Michelin : Ce qu’il faut attendre de L’État
On peut dater la rupture entre la gauche et le monde ouvrier au 13 septembre 1999, exactement. Le premier ministre socialiste de la république française, M. Lionel Jospin, au journal télévisé de France 2 dit qu’il « ne faut pas attendre tout de l’Etat ».
Il prononce cette phrase alors que l’entreprise Michelin, leader du pneumatique dans le monde, annonce un plan de licenciement massif, en invoquant des critères boursiers, sur le site de Clermont-Ferrand.
Le mal de cette petite phrase, c’est qu’il rompt de manière significative l’attente implicite du milieu ouvrier vis-à-vis de la gauche, dont Lionel Jospin en était le premier ministre, à savoir représenter au mieux leurs intérêts. En effet, un salarié dans le milieu de l’industrie attendrait de l’État, surtout gouverné par la coalition arrivée en tête, un appui, ne serait-ce que minimal, pour sauver son entreprise.
Il n’y a aucune raison de licencier qui que ce soit si celui-ci est productif. Cela va de soi. C’est pourtant la première décision d’Edouard Michelin, quand il succède à son père, à la tête de l’aventure familiale. Ce dernier est décédé en 2006. Son héritage perdure encore, aujourd’hui, plus que jamais, à Cholet, en 2025.
Ce qu’est la financiarisation
Quand on parle de capitalisme financier, en réalité, on parle exactement de ce qui arrive. L’annonce de la fermeture du site de Cholet a certes fait scandale à l’échelle nationale – a tel point que le député du coin, Denis Masseglia, par ailleurs membre du groupe qui soutient l’action du gouvernement Bayrou, interpellé par les grévistes, a usé de son temps de parole à l’Assemblée Nationale, sur la question –, mais toujours est-il que ce qui va rester pour les travailleuses et les travailleurs de Michelin, c’est un départ qu’on appelle, cyniquement, volontaire et donc la route vers le chômage.
C’est un couperet particulièrement violent pour celles et ceux qui sont déjà les plus concernés par le chômage en France.
Hélas, quelles peuvent être ces considérations face à l’intérêt supérieur de l’entreprise dans un secteur aussi concurrentiel que le pneu ?
La rengaine, tout le monde la connaît : si Michelin n’est pas compétitif, alors les voitures, les camions, les avions, iront se fournir chez les japonais de Bridgestone ou bien les américains de Goodyear. A terme, c’est toute l’entreprise qui risque d’en pâtir, n’est-ce-pas !
Et c’est ainsi qu’on fout en l’air des dizaines, des centaines, en l’occurrence des milliers de vies, parce que c’est de ça dont il s’agit…
Le prix de la lutte
Le pire dans tout ça, c’est de voir des personnes se battre pour quelque chose de relativement logique, à savoir leur dignité, être poursuivies en justice. Comme par exemple ces 7 grévistes, convoqués par le tribunal d’Angers pour se faire entendre sur les raisons du blocage de l’usine, le 20 novembre 2024.
On ne va pas reprocher à la gauche de ne pas faire son travail. Olivier Besancenot, Clémence Guetté, Nathalie Arthaud, Sophie Binet, bref, on ne compte plus les relais de la mobilisation. Force est de constater que cela n’a pas suffi. A la fin, les grévistes rentrent chez eux, sans boulot…
Tout ça pour quoi ?
Nous avons interrogé ce qui ressemble bien aux derniers militants encore actifs dans cette mobilisation.
Au départ, Richard David, responsable de la Confédération Générale du Travail (CGT, NDLR) “a trouvé que la décision était complètement injuste, au début on était sur [la stratégie] d’éviter la fermeture de l’usine, mais malheureusement, nous ne sommes plus dans ce combat”.
A ce titre, le groupe a annoncé des résultats positifs et même les performances recensées par le Comité Social Économique (CSE) du site de Cholet prouvent que celui-ci est encore rentable.
Il n’en est rien
Le constat qui se dégage, c’est que la direction a profité d’une résignation globale pour agir sur ce site en particulier. Si le soutien à la grève était fort, trop peu sont celles et ceux prêts à sacrifier des journées de travail – donc du salaire, il faut dire ce qui est – pour faire entendre cette revendication.
Certains y sont allés, pour la forme, pendant une journée, afin d’exprimer leur colère et puis… Puis, plus rien ! Ils sont rentrés travailler, afin de profiter d’une “prime de performance”. La direction avait promis 600€, les plus chanceux ont reçu à peine plus de 200€.
On ne cachera tout de même pas qu’il a manqué d’efficacité. En l’occurrence, on ne peut pas reprocher aux syndicats, unis autour de cette lutte, d’avoir déployé la logistique suffisante pour soutenir le comité de lutte.
Pour autant, certains militants concèdent qu’ils n’étaient “pas du tout organisés”. A tel point que les modalités d’actions sont restées chaotiques. “Certains se sont dit ‘on va aller au rond-point’”, comme le dit Gaëlle, travailleuse en lutte, mais cette annonce n’a pas l’air d’avoir connu de suite.
Selon Richard David: “lors de la décision de droit d’alerte, demandée bien avant la décision de fermeture, nous avons demandé des fabrications de pneus de gamme moins chers sachant que nous faisions les pneus les plus chers du marché… sachant que la stratégie de Michelin est de ne plus investir en France et plutôt en Europe centrale. Le but aussi est de gaver les actionnaires… Il ne faut pas oublier que c’est une délocalisation masquée… Nous dénonçons également la non intervention de l’Etat qui fasse faire cette désindustrialisation.”
Tout ne roule pas comme sur des pneus.
Il est là, le fond du problème ! On pourrait presque faire ce qu’on peut, tant qu’il n’y a pas d’acteurs assez puissants pour contrer les stratégies du patronat, cette pratique prolifère, encore et toujours. Plus que jamais, malheureusement.
Le seul qui peut avoir un rapport de force suffisant face à une multinationale, c’est l’État. Sauf que cela fait un quart de siècle que les politiques, qui dirigent pourtant l’État, affirment, presque désolés, que celui-ci « ne peut pas tout faire ».
Pourtant, ce n’est pas comme s’il y avait matière. Pour rappel, l’un des principaux concurrents à Michelin est l’états-unien Goodyear. Quand on observe l’attitude économique des acteurs outre-Atlantique, il serait tout de même sage pour l’État de faire le pari de ses propres forces, plutôt que d’être impuissant face à la mondialisation. En particulier si la concurrence se transforme en conflit économique. Voire pire, comme on peut le craindre avec Donald Trump !
Horizon flou
Face à la violence de l’annonce de la fermeture du site, on peut comprendre que les militantes et les militants ont eu du mal à prendre du recul.
Malgré la solidarité de la population voire du tissu économique local à cette lutte, il semble bien que cela n’a pas suffi à faire plier la direction de Michelin. Là encore, les militants ont raison de penser que “l’Etat [les] laisse tomber, l’Europe [les] laisse tomber”, surtout en cette période d’incertitude.
Toujours est-il qu’il serait sage aujourd’hui de s’émanciper du “déni”, comme les militants le regrettent auprès de leur collègue. Cette mentalité du “c’est comme ça, on n’y peut rien” s’alimente, paradoxalement, quand les salariés en lutte demandent bien vainement le soutien d’une quelconque institution. En particulier quand on parle de la France sous la Macronie. Difficile de dire que cela va entraîner qui que ce soit dans la lutte, c’est peut-être même un terreau à la résignation.
Si on s’arrêtait là, le lecteur aurait lu un article bien déprimant. En même temps, la conclusion s’impose d’elle-même: il n’y a rien à attendre de l’Etat. Du moins, celui en place, qui se conforte dans les règles de l’ultra-libéralisme, qui se complaît dans les lois libres du marché. Faudrait-il en changer les règles pour sauver nos usines ?