Pénuries
Un Français sur quatre y a déjà été confronté : les ruptures de stock et d’approvisionnement de médicaments sont un fléau, qui touche en particulier les affections de longue durée (traitements contre le cancer, contre l’hypertension, antiépileptiques…). Ces pénuries, qui concernent autant les pharmacies de ville que les services hospitaliers, sont aujourd’hui vingt fois plus nombreuses qu’il y a dix ans.
Les médias ont traité ce sujet à grands renforts de témoignages de patients devant faire le tour des pharmacies pour se soigner, parfois contraints d’y renoncer, entraînant une augmentation des symptômes voire une hospitalisation nécessaire. Rares sont ceux qui ont remonté le fil du phénomène, pour définir ses causes profondes. Parce que le responsable existe : le monopole capitaliste de la production et d’approvisionnement des médicaments.
En France, le service public de la santé est tout relatif et bien partiel. Si nous avons la chance d’avoir des soins de qualité et d’être en partie remboursés des frais médicaux grâce à la Sécurité sociale, les laboratoires pharmaceutiques sont entièrement privés et suivent donc la même logique du profit à court terme et à tout prix.
Dans une tribune au Journal du Dimanche du 18 août 2019, un collectif de médecins hospitaliers appellent à relocaliser la production en Europe, tout en pointant les manquements graves des firmes pharmaceutiques à leurs devoirs. « Les laboratoires travaillent, par soucis d’économie, à flux-tendu – comme les industriels de l’électroménager ! » dénoncent-ils, tout en demandant à ce que « soit créé un établissement pharmaceutique à but non lucratif […] garant de la qualité des médicaments et de prix justes et pérennes. »
Ces médecins, excédés par les pénuries, ciblent sans les nommer les véritables fautifs. En premier lieu, Sanofi, champion français du médicament, qui a transféré vers les pays à bas coûts la production chimique et pharmaceutique des précieux remèdes, et désormais la recherche elle-même en fermant un à un ses établissements de l’hexagone (https://www.facebook.com/…/a.2164065827165…/2195183407387563). Derrière cette multinationale se trouvent des individus bien en chair, les détenteurs d’opulents portefeuilles d’actions, les gros propriétaires des parts financières de l’entreprise, qui se sont partagés pas moins de 3 milliards 773 millions d’euros de dividendes, uniquement en 2018. Ce sont eux qui se gavent, par exemple, sur le Doliprane, antalgique au paracétamol vendu cinq fois plus cher en France qu’en Espagne.
Tant que les capitalistes auront le monopole de la production de médicaments, ils continueront à la tordre pour satisfaire leur insatiable appétit de profits, quitte à sciemment organiser des pénuries. Face à leur stratégie criminelle, ils méritent d’être dépossédés de leur pouvoir sur cette branche de l’économie qui concerne l’ensemble de la population. La nationalisation du secteur pharmaceutique, pour produire en France des médicaments de qualité, investir dans la recherche pour des molécules qui amélioreraient sensiblement la vie de millions de patients, et les proposer à bas prix pour un remboursement à 100%, renforcerait grandement le service public de la santé si avantageux aux travailleurs modestes.
Bien entendu, ce n’est pas le chemin pris par le gouvernement d’Emmanuel Macron, dont la ministre de la Santé Agnès Buzyn, citée dans un article de Mediapart daté du 7 mars 2016, a déclaré que « l’industrie pharmaceutique tient son rôle, et je n’ai jamais crié avec les loups sur cette industrie ». Buzyn a ensuite enfoncé le clou : « Il faut expliquer que vouloir des experts sans aucun lien avec l’industrie pharmaceutique pose la question de la compétence de ces experts ». Autrement dit, pour être pris au sérieux sur l’organisation de la santé en France, même si l’on est médecin, il vaut mieux être rémunéré par Sanofi ou Servier.
La conclusion, nous la laissons à Bernie Sanders, challenger démocrate pour la présidence des États-Unis d’Amérique. « Tout ce qui nous effrayait du communisme – perdre nos maisons, nos épargnes et être forcé de travailler pour un salaire minable sans avoir de pouvoir politique – s’est réalisé grâce au capitalisme. » C’est désormais vrai pour les pénuries de masse des produits d’intérêt vital.