Croix de David taguées sur les murs de Paris : la responsabilité écrasante et étouffée des États occidentaux dans l’antisémitisme ambiant

Les autorités françaises s’inquiètent à juste titre d’un phénomène effroyable : la recrudescence de la haine anti-juifs dans l’hexagone, où des centaines de croix de David, symbole de la religion israélite, ont été peintes ces dernières nuits sur des murs de bâtiments supposés habités ou investis par des membres de la communauté juive, notamment à Paris.

Les heures sombres

Si ces actes de violence symbolique, qui appelle à la violence physique, sont absolument inexcusables, il est par contre impératif d’en comprendre les causes – sinon, nous nous condamnerons collectivement à laisser la haine se reproduire, sous des formes toujours plus féroces. Or, les médias de la doxa dominante et le gouvernement français se refusent catégoriquement à établir les causes et les responsabilités dans le déchaînement auquel nous assistons, pour mieux dissimuler leur propre culpabilité dans l’élaboration d’un climat d’animosité générale.

D’abord, il nous faut caractériser l’antisémitisme tel qu’il s’exprime dans les rues françaises, après avoir déjà largement pris de l’ampleur ces vingt dernières années sur les réseaux numériques. Si la croix de David peinte sur les façades rappelle, nous n’employons pas cette formule à la légère, les heures les plus sombres de l’Histoire, il existe une distinction complète entre des individus ou des groupes isolés à l’intérieur du peuple commettant des actes criminels répréhensibles par la loi d’une part, et un système politique organisant par sa propre législation, ses propres autorités, ses propres forces de l’ordre la mise à l’écart des familles de confession ou d’ascendance juive, jusqu’à la déportation vers les camps de la mort, d’autre part.

Sans prendre en compte cette distinction, nous passons complètement à côté de la caractérisation politique des événements produits ces dernières heures et nous nous empêchons d’y répondre de la seule manière qui permette d’empêcher leur reproduction, c’est-à-dire de combattre sans faillir leurs causes sociales par l’intelligence collective et par l’action volontariste. Au contraire, il nous faut distinguer un appareil répressif d’État totalitaire qui organise par les pouvoirs publics la chasse à une communauté dans une entreprise génocidaire, tel qu’il existait en Allemagne dès les années 1930 et en France dès 1940, d’actes criminels punis par la loi perpétrés par des individus mus par la haine.

Définir enfin le « relativisme »

Se refuser à caractériser politiquement ces crimes, c’est verser dans le « relativisme » sorti à toutes les sauces et qu’il convient de définir une fois pour toutes. Le « relativisme » est invoqué par un protagoniste du débat public pour qualifier le trait égal formulé par un adversaire idéologique entre un fait actuel et un fait historique : assurément, c’est faire preuve de « relativisme » que de voir dans les crimes du Hamas un acte de résistance tel que conçu dans notre imaginaire collectif, sachant que les résistants français à l’Occupation nazie ont toujours mis un point d’honneur à cibler des responsables et infrastructures du Troisième Reich plutôt que des civils. Ce « relativisme » s’applique donc aussi à un crime actuel et des crimes antérieurs, qui ont atteint le sommet de l’horreur et que le travail des historiens a permis d’analyser a posteriori, qui seraient « égaux » parce que similaires : les peintures de croix de David seraient « relatives » à la Shoah, au génocide le plus meurtrier commis sur le sol européen au XXème siècle. Si les auteurs de ces peintures nourrissent certainement le projet de créer la terreur chez les juifs de France et une férocité qui pourrait les conduire à souhaiter pogroms et massacres de masse sur la base d’une appartenance religieuse, et peuvent se référer à l’idéologie nazie ou antisémite la plus rance, leurs actes n’en sont pas pour autant égaux à ceux d’un appareil d’État, dans le cadre des infrastructures capitalistes contemporaines, qui a établi au nom d’une nation toutes les superstructures administratives, judiciaires, policières pour organiser ces pogroms, ces déportations, ce génocide à échelle industrielle. La nature de ces crimes, malgré leur ressemblance apparente, est profondément contradictoire, voire opposée.

L’autre invocation du « relativisme » généralement répandue chez les éditorialistes des médias libéraux ou conservateurs cherche à qualifier, non pas un trait égal, « = », mais au contraire un signe différent, « ≠ », entre les crimes de même nature. Quand les représentants de la France insoumise semblent ne pas condamner à 100% les crimes du Hamas, en refusant de parler d’attentats terroristes pour les tueries et enlèvements du 7 octobre – une faute rhétorique qui rend tous leurs appels à la paix développés par la suite confus et inaudibles – mais dénoncent fermement, et à raison, les crimes commis par l’armée israélienne (Tsahal) dans la bande de Gaza, leurs contradicteurs y voient une « différenciation » généralement affublée du fameux terme « relativisme ». Ce dernier est donc employé pour dire tout et son contraire : pourtant, qu’il s’agisse des éditorialistes ou des dirigeants politiques français de premier plan, de ceux qui ont pignon sur rue dans la propagande idéologique sous-tendue par l’objectif de faire passer le capitalisme pour « le meilleur des systèmes », « de toutes façons indépassable », et la démocratie libérale comme son expression la plus pure, le relativisme qu’ils dénoncent est aussi largement appliqué dans leurs propres thèses.

Ainsi, ils mettent généralement un signe égal entre tous les actes antisémites aujourd’hui et ceux qui ont été commis hier au nom et par les moyens d’un État, s’appuyant sur le ressort des émotions et de l’empathie humaniste légitimement provoquées par la haine, qui n’appelle du point de vue de l’intérêt populaire que la solidarité à l’égard de celles et ceux qui la subissent. Ils mettent aussi un signe différent, dans leur traitement de l’information, dans leurs éléments de langage, dans leurs concepts politiques entre un enfant israélien abattu par un terroriste et un enfant palestinien abattu par Tsahal : le premier serait l’expression ultime de l’horreur mondiale, ce qui n’est pas faux, le second serait la triste mais finalement justifiable victime collatérale d’une réponse légitime d’un État attaqué, ce qui est tout de même plus discutable.

« Importer » le conflit ou la haine ?

De surcroît, dirigeants politiques et médiatiques occidentaux en général et français singulièrement se font forts d’appeler à ne pas « importer » le conflit israélo-palestinien chez nous, renforçant l’idée qu’il s’agirait essentiellement d’un conflit religieux entre deux communautés qui se détesteraient depuis la nuit des temps et ne pourraient jamais cohabiter : les juifs et les musulmans. Ce principe n’est pas clairement verbalisé par nos dirigeants mais apparaît en filigrane de l’ensemble de leurs prises de position, cédant à une vision du monde théorisée et véhiculée par la droite nationaliste occidentale, selon laquelle le « choc des civilisations » est inéluctable et la coexistence pacifique impossible.

Ceux qui voient dans les discours officiels une forme de déformation de la réalité mais ne raisonnent pas, pour fonder leur vision du monde et des conflits terribles qui le traversent, en termes d’antagonismes de classe et d’enjeux économiques, politiques, géostratégiques dictés par l’impériale volonté de la classe capitaliste de transformer toute richesse naturelle ou humaine en marchandise, tombent dans le piège de cet essentialisme des rivalités et des guerres. Les individus, les groupes, les communautés, les nations se réduiraient, selon ce principe, à des identités religieuses, ethniques, nationales dictant tous les comportements, tous les crimes, et ne pourraient être considérées comme les constructions historiques, sociales et culturelles complexes qu’elles sont en réalité.

En voyant le conflit israélo-palestinien comme une opposition entre deux communautés religieuses au lieu d’une guerre impérialiste et colonialiste dévastatrice de part et d’autre, le discours officiel de ceux qui semblent faire autorité et le discours antisémite qui se propage sur le terrain, sur les réseaux sociaux et dans l’espace public, se nourrissent mutuellement. De plus, nos médias dominants et nos gouvernants alimentent la confusion la plus totale entre antisionisme comme mouvement politique et populaire d’opposition à la colonisation israélienne et antisémitisme putride. Cette confusion, visant à disqualifier les paroles et les actes militants antisionistes, a pour conséquence de développer les paroles et les actes criminels antisémites.

Le nettoyage ethnique en cours selon l’ONU

La critique violente et souvent maladroite de Benyamin Netanyahou, par exemple quand il est comparé à Adolf Hitler, ne relève pas de l’antisémitisme. Il se fait connaître, et restera certainement dans l’histoire, non pas pour son judaïsme mais pour sa responsabilité dans un massacre de masse – après avoir permis des années durant le développement du Hamas. Hier mardi 31 octobre 2023, le porte-parole de l’Unicef James Elder déclarait que « Gaza est devenu un cimetière pour des milliers d’enfants », avançant le chiffre de « 3450 enfants tués en dix jours ». Cela signifie concrètement que l’armée israélienne, répondant aux ordres du gouvernement dirigé par M. Netanyahou, tue un enfant palestinien toutes les dix minutes depuis dix jours. Des observateurs indépendants de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qualifient les crimes de guerre, voire les crimes contre l’humanité commis par Tsahal, de « nettoyage ethnique » dans la bande de Gaza, qui subit toute entière un siège militaire empêchant l’acheminement d’eau, de nourriture, de matériel médical, de carburant, ce qui est contraire à toutes les règles du droit international. Parmi les dirigeants du monde, qui sont autant légitimes que M. Emmanuel Macron à incarner la « communauté internationale », se trouve M. Lula, Président de la République fédérative du Brésil, qui a déclaré le 26 octobre à propos des crimes à Gaza : « ce n’est pas une guerre, c’est un génocide ».

Dans la culture populaire et notamment en Occident, Adolf Hitler est devenu l’archétype du « Mal », du génocidaire, du criminel absolu. Si le régime nazi et ses horreurs sont l’aboutissement d’une construction politique et culturelle dans une Europe ravagée depuis des siècles par l’antisémitisme de ses élites, ils sont résumés dans l’idéologie capitaliste à la folie d’un homme, pour mieux défausser la responsabilité majeure de la grande bourgeoisie dans la prise de pouvoir par l’extrême-droite européenne de la première moitié du XXème siècle. Que l’idéologie dominante, qui a toujours réduit l’histoire des civilisations humaines et des classes sociales à l’histoire des « grands hommes », soit particulièrement prégnante dans l’analyse, les qualificatifs et les comparaisons globalement employés est d’abord la responsabilité de la classe dominante.

Toujours est-il que comparer un dirigeant politique, que l’on accuse de génocide, à Hitler est au mieux maladroit, au pire malveillant – mais il s’agit là d’une manière largement répandue de qualifier politiquement l’horreur commise au nom d’un régime. Or, M. Netanyahou se rend responsable de la mort de milliers d’enfants, de « nettoyage ethnique », de « génocide » selon les mots d’observateurs ou dirigeants, certes en-dehors du sérail bourgeois occidental, mais que nous ne pouvons pas sérieusement accuser de complotisme ni d’antisémitisme.

Qui banalise l’antisémitisme ?

Dès lors, où se situe le relativisme quand M. Netanyahou est comparé à Adolf Hitler ? Finalement, autant du côté de ceux qui tracent un trait égal entre ces deux individus que de celui qui considère que M. Netanyahou, sous prétexte qu’il dirige un État juif, ne pourrait pas, contrairement à n’importe quel autre dirigeant dont les crimes ont été établis, être comparé au comble de l’horreur. Entendons-nous bien : nous ne reprenons pas à notre compte cette comparaison. Par contre, les éditocrates français qui n’ont pas hésité, plus ou moins explicitement, à comparer Vladimir Poutine au dirigeant du Troisième Reich pour une guerre certes sanguinaire mais qui a, selon les observateurs internationaux, tué en vingt mois six fois moins d’enfants que Tsahal en quinze jours à Gaza, ne peuvent se permettre de donner de leçons ou porter des accusations de « relativisme ». Le racisme et l’antisémitisme se basent sur l’inégalité de traitement selon les appartenances réelles ou supposées à une religion, une ethnie, une culture différentes : puisqu’à l’heure de l’accélération de l’information les analogies au régime nazi fusent dans tous les sens, qui entretient l’inégalité de traitement ?

Si comparer M. Netanyahou au « Führer » nazi est malavisé et abaisse le débat d’idées à un niveau indigne de la seule position juste dans la situation actuelle, à savoir l’appel à un cessez-le-feu immédiat, à la libération des otages israéliens à Gaza et des prisonniers politiques ou administratifs palestiniens, puis à un processus de paix fondé sur la reconnaissance des droits civiques et sociaux égaux pour toutes et tous sur le territoire israélo-palestinien, il ne nous faut pas oublier que ce seuil minable de la théorie politique a été prédéterminé par l’idéologie capitaliste, libérale ou réactionnaire en Occident. Enfin, cette comparaison n’est pas antisémite puisqu’elle se fonde sur la caractérisation politique d’un régime et de son dirigeant comme génocidaire ; ce n’est rien de plus que de l’antisionisme, violemment exprimé, idiot, contre-productif, mais pas de l’antisémitisme.

Quand les médias libéraux ou conservateurs français hurlent avec les loups à l’antisémitisme chaque fois que Benyamin Netanyahou, son gouvernement d’extrême-droite et son État colonialiste sont accusés de commettre et d’incarner l’horreur absolue, ils propagent en fait des considérations antisémites : M. Netanyahou représenterait une communauté juive unie. Pourtant, le Premier ministre d’Israël ne représente qu’une fraction (un mouvement politique) d’une fraction (l’État hébreu) de la communauté juive de France et du monde, en l’occurrence sa fraction la plus influente, puissante et violente. Or, mettre un trait égal entre ces attributs et la communauté juive, c’est antisémite. Cela propage la haine, repoussant à trop loin, à trop tard la réunion des conditions matérielles et idéologiques nécessaires à l’avènement de la justice et de la paix universelles, ce à quoi aspire l’écrasante majorité des juifs de France et sur Terre, comme toute composante de la classe travailleuse.

Faire œuvre de diversion

En conclusion, il nous revient de prendre de la hauteur en ouvrant la définition de l’antisémitisme non seulement comme la haine des juifs, mais plus généralement comme un racisme visant l’ensemble des sémites, mythologiquement les descendants de Sem, groupe ethnique d’Asie occidentale auquel appartiennent également les arabes.

En ce sens, l’État d’Israël, parce qu’il mène contre le peuple palestinien une politique de colonisation et d’occupation depuis près de quatre-vingts ans, et parce qu’il applique à l’intérieur de ses frontières un système de ségrégation visant non seulement les arabes non-juifs mais aussi les juifs non-européens, particulièrement les Érythréens, ne peut en aucun cas s’affirmer comme un parangon d’inclusion et de lutte contre cette forme spécifique de racisme. Au contraire, en tant que système politique fondé sur l’expansion territoriale et sur une séparation ethnique qualifiée d’apartheid par de nombreux organismes, dont Amnesty International, l’État israélien nourrit objectivement une idéologie antisémite. Commettre ces crimes civiques et militaires au nom du peuple juif mondial relève de l’ignominie, en tordant la réalité pour la résumer à une affaire religieuse et en attisant la haine.

En cela, Israël et son gouvernement exportent d’eux-mêmes une vision essentialiste du monde où les règles du droit international pourraient être relativisées et les crimes contre l’humanité excusés au nom de la souffrance instrumentalisée du peuple juif, effectivement opprimé historiquement, non pas par les classes populaires de Palestine, mais par les classes dominantes occidentales. Ces dernières ont beau jeu de se racheter une virginité par leur soutien « inconditionnel » à Israël, que nous pouvons caractériser aussi comme un État occidental, alors qu’elles s’acharnent à diviser profondément les masses exploitées selon des critères religieux, spirituels, ethniques, culturels, nationaux, créant dans l’imaginaire collectif une vision du monde distordue pour mieux faire œuvre de diversion.

Les classes populaires, quant à elles, ont intérêt plus que jamais à se serrer les coudes, en combattant avec acharnement non seulement les actes racistes et antisémites, mais aussi les racines sociales de ces violences essentialistes. En tant que productrice de richesse et force révolutionnaire authentique de notre ère, la grande classe sociale de l’humanité, celle du travail, peut faire reculer tous les obscurantismes, toutes les extrêmes-droites qui se liguent contre elle, pour libérer, à la croisée des chemins, notre civilisation des vieux démons qui la hantent.

Pour approfondir la réflexion sur la guerre en cours au Proche-Orient, nous vous renvoyons vers notre précédent article. Israël-Palestine : “Droit à la défense” ou aux massacres de civils ? Pour la paix, la reconstruction civique ! 

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