Le Capital communiste 4/10 – Troisième Révolution industrielle
Le Capital communiste est une brochure écrite en juin 2023 par Benoit Delrue, journaliste et directeur de publication d’Infoscope.
Un an plus tard, à l’heure où le pays plonge dans la mécanique nationaliste, nous interrogeons les faillites de la gauche de transformation sociale, politique et révolutionnaire. Ce présent ouvrage, publié sur notre site en une série d’articles, y contribue.
Cette deuxième des dix parties du document, que nous publions en exclusivité et en accès libre, en intégralité du lundi 1er au vendredi 5 juillet 2024, comporte le Chapitre 8 : Surtravail et plus-value, le Chapitre 9 : Troisième Révolution industrielle et le Chapitre 10 : Plasticité capitaliste et héritage révolutionnaire.
Retrouvez la table des matières
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VIII. Surtravail et plus-value
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Comme nous venons de le voir, la valeur de la force de travail, c’est-à-dire le salaire versé chaque mois à l’employé, dépend de l’offre et de la demande sur le marché du travail mais se fixe autour des besoins, socialement déterminés dans une société donnée, nécessaires au recouvrement de cette même force de travail.
La rémunération du travail ne dépend, finalement, que peu de la valeur ajoutée effectivement produite par le salarié sur ses heures passées dans ou pour l’entreprise qui l’embauche. Logiquement, la valeur ajoutée produite par le travailleur est largement supérieure, sauf catastrophe industrielle qui obligera l’employeur à mettre la clé sous la porte, au salaire qui lui est versé au titre du travail effectué.
La logique capitaliste se fonde sur l’idée que, l’employeur disposant des moyens de production, c’est à lui que reviennent l’intégralité des recettes – du chiffre d’affaire – générées par le travail de ses employés. C’est donc à lui que revient, dans la limite de la loi dans le cas précis où il décide de la respecter, la décision de partager le fruit de la production entre le revenu du travail, les investissements dans l’entreprise et la rémunération du capital.
Au 1er mai 2023, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) brut mensuel, sur une base de 35 heures de travail par semaine, s’établit à 1709,20 euros soit 11,27 euros par heure. Pour notre démonstration, nous considérons le salaire brut car il comporte la part du salaire socialisée par les cotisations qui se trouvera partagée avec les travailleurs en arrêt maladie, en période de chômage indemnisé et en retraite, et qui fait partie intégrante du revenu du travail.
Prenons l’exemple simplifié d’un établissement de restauration rapide où, à l’heure du rush (forte affluence de clients) du soir, dix équipiers produisent à la chaîne des burgers, cuisent des frites et des nuggets, proposent des salades bien grasses et des crèmes glacées. Tous ces produits sont vendus le double du prix, hors travail, nécessaire à leur production, soit ce qu’ont coûté les ingrédients, depuis l’élevage des troupeaux jusqu’à l’acheminement des biens transformés dans le restaurant, l’énergie utilisée pour faire fonctionner les grills, friteuses, machines à glaçons, le loyer ou le remboursement de l’emprunt locatif du lieu de production et l’amortissement des machines utilisées.
Sur la base de cinq clients par minute pendant une heure et d’un ticket moyen de 12 euros, le chiffre d’affaire – soit l’ensemble des recettes – atteint 60 euros par minute et 3.600 euros par heure. Si l’on enlève la moitié du chiffre d’affaire correspondant aux coûts incompressibles des ingrédients, de l’énergie, du loyer, de l’amortissement, la valeur ajoutée effectivement produite par les dix salariés en cuisine et aux caisses s’élève à 1.800 euros pour l’heure, soit 30 euros par minute.
Rémunérés au SMIC, les équipiers auront gagné 11,27 euros pour l’heure travaillée, soit à eux dix, 112,70 euros. En quatre minutes, ils auront généré plus de valeur ajoutée – 120 euros – que tout ce qu’ils toucheront comme salaire en une heure. Les cinquante-six (56!) autres minutes de l’heure, ils les auront consacrées non pas pour leur propre revenu, ni pour le compte de ce qui est nécessaire en coûts de production pour proposer leurs délicieux quoiqu’indigestes repas, mais au profit exclusif du propriétaire des moyens de production, du capitaliste.
Ces 56 minutes en une heure, sur un exemple qui peut sembler extrême mais qui n’est pas éloigné de la réalité, correspondent au surtravail, c’est-à-dire un temps de travail effectué aux dépends des travailleurs eux-mêmes, pour le seul bénéfice de la bourgeoisie propriétaire du restaurant – s’il s’agit d’une franchise – ou actionnaire de la chaîne de restauration rapide. Sur les 1.800 euros de valeur ajoutée produite en une heure de travail, seuls 112,70 euros reviennent à celles et ceux qui sont les plus légitimes à être rémunérés, car producteurs de cette valeur ajoutée, et 1.687,30 euros sont définitivement accaparés par le capitaliste qui emploie la force de travail. Cette somme de 1687,30 euros correspond précisément à la plus-value.
Le surtravail, en temps effectué pour le compte du capital, et la plus-value, en somme monétaire vampirisée sur la valeur ajoutée produite, équivalent rigoureusement à la spoliation dont nous parlions précédemment. En langage courant, il est fréquent d’entendre une confusion entre valeur ajoutée et plus-value, tandis que la notion de surtravail, parce qu’elle met en lumière l’arbitraire du partage de la valeur et la gloutonnerie du capital, est absente jusque dans la plupart des manuels de sciences économiques de l’Éducation nationale et de l’enseignement universitaire.
Bien entendu, d’aucuns pourront rétorquer que le déséquilibre entre la valeur ajoutée effectivement produite et le revenu du travail n’est pas toujours aussi fort que dans notre exemple, et qu’il faut prendre en compte la part d’investissement dans la plus-value. C’est juste. Mais que sont les investissements, si ce n’est un développement des moyens de production qui appartiendront de toute façon au propriétaire bourgeois, autrement dit un capital à venir ? De plus, nous avons pris en compte l’amortissement, qui correspond à l’usure de ces mêmes moyens de production et dont la ligne comptable est justement destinée à l’acquisition de nouvelles machines lorsque les précédentes sont devenues inefficaces voire inopérantes.
Partout où le capital organise la production, il l’organise en sa faveur. Partout où il exploite le travail, il impose aux employés un surtravail et retire de la valeur ajoutée une plus-value. La croissance capitaliste, objectif auquel nous devrions tous nous plier, n’est donc pas seulement la hausse de la somme des valeurs ajoutées dans un territoire et sur une période donnés ; c’est également l’augmentation de la plus-value, qui vient grossir le capital et ses rentes de manière systématique.
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IX. Troisième Révolution industrielle
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Ces dernières décennies, les forces productives tout autant que l’impérialisme capitaliste ont atteint une nouvelle phase de développement. La production de marchandises nouvelles, la création de nouveaux marchés, l’extension des marchés existants à de nouveaux espaces et de nouveaux consommateurs battent leur plein. De même que la Deuxième Révolution industrielle a vu l’apparition et l’introduction dans de nombreux territoires de l’énergie électrique et du moteur thermique, la Troisième Révolution industrielle voit l’apparition et la généralisation de l’informatique et du réseau de communication global.
Depuis les premiers et gigantesques ordinateurs à cartes perforées jusqu’au smartphone dernier cri que vous tenez entre vos mains, les progrès ont été phénoménaux et exponentiels. Pour nos générations qui vivent, année après année, ces pas de géant permis par la miniaturisation et la synergie d’un certain nombre de découvertes et d’inventions, nous ne parlons d’ailleurs ni de Troisième Révolution industrielle, ni de progrès technique, mais de Révolution numérique et de progrès technologique. Les premiers termes ont pour qualité de marquer que cette évolution des forces productives comme des biens de consommation courante s’inscrit dans un mouvement plus vaste, plus étendu de l’histoire humaine.
Certaines inventions issues de l’industrie de l’armement trouvent par la suite des applications civiles, voire divertissantes : les drones, conçus depuis un certain temps par les forces armées nationales particulièrement bien équipées, pour effectuer des missions de repérage ou de destruction sans mettre en danger la vie d’un soldat, sont apparus par la suite, au début des années 2010, dans les foyers presque comme une évolution du modélisme aérien. Les drones, ressemblant à des mini-hélicoptères équipés d’une caméra, utilisés par les particuliers, permettent dans des zones déterminées où le vol est autorisé, de capter des prises de vue aérienne avant de partager ces vidéos ainsi produites.
D’autres inventions à destination des particuliers, conçues dans un premier temps pour leur distraction et leur amusement, sont aujourd’hui devenues des outils de travail à part entière. Les smartphones, créés initialement pour permettre au consommateur de communiquer avec ses proches, de s’informer, de se divertir et de jouer, sont devenus des outils par lesquels les directions d’entreprises exigent de leurs employés d’être joignables à toute heure du jour et de la nuit, de recevoir les appels et les mails (courriers électroniques), de correspondre avec leurs collègues de travail sur des messageries dédiées, de produire du contenu pour le compte de l’employeur.
Cette confusion entre temps de travail et temps libre est d’autant plus entretenue que la pandémie de Covid-19 a généralisé le télétravail à domicile et que se multiplient désormais des espaces de coworking – lieux où différents salariés en télétravail se retrouvent, indépendamment de leurs employeurs. Après le phénomène, observé notamment au Japon et dans les firmes de la tech (nouvelles technologies) aux États-Unis, où l’entreprise est un lieu de vie complet où les salariés sont invités à faire du sport, se restaurer, jouer entre eux entre deux sessions de travail comme des écoliers lors d’une récréation, c’est maintenant le processus d’extension du travail au sein du foyer du travailleur que nous pouvons constater, avec des exigences grandissantes des employeurs, et cela grâce aux nouveaux outils numériques.
Après les outils de partage des travaux sur le cloud (un serveur en ligne, accessible partout), l’essor des réseaux sociaux y compris professionnels, l’apparition de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle dont l’usage reste marginal mais sur lesquelles misent de plus en plus d’investisseurs pour une application au travail, ce sont désormais les entités d’intelligence artificielle (IA) qui ont le vent en poupe et qui, en ce début des années 2020, cristallisent de nombreux débats à mesure que l’on remarque leur potentiel et la rapidité à laquelle elles progressent, dans leurs façons de communiquer et de produire des textes, des images et des vidéos, jusqu’à des longs-métrages.
L’intelligence artificielle a pour elle, aux yeux de la bourgeoisie capitaliste, de ne pas demander de salaire, de ne pas se syndiquer et d’offrir en un éclair une plus-value maximale. Déjà les gros investisseurs se frottent les mains en s’apercevant que bien des tâches subalternes exigées de leurs employés pourront demain être effectuées sans broncher par l’IA. Après avoir obligé les travailleurs à se spécialiser dans des bullshit jobs (littéralement « boulots de merde ») et à reproduire une activité sans qu’ils ne puissent y trouver un sens profond, tant le produit créé et diffusé avait une faible valeur d’usage, la classe capitaliste entend aujourd’hui continuer à faire faire cette basse besogne dix, cent, mille fois plus rapidement par l’emploi des nouvelles technologies.
C’est particulièrement le cas dans le journalisme, où les soi-disant sites internet d’information publient des articles à la pelle, écrits à la chaîne par des salariés dont on exige la rédaction de quinze ou vingt publications par jour, en reprenant des dépêches d’agences de presse, des photographies ou bandes-annonces de séries ou de films pour présenter à un public, abruti par le flot de données, des diaporama et des messages promotionnels, des publicités à peine déguisées. Ce travail de réécriture rapide, où seul le ton des quelques phrases ajoutées dans l’article distingue un site d’information de ses concurrents, pourra typiquement être remplacé par l’emploi de l’intelligence artificielle à très court terme. De même, de nombreuses administrations, à commencer par France Travail (le nouveau Pôle Emploi), auront de plus en plus recours aux IA qui se substitueront à des agents humains pour accueillir, orienter et évaluer le public.
Logiquement, cette Troisième Révolution industrielle permet des gains de productivité faramineux grâce aux outils numériques qui « facilitent » la tâche de la classe ouvrière contemporaine. C’est peu dire que ces bénéfices sont mal répartis. Sur la même période où la communication et la puissance de calcul ont atteint une vitesse inégalée dans l’histoire, les salaires ont stagné, amputant le niveau de vie – ou pouvoir d’achat – face à des prix qui grimpent. Durant ce même laps de temps, la fortune cumulée des milliardaires a atteint des sommets inédits.
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X. Plasticité capitaliste et héritage révolutionnaire
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La classe capitaliste se maintient au pouvoir depuis deux siècles et demi à la fois parce qu’elle a appris des erreurs commises par la noblesse qu’elle a renversée, et grâce à l’extraordinaire plasticité de son système, composé d’infrastructures socio-économiques pouvant s’accommoder de nombreuses superstructures politiques et juridiques différentes.
Contrairement aux idées reçues, le capitalisme n’a pas besoin d’une démocratie libérale pour avoir le loisir de se développer pleinement. Ce n’est là que l’un de ses avatars politiques. Des régimes monarchistes, où la famille royale détient encore une bonne part du pouvoir politique et économique, tels que le Maroc ou l’Arabie Saoudite, peuvent s’avérer des destinations rêvées pour conclure des affaires entre représentants de la bourgeoisie occidentale et représentants de l’aristocratie arabe. Des régimes qualifiés chez nous de dictatures, tels que la Russie ou la Syrie, disposent toujours d’infrastructures économiques dominées par une classe capitaliste, regardée en France comme une oligarchie mais qui fonctionne exactement de la même manière que la bourgeoisie hexagonale et mondiale. Même un régime officiellement communiste, comme la République Populaire de Chine, appelée à devenir la première puissance économique mondiale en PIB nominal dans les prochaines années, coexiste avec un régime capitaliste qui, bien que sous l’autorité officielle de l’État, se développe et fait émerger des fortunes privées nationales, l’existence de milliardaires chinois suscitant d’ailleurs la controverse jusqu’aux Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC).
Le rapport de force qui oppose la classe ouvrière à la classe capitaliste se décline à l’échelle internationale, continentale, nationale et locale, jusqu’à l’intérieur d’une entreprise donnée. Si la Révolution de 1789 a permis, trois ans plus tard, l’établissement de la Première République française dont la Constitution était l’émanation d’une volonté politique d’ériger l’intérêt général et populaire en tête des priorités de la nation, ce qu’il en demeure au XXIème siècle se réduit aux droits individuels, au premier rang desquels le droit à la propriété privée lucrative. La Cinquième République, établie depuis 1958, concentre aujourd’hui l’ensemble des pouvoirs politiques, c’est-à-dire exécutif, législatif et même judiciaire, entre les mains d’un seul représentant qui pense tirer une légitimité totale du fait d’avoir été élu au suffrage universel, et ce malgré une abstention qui bat de scrutin en scrutin de nouveaux records.
Or, il est plus aisé pour la bourgeoisie capitaliste de n’avoir qu’un seul interlocuteur politique face à elle lorsqu’elle entend s’adresser à l’État français. C’est l’exercice du pouvoir que permet Emmanuel Macron, qui parmi ses « visiteurs de l’Elysée » reçoit régulièrement des représentants du grand patronat, pour le rassurer en vue d’investissements à venir dans l’hexagone en promettant les conditions de travail et la rémunération du travail qui seront, inscrits dans le marbre de la loi, les plus bénéfiques à l’exploitation capitaliste. Elon Musk, le patron de Tesla, SpaceX, Neuralink et Twitter a, de ce fait, été reçu au palais présidentiel en qualité d’invité d’honneur le 15 mai 2023, quelques heures avant le sommet annuel « Choose France » mis en place en 2018 par Emmanuel Macron et qui a permis à des représentants gouvernementaux d’accueillir, au Château de Versailles, 200 grands patrons de multinationales étrangères. Lors de ce sommet, un montant inédit de 13 milliards d’euros d’investissements a été annoncé, « qui devrait permettre de créer 8.000 emplois » selon la communication officielle – soit la bagatelle de 1.625.000 euros par emploi. Un mois plus tard, le 16 juin 2023, c’est le Président de la République qui faisait à son tour le déplacement pour rencontrer, « à Paris », Elon Musk à nouveau afin de tenter de le convaincre d’installer une usine de batteries de voitures électriques sur le territoire national.
Face à une telle débauche d’énergie pour convaincre la grande bourgeoisie de signer des contrats juteux, il ne reste que peu de temps aux membres de l’exécutif français pour s’occuper des « gens qui ne sont rien », selon la formule employée par le chef de l’État le 29 juin 2017. Le rapport entretenu par la classe ouvrière avec l’État se limite souvent aux contrôles inopinés de la police ou de la gendarmerie nationale, aux lignes indiquant le montant de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en bas du ticket de caisse, aux notifications de radiation ou d’interruption de droits et, pour ceux d’entre elle qui s’aventurent en manifestation, à l’opposition avec des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) qui assurent de moins en moins la sécurité, justement, des cortèges pourtant pacifistes.
Quand la classe ouvrière tente de s’organiser pour ses propres droits, elle trouve face à elle la classe capitaliste, les forces de l’ordre de l’État qui vont jusqu’à réquisitionner manu militari des ouvriers grévistes en se rendant à leurs domiciles, la quasi-totalité des médias de masse et l’hostilité subséquente d’une partie de ses propres membres exploités, abreuvée de la propagande bourgeoise. Il n’est ni facile, ni plaisant d’être militant de la cause révolutionnaire de nos jours en France.
Nous avons vu, plus tôt, que le prolétariat français détenait deux armes qui échapperaient toujours à la bourgeoisie capitaliste : le nombre et la qualité collective et individuelle de producteur de richesses. Mais généralement, ces deux armes sont retournées par la classe dominante contre les intérêts ouvriers, dans un système dominé par le capital où les masses laborieuses sont précisément contraintes de travailler pour alimenter ce capital.
C’est donc sur un temps libre et presque intégralement bénévole que la classe ouvrière peut et doit s’organiser pour défendre ses intérêts. Ce qui paraît facile à un étudiant devient tout de suite plus compliqué à une salariée mère célibataire. Dégager du temps pour militer, apprendre, échanger, préparer, agir et promouvoir la lutte n’est pas à la portée de toutes et tous. Si chacun, dans notre classe sociale majoritaire, y prenait sa part, cela ferait longtemps que la bourgeoisie capitaliste aurait été terrassée, et avec elle, évitées les catastrophes humanitaires et écologiques que son avidité provoque.
Il est pourtant nécessaire de créer les conditions pour que le travail militant soit poursuivi de génération en génération, d’année en année et de jour en jour. Les révolutionnaires d’aujourd’hui ne partent pas de rien : nos aïeules et aïeux se sont mobilisés, ont parfois éprouvé des conditions de lutte terriblement difficiles voire dévastatrices, en ont retiré une expérience qu’ils ont pu consigner dans des ouvrages ou transmettre à des dirigeants dans le but de la populariser.
C’est de haute lutte que furent obtenues les grandes conquêtes sociales telles que l’éducation obligatoire des enfants, les sortant ainsi de l’entreprise, la journée de huit heures de travail – principale revendication de la Confédération Générale du Travail (CGT) à sa naissance, à Limoges, en 1895 – la médecine du travail, la nationalisation de grandes industries et institutions financières, le statut de la fonction publique dont les avantages avaient vocation à se généraliser à l’ensemble du salariat ou encore la socialisation des risques par l’institution de la Sécurité sociale. Celle-ci, fondée sous l’égide du ministre communiste du Travail Ambroise Croizat, récupère directement sur la valeur ajoutée dans chaque entreprise et pour chaque heure de travail effectuée une cotisation pour abonder les caisses de santé, d’assurance-chômage, de retraite destinées aux travailleurs n’étant pas, ou plus, disposés à travailler pour le compte de la classe capitaliste. Ambroise Croizat déclarera d’ailleurs, lors de la mise en place de la Sécu, que « Nous ferons de la retraite, non plus une antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie ».
Connaître l’histoire du mouvement ouvrier, que l’on n’enseigne qu’à peine dans les écoles et les universités ni davantage dans les médias regardés par des millions de spectateurs chaque jour, devient une des clés pour relever la tête et affronter les temps difficiles qui sont devant nous. Cela ne peut être fait que par le travail militant lui-même.