extrême subie par les Gazaouis qui les a jetés dans les bras du Hamas, mouvement politique extrémiste et islamiste. Nous voyons là que les extrêmes-droites, bien qu’apparemment ennemies, se rejoignent en tous points : de part et d’autre, il leur est inconcevable de cohabiter ou de reconnaître à la population des droits civiques égaux. M. Netanyahou a soutenu activement le Hamas, autorisant des transferts de fonds depuis le Qatar. De la même manière, Daech – qui n’est autre que l’abomination surgie de la destruction de l’État baas irakien par les USA – et l’extrême-droite française considèrent que les musulmans n’ont pas leur place en Europe, sauf à y mener une Guerre sainte.

Dans la continuité de l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat que les plus courageux des manifestants, des militants du mouvement social et des représentants du peuple réclament en ce moment même, en Israël comme en France, il apparaît nécessaire de rappeler plusieurs faits qu’il faut, même s’ils semblent être des poncifs éculés, impérativement garder en tête si l’on veut ouvrir enfin un horizon de paix.

Ce n’est pas un conflit religieux mais une guerre impérialiste

Le conflit israélo-palestinien n’est pas une guerre de religions. La réduire à un affrontement entre juifs et musulmans s’avère factuellement faux et idéologiquement dévastateur. La colonisation orchestrée par un État riche et puissant au détriment de populations pauvres relève d’un affrontement politique, économique et impérialiste. Si cette colonisation est si ardemment défendue par les élites européennes, c’est pour ces dernières le moyen de faire oublier qu’elles ont aussi ardemment propagé l’antisémitisme tout au long du XIXème et de la première moitié du XXème siècle, les principales puissances capitalistes allant jusqu’à soutenir financièrement et politiquement le nazisme en Allemagne et ses avatars dans tout l’Occident.

Dès lors que nous considérons la guerre entre l’État d’Israël et le peuple palestinien pour ce qu’elle est depuis près de 80 ans, et non pour une guerre entre religions, la position répétée à l’envi par la plupart des politiciens français de « ne pas importer le conflit chez nous » s’écroule dans son fondement. En réalité, avec un gouvernement qui soutient activement les dirigeants israéliens, il s’agit derrière cet argument de la droite libérale, conservatrice ou nationaliste française d’empêcher toute manifestation de solidarité populaire, sous quelque forme que ce soit, avec les Palestiniens. Nous observons ici le caractère impérialiste de cette guerre qui, de fait, s’exporte très bien toute seule : la solidarité entre capitalistes et dirigeants des États bourgeois d’une part, autorisée et élevée au rang de vertu ; la solidarité entre classes et peuples opprimés, spoliés et déchus de leurs droits civiques et sociaux, réprimée et abaissée au rang de crime.

Tout antisémitisme fait reculer la cause palestinienne

En faisant passer le conflit israélo-palestinien pour une guerre de religions, les élites occidentales cherchent également à ancrer dans l’imaginaire collectif une communauté juive monolithique, totalement solidaire de l’entreprise sioniste et des dirigeants politiques et économiques israéliens. Les plus cyniques y voient un moyen de draguer électoralement et idéologiquement les défenseurs d’Israël, quelles que soient leurs croyances intimes ; les plus abrutis y voient la preuve que tous les juifs appartiennent à une élite mondiale qui tirerait dans l’ombre les ficelles des politiques mises en place.

Disons-le clairement : toute forme d’antisémitisme, par les propos ou par les actes, par les caricatures hostiles ou par les brimades, chaque fois qu’elle se propage, fait reculer d’autant la cause palestinienne. Le racisme contre les juifs n’est pas seulement intolérable, il ravage aussi toute perspective de justice et d’égalité entre toutes et tous.

Le camp de l’excuse et du relativisme

Se refuser à expliquer comment des Palestiniens en sont arrivés à soutenir et participer aux exactions du Hamas, sous prétexte que ce serait le premier pas vers l’excuse ou le relativisme, comme le prétend l’extrême-droite en France, est la pire des positions : celle de l’autruche. Se refuser à expliquer c’est se condamner à voir les atrocités se répéter.

L’excuse réside aujourd’hui dans le camp de ceux qui ont affirmé un soutien « inconditionnel » aux exactions d’Israël, puisque cela s’inscrit dans le principe selon lequel la souffrance excuserait les violences, les crimes, les massacres – et après tout, si l’on suit ce même principe, les Palestiniens ne souffrent-ils pas également ? De même, le « relativisme » invoqué par Madame Le Pen et ses lieutenants pour qualifier bien maladroitement la solidarité populaire qui s’exprime, notamment à gauche, avec le peuple palestinien, quel est-il sinon la considération que la vie d’un être humain n’est pas égale à n’importe quelle autre, et qu’il faut donc « hiérarchiser » les vies, « relativiser » les morts, soit précisément ce que fait l’extrême-droite ?

Sans ambiguïté ni naïveté

Pour conclure, tant d’un point de vue idéaliste que pragmatique, soutenir l’hypothèse de la création d’un État palestinien « aux côtés de l’État israélien » n’est voué qu’à l’échec. Idéalement, ce n’est pas d’une partition du territoire que les populations du Proche-Orient ont besoin, mais d’un partage de la même terre dans une cohabitation pacifique sous l’égide d’une République qui reconnaît la nationalité israélienne et la nationalité palestinienne, qui reconnaît à toutes et tous les mêmes droits civiques et sociaux. Pragmatiquement, la colonisation israélienne rend caduque toute possibilité de revenir aux frontières de 1967, comme certains poètes le demandent encore cinquante-six ans plus tard, trop tard. Les forces démocratiques et sociales les plus conscientes de la réalité du terrain rapportent que les colonies de peuplement israéliennes ne peuvent être défaites et les territoires perdus par les Palestiniens recouvrés uniquement par ces derniers.

Sans aucune ambiguïté, ni naïveté, nous nous joignons aux appels qui se font entendre de par le monde européen, arabe, africain, asiatique, américain, océanique pour un cessez-le-feu immédiat, la libération de tous les otages et prisonniers politiques ainsi que pour l’engagement d’un processus de paix et de reconnaissance des droits civiques et sociaux des Palestiniens. C’est, là, le véritable salut pour la population israélienne elle-même, sans quoi elle se condamnera à jamais à n’interagir avec ses propres voisins que par l’hostilité, la violence et la guerre.

Références

1 : https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/19/conflit-israel-palestine-isoles-les-etats-unis-bloquent-une-resolution-a-l-onu-au-profit-de-la-diplomatie-de-terrain_6195372_3210.html
2 : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/en-israel-derriere-l-unite-nationale-l-expression-d-une-colere-contre-le-gouvernement-de-benyamin-netanyahou_6125727.html
3 : https://www.liberation.fr/checknews/netanyahou-a-t-il-dit-que-transferer-de-largent-au-hamas-etait-la-bonne-strategie-pour-contrecarrer-la-creation-dun-etat-palestinien-20231011_F5AKUAMMNVENDLJ6WBXLFPJETE/
4 : https://www.courrierinternational.com/article/gaza-un-daech-palestinien-israel-jure-de-detruire-le-hamas
5 : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/guerre-entre-le-hamas-et-israel-pour-yohann-soufi-ancien-chef-du-bureau-des-affaires-juridiques-de-l-onu-des-crimes-de-guerre-il-y-en-a-eu-des-deux-cotes_6129561.html
6 : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/10/israel-opt-investigate-war-crimes-during-august-offensive-on-gaza/

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