Le RN est un parti fasciste : pourquoi nous devons le nommer ainsi

De nombreux militants et personnalités de gauche s’interrogent : faut-il qualifier le Rassemblement National de parti fasciste ? N’est-ce pas contre-productif de lier un tel adjectif au mouvement politique ayant réuni le plus de votants lors des élections européennes du 9 juin dernier ?

Nous démontrerons pourquoi le RN est un parti fasciste et combien il est important de le nommer en tant que tel, pour s’y opposer dès maintenant sans naïveté et planter les germes de la Résistance dans l’hypothèse, probable, d’une victoire (ou l’hypothèse, certaine, d’une poussée historique) de l’extrême-droite le 7 juillet.

La flamme fasciste

Commençons par le plus évident : le logo, actuel, du Rassemblement National. Identique depuis les débuts du Front National qui n’est devenu le RN qu’en 2018, la flamme bleu-blanc-rouge s’inspire directement du logo du Mouvement Social Italien (MSI), parti néofasciste fondé en 1946 en Italie en filiation directe avec le régime fascisme de Benito Mussolini, au pouvoir dans la péninsule d’octobre 1922 à avril 1945.

Le MSI s’auto-dissout en 1995 mais un nouveau parti prend immédiatement la suite : le MSFT, acronyme italien pour Mouvement social flamme tricolore, parti d’ultra-droite membre de l’Alliance européenne des mouvements nationaux créée, entre autres, par le FN.

Par ailleurs, nous devons retourner aux racines du parti des Le Pen père, fille, nièce et gendre (Jordan Bardella) pour saisir ce qui distingue réellement ce mouvement politique.

La génèse, des SS à l’OAS

Si d’anciens Waffen-SS, membres de l’armée raciale et politique du parti nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, sont bien à l’origine du Front National, à l’image de Pierre Bousquet, engagé dans la Division Charlemagne pour combattre la Russie soviétique dans les rangs de la Wehrmacht (armée allemande), le FN est également fondé, le 5 octobre 1972, par des anciens collaborateurs sous l’Occupation, notamment François Bigneau, milicien sous Vichy.

D’autres membres historiques du FN appartiennent alors au groupuscule néofasciste Ordre-Nouveau, et beaucoup d’entre eux étaient engagés à l’Organisation armée secrète ou OAS, structure rassemblant des officiers militaires opposés aux mouvements de libération des colonies et attachés à l’Algérie française.

Le 22 août 1962, quelques semaines après avoir reconnu l’indépendance de l’Algérie, Charles de Gaulle, alors chef de l’État, échappe avec sa femme par miracle – et grâce à un chauffeur n’ayant rien à envier aux meilleurs pilotes automobiles – à une tentative d’assassinat. L’attentat du Petit-Clamart, durant lequel la Citroën DS 19 présidentielle est criblée de balles par armes automatiques, fut organisé par l’OAS. De tous temps et partout, le terrorisme, groupusculaire ou d’État, est le moyen d’action privilégié par l’extrême-droite dès lors qu’elle est parvenue à une masse critique, lui permettant de gagner le pouvoir ou de le faire vaciller.

Manipulation des mots

En se revendiquant aujourd’hui de la figure du général de Gaulle, tout en étant présidé par un homme qui a déclaré qu’il « ne croi[t] pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite », le RN de Jordan Bardella brouille les pistes.

Manipuler l’histoire et manipuler les mots est une vieille ficelle de l’extrême-droite. Hier cherchant à éliminer De Gaulle, aujourd’hui gaulliste, tout en étant « ni droite ni gauche » et « social », le principal parti d’extrême-droite en France n’a rien à envier, dans une telle instrumentalisation des concepts, à Adolf Hitler quand ce dernier a décidé de nommer son organisation le parti national-« socialiste » des travailleurs allemands, soit selon l’acronyme germanique, NSDAP.

Dans les années 1920 puis 1930, le NSDAP se présentait en Allemagne comme une « troisième voie » entre le communisme révolutionnaire et le capitalisme de la République de Weimar. Logiquement, la critique du système économique en place dans les pays occidentaux n’était qu’un argument de façade électorale pour le parti d’Hitler.

Capitalisme et fascisme

Quand il est nommé chancelier, c’est-à-dire chef de gouvernement alors qu’il n’a pas la majorité absolue au Reichstag – le Parlement outre-Rhin – par un Président de droite, Hindenburg, qui pensait pouvoir ainsi neutraliser sa progression, Adolf Hitler organise immédiatement un congrès du NSDAP où la principale banderole, sur des dizaines de mètres, faisait désormais le serment de « libérer l’Allemagne du marxisme ».

Une fois au pouvoir, le capitalisme allemand en tant qu’infrastructure économique et le régime nazi en tant que superstructure politique se sont nourris mutuellement. Les quelques imbéciles anticapitalistes et racistes, organisés dans les SA, seront éliminés par la police politique devenue officielle des SS lors de la « nuit des longs couteaux » dès juillet 1934. Hitler a compris que capitalisme et nazisme étaient compatibles.

« Nazi » n’est pas le diminutif de « socialiste »

Pour s’être appelé parti « national-socialiste », Adolf Hitler est régulièrement qualifié par l’extrême-droite, de nos jours… de socialiste. Faut-il rappeler que les militants du mouvement socialiste, précisément celui appartenant à la IIème Internationale, furent parmi les premiers, aux côtés des communistes et des syndicalistes, à peupler les camps de concentration, dont Dachau qui ouvre dès mars 1933 pour « recevoir » les opposants politiques ?

Ce qui demeure le plus important dans le NSDAP et qui lui vaudra, en allemand, en français comme dans toutes les langues du monde, son diminutif « nazi », est à juste titre le mot « national » qui le distingue de tout le reste du spectre politique, intégrant d’ailleurs rapidement tous les nationalistes avant même de devenir un parti unique.

Or, qui se revendique aujourd’hui comme incarnant le bloc « national », au point de l’avoir gardé dans son nom malgré un ravalement de façade ? Le Rassemblement National et ses dirigeants, dont certains, comme le vice-président du parti depuis 2022 Julien Sanchez, ont été condamnés tout récemment pour incitation à la haine raciale.

Le fascisme protéiforme

Adolf Hitler dans l’Allemagne des années 1930, comme Benito Mussolini dans l’Italie des années 1920, a fait de son combat contre la gauche, contre les ouvriers grévistes, contre les organisations syndicales – logiquement interdites dans les deux régimes – sa principale force motrice, celle qui lui a attiré les faveurs de la bourgeoisie financière et industrielle nationale et mondiale.

Comme Franco en Espagne, comme Pinochet au Chili, comme Bolsonaro au Brésil ou encore Orbán en Hongrie, le fascisme s’attaque de front aux droits sociaux des travailleurs comme aux libertés démocratiques et aux droits civiques, individuels et collectifs.

Naturellement, le fascisme prend des formes diverses selon les époques et les pays, mais ses partis et ses régimes présentent des caractéristiques distinctives : une politique nationaliste, raciste, autoritaire et ultra-sécuritaire (non pas pour garantir la sécurité des citoyens, mais pour maintenir le pouvoir des dirigeants), anti-populaire et pro-aristocratie, du côté de cette noblesse de sang ou d’argent.

Le plan du RN pour sa propagande

En France, le Rassemblement National promet d’ores et déjà de s’attaquer aux deux principes fondateurs de la démocratie représentative : l’égalité civique, à géométrie variable et sous le coup d’exclusion arbitraire de telle ou telle catégorie des classes populaires, et l’information libre permettant le vote éclairé lors des élections.

Sur l’information, la première mesure du RN sera de privatiser l’ensemble du pôle audiovisuel public, notamment télévisé et radiophonique, qui n’est plus – quoi qu’on en dise – l’organe central du gouvernement depuis la fin de l’ORTF.

D’autre part, le fonds de soutien à l’expression radiophonique, seul garant de la survie des radios associatives, sera purement supprimé. Seuls subsisteront les médias commerciaux censés faire vivre le débat, mais bien aux ordres des propriétaires ou des annonceurs qui se révèlent être les mêmes ultra-riches chouchoutés par l’extrême-droite.

La grenouille dans l’eau qui chauffe

Il nous semble enfin important d’insister sur un point totalement ignoré par la plupart des analystes politiques : tout comme le système économique capitaliste, le régime politique fasciste est mondialisé.

Le fascisme n’est pas, ou en tout cas n’est plus, lié à telle civilisation ou telle tradition, même occidentale. C’est un mouvement politique qui trouve ses déclinaisons partout où des nationalistes et intégristes cherchent à imposer à l’ensemble du pays des lois et réformes rétrogrades.

D’autres éléments permettent de qualifier un régime fasciste, différent de tout autre régime. Nous retrouvons la violence d’État déchaînée au plus haut point, la discrimination des minorités gravée dans le marbre du droit, le respect d’un chef par l’ensemble du parti (puis du pays) tenu de se tenir derrière lui (ou elle) en ligne droite, la constitution de milices d’individus armés faisant office d’organisations parapolicières ou paramilitaires, et enfin la guerre nationaliste dans une logique impérialiste d’expansion territoriale ou de néocolonialisme.

Bien sûr, tous ces éléments n’arrivent pas en même temps, ni selon le même schéma, dès la prise de pouvoir d’un mouvement fasciste et pourtant, à mesure que ce dernier exerce les responsabilités et décide de la destinée d’une nation sans opposition, nous finissons toujours par les retrouver. Trop souvent, les modérés qui trouvaient injuste et inapproprié de parler de « fascisme » se rendent compte, comme la grenouille dans l’eau bouillante, beaucoup trop tard de la réalité – alors, un climat de terreur est déjà instauré.

Le fascisme mondialisé

Les mouvements et régimes d’extrême-droite des différentes civilisations jouent à se mener la guerre, quitte à engager des millions de vies humaines, mais leurs dirigeants savent l’intérêt qu’ils ont à s’alimenter et se conforter les uns les autres.

Les exemples historiques sont nombreux, nous n’en citerons que trois, très récents. D’abord, Donald Trump et Kim Jong-Un, dirigeants respectivement des États-Unis d’Amérique et de la Corée du Nord, qui ont su avoir des relations cordiales alors que tout semblait les opposer.

Le deuxième exemple est plus proche encore : le Premier ministre d’extrême-droite Benyamin Netanyahou, au pouvoir depuis une vingtaine d’années en Israël, et le Hamas, mouvement d’extrême-droite palestinien financé et soutenu par l’État israélien pour discréditer la résistance palestinienne et rejeter plus facilement la constitution légitime d’un État palestinien.

Sur ce couple isréalo-palestinien, nous pourrions, sans naïveté, ni condescendance, ni dérogation aucune envers notre attachement à l’universalisme socialiste et l’internationalisme ouvrier (au contraire), qualifier le Likoud et le Hamas comme les incarnations respectives du judéo-fascisme et de l’islamo-fascisme. Les deux se battent en apparence, mais continuent à se nourrir pour terroriser et leurs populations civiles, et la population civile désignée comme ennemie.

Enfin, le troisième et dernier exemple que nous prendrons, à dessein, est celui qui lie l’extrême-droite française, propre sur elle et la cravate bien nouée, auto-proclamée rempart contre l’intégrisme musulman et porte-flambeau de la civilisation catholique, aux mouvements islamistes voire terroristes de par le monde. L’une, comme les autres, d’Éric Zemmour jusqu’à Daech, considèrent que la place des musulmans n’est pas en France, sauf à y mener une guerre sainte.

Extrême-droite et poudre aux yeux

Bien sûr, leurs réactions exprimées publiquement face à ce « péril islamiste » sont diamétralement opposées, entre ceux qui considèrent que la France doit être combattue pour ce qu’elle est et ceux qui considèrent que les musulmans doivent être chassés jusqu’au dernier.

Toujours est-il qu’ils partagent, entre eux, la même grille d’analyse des événements du monde : l’histoire des civilisations humaines ne serait pas celle des luttes des classes, opposant depuis des millénaires celles et ceux qui (sur)vivent de leur force de travail aux nantis jouissant de droits hérités, mais tout au contraire, une lutte infinie pour l’identité et l’essence propres à chaque civilisation qui la condamnerait, nécessairement, à la guerre contre toutes les autres.

Si, en surface, Jordan Bardella et Marine Le Pen ne partagent pas les lubies de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, ce n’est que poudre aux yeux à des fins électorales tant leurs programmes se rejoignent en tous points, à la fois ultra-libéraux sur le plan économique, à la fois réactionnaires et identitaires sur le plan régalien, éducatif et culturel.

Le courage de le dire

Croire que la France, parce qu’elle est la France, ne peut jamais basculer vers la dictature fasciste est un moyen non seulement de banaliser le RN, mais aussi d’adopter son relativisme et son racisme en considérant que notre civilisation vaut mieux que la Russie de Vladimir Poutine ou tout autre pays qui aurait sombré dans l’autoritarisme par « faiblesse culturelle ».

Croire que le RN s’est respectabilisé et ne formerait pas un danger de basculement de notre pays dans un régime fasciste, c’est ignorer ou feindre d’ignorer son propre logo et son propre programme.

Nous devons nommer le RN pour ce qu’il est : un parti d’extrême-droite et l’incarnation française, en 2024, du fascisme. Sans ambages, sans détours, sans ambiguïté ni angle mort dans notre analyse et le choix de nos mots.

C’est cela, faire preuve du courage auquel Jean Jaurès invitait dans son Discours à la jeunesse en 1903, vingt ans avant que le fascisme ne vienne chercher à appliquer, en tous domaines et sur le « Vieux Continent », les méthodes de la colonisation esclavagiste.

« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »

Fracturation ou Front populaire

Attaquée sous prétexte qu’elle représente un danger égal au fascisme, diffamée en la faisant passer pour antisémite – alors qu’aucun élu LFI, ni Philippe Poutou, n’ont jamais été condamnés pour incitation à la haine raciale, délit grave qui inclut l’antisémitisme et pour lequel le FN/RN a maintes fois été condamné par la justice française – la coalition de gauche sous la bannière du nouveau Front populaire incarne pourtant tout l’inverse de l’extrême-droite.

Là où les mouvements fascistes considèrent que les personnes se jugent à l’aune de leur appartenance culturelle ou religieuse, réelle ou supposée, et qu’elles doivent être essentialisées parce qu’elles appartiendraient à des communautés monolithiques incapables de vivre ensemble, les forces de gauche, politiques, syndicales et associatives prônent l’égalité civique et sociale entre toutes et tous les Français.

S’attaquer à l’accumulation de richesse en taxant le capital et en augmentant les salaires, ce n’est ni démagogique, ni populiste, ni discriminant : c’est faire preuve simplement de fermeté politique envers une poignée de familles milliardaires qui confisquent tout quand des millions de foyers vivent sous le seuil de pauvreté.

La satisfaction de l’intérêt général en France ne viendra pas d’un quelconque retour identitaire et fantasmé aux valeurs perdues d’un passé brillant – durant lequel, au passage, le premier parti du pays était le Parti communiste français – mais d’un rassemblement pour lequel, et par lequel, les classes populaires, exploitées et opprimées, pourront enfin relever la tête et affronter les défis du XXIème siècle.

2 réflexions sur “Le RN est un parti fasciste : pourquoi nous devons le nommer ainsi

  • 18 juin 2024 à 7h32
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    Très bonne analyse, très bien documentée, comme d’habitude.
    Autre preuve que c’est un parti fasciste et autoritaire, s’il en fallait une, Marine Le Pen décide d’elle-même qui est journaliste et qui ne l’est pas, qui a le droit de l’interviewer et qui ne l’a pas. Pour exemple, l’émission “Quotidien” sur TMC, qui est bannie de sa liste des journalistes…

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  • 26 juin 2024 à 21h38
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    Pas d’accord avec le Hamas fasciste. Ce n’est pas une creatire d’Israël mais un authentique courant palestinien né dans un territoire non libre de ses choix dont la population est soumise et asservie. Il ne faut pas oublier les conditions d’asservissement imposées aux Palestiniens. La violence du régime israélien est inouïe dans le monde moderne

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