Piqué à vif

La révolution, ce n’est pas une formule incantatoire: il ne suffit pas de l’appeler pour qu’elle apparaisse. C’est sur cette brutale leçon de vie que s’est heurté le champion de football Gérard Piqué, depuis sa reconversion professionnelle.

Mais si ! Vous le connaissez, et pas seulement parce qu’il est l’ex-mari de Shakira. C’est aussi un ancien joueur de football, qui a découvert l’âme d’un entrepreneur dans le sport. Son plus gros coup (fiasco?) étant le rachat de la Coupe Davis – les championnats du monde de tennis – dont l’engouement autour de la compétition a disparu.

Quand on voit sa communication, étrangement risible, sur le compte X de Kings League InfoJobs, on doit se dire que même lui se rend compte qu’il faut peut être quelque chose que n’a pas le Che Guevara du football.

Il faut que tout change pour que rien ne change

Le constat, aux yeux du jeune entrepreneur, est que le football entre dans une phase d’inertie qui va lui coûter sa place de roi de tous les sports. C’est pourtant un argument qu’on entend comme une maraude, ressassée par la majeure partie des acteurs institutionnels du milieu du football.

C’est un peu le comble: il y aurait un consensus pour que le football se transforme sans que l’annonce ne soit suivie d’effet. Gerard Piqué, lui, semble plus audacieux. Ce fervent soutien de l’indépendance catalane sait sûrement que la libération du football se fera par les footballeurs eux-mêmes.

Aussi décide t-il d’organiser une nouvelle structure footballistique: la Kings League, dont la compétition reine, la Kings World Cup, a lieu entre 26 mai et le 8 2024. C’est une compétition de foot à 6 avec des règles inspirées des sports en vogue aux États-Unis (basketball, water-polo, baseball…).

De Manchester à Barcelone

Pour ceux qui ne connaissent pas Gérard Piqué, c’est l’un des palmarès les plus denses de l’histoire du football. C’est simple, l’ancien défenseur central a gagné quasiment tous les trophées nationaux, continentaux, internationaux, que ce soit en club (Manchester United mais surtout au FC Barcelone) ou bien en équipe nationale d’Espagne.

C’est aussi un personnage public. Du temps où il était marié à Shakira, sa relation était particulièrement commentée par les médias. Son nom a aussi été cité dans un scandale de corruption – avec Lionel Messi d’ailleurs, l’un de ses coéquipiers au FC Barcelone – quant à l’organisation d’une compétition, la Supercoupe d’Espagne, en Arabie Saoudite. Il aurait touché une commission de 40 millions d’euros.

Les revenus des top-joueurs (qui jouent dans des top-clubs), avec leur contrat de travail juteux, en plus de leurs contrats publicitaires où ils vendent leur image, sont tellement insensés qu’ils peuvent se retrouver avec un pécule assez conséquent pour investir comme n’importe quel champion de la finance.

C’est d’ailleurs une classe très fermée: hormis le Paris-Saint-Germain (PSG), club détenu par un fonds d’investissement souverain Qatari, aucun club français ne pourrait s’offrir un contrat comme celui de Gerard Piqué (à l’époque où il était encore joueur, bien entendu).

Une démarche soutenue

Là où Gerard Piqué a semblé toucher juste, en organisant la Kings World Cup, c’est le public qu’il a visé. En effet, le football est un sport particulièrement populaire auprès de la communauté numérique. Nous en voulons pour preuve les succès de vidéastes comme AmineMaTue: sa chaîne principale sur Youtube avoisine les 1 800 000 abonnés et les 2 700 000 sur Twitch.

Ce n’est d’ailleurs pas un cas isolé, le nombre de contenus autour du football produits est délirant, que ce soit par podcast, en vidéo ou bien sur des blogs spécialisés. C’est d’ailleurs un élément qui favorise l’engagement auprès de la communauté et qui pérennise le succès d’événements sportifs pourtant critiqués et critiquables, comme peuvent l’être les Jeux Olympiques, qui auront lieu à Paris entre juillet et août 2024.

Amine est aussi un fervent promoteur du football sur Twitch et Youtube, en initiant par exemple le Eleven All Stars. Ce match d’exhibition opposant les streamers français et espagnols a rempli le stade Jean-Bouin (19 500 places) à Paris et qui est homologué pour accueillir des matchs de première ou deuxième division de football.

Malgré le cash prize de la Kings World Cup d’un million d’euros, cette initiative, boudée par les instances du football (le président de la ligue espagnole, Javier Tebas, a ainsi qualifié l’initiative de “cirque”), reste un nain de jardin par rapport à la valorisation du football à 11, qui reste la discipline reine.

En effet, la Ligue de Football Professionnelle, instance gérant les championnats d’élite français, en envisageant de diffuser elle-même les matches, espère générer autour de 650 millions d’euros par an !

Il n’aura cependant échappé à personne que la télévision connaît une vraie crise d’affection, de plus en plus désertée pour d’autres diffuseurs de contenus, dont les plateformes de streaming, comme Amazon Prime, qui a diffusé les matches de la Ligue 1 en France, ou bien Twitch, qui cumule 15 millions de visionnages pour un match de la Kings League.

Il y a donc un rapport asymétrique entre ce que rapporte la télévision au football et son engagement réel auprès de l’audimat.

Le football est mort, vive le foot !

A partir de ce constat, on ne comprend pas pourquoi les instances internationales du football, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) en premier lieu, ne se jettent pas sur la poule aux œufs d’or…

Au-delà du modèle, il faut dire que les personnalités régissant ce milieu ont plus l’air de mafieux que d’amoureux du ballon rond.

La bulle spéculative autour du football a explosé avec la pandémie de coronavirus. La preuve la plus probante est d’ailleurs le FC Barcelone, club de cœur de M. Piqué, qui souffre de difficultés de financement chroniques.

En parallèle de ça, les habitudes de consommation ont changé. Le spectateur n’est pas prêt à dépenser 25 euros pour un bouquet de matches. Il aime voir les insides des clubs, obtenir du contenu exclusif sur les compétitions. Bref, ça ne l’intéresse pas de simplement suivre un match de football.

Pour le coup, c’est bien la National Basket Association (NBA), qui organise les championnats nationaux de basket-ball aux Etats-Unis, qui l’a bien compris. Elle propose des League Pass, c’est-à-dire un abonnement pour regarder les matches, quand l’auditeur le souhaite et profite d’analyses quasiment en continu de l’écosystème basketball.

Bien sûr, ce phénomène est uniquement possible dans une ligue fermée où la dispersion des revenus est moins forte, endiguant les instincts de prédation économique des franchises du ballon orange. In fine, cela ne favorise pas l’accès totalement populaire et démocratique au sport.

C’est de ça dont il s’agit. Le sport en général et le football en particulier sont un écosystème complexe, où interagissent une multitude d’acteurs: certains pour faire de l’argent, d’autres pour profiter et transmettre une passion. Pour les uns, le football doit être un objet lucratif. Pour les autres, le football est un vecteur d’engagement.

Gérard Piqué est biberonné au professionnalisme, pas sûr qu’il ait une conception du football amateur : des bénévoles qui se lèvent tôt pour aller emmener les enfants à l’autre bout du département et qui se couchent tard pour finaliser une feuille de match afin de l’envoyer à la ligue. Le tout, un dimanche.

Tant que ceux qui prônent la révolution sont issus de l’univers de Gérard Piqué, le football ne changera pas d’un iota. Au fond, peut-être que ce n’est pas plus mal : si le football professionnel finissait par s’effondrer sous le poids de sa crise, cela ne signifierait pas forcément la fin du football mais juste celui du football professionnel, avec son lot de scandales de corruption.

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