En août 1934, l’État expulsait vers Varsovie 77 mineurs polonais pour fait de grève

Il y a 90 ans exactement, les mineurs polonais subissaient une répression féroce. En août 1934, pour avoir participé à une grève, ce qui était interdit aux immigrés travaillant au fond des mines, 77 Polonais, tous syndicalistes, et leurs familles sont expulsés de France vers Varsovie. Parmi eux, Edward Gierek, ouvrier chargé de faire circuler les wagons devenu chef d’État de la Pologne socialiste en 1970.

A l’occasion de l’anniversaire de cet épisode du combat acharné du grand capital pour diviser la classe ouvrière, d’hier ou d’aujourd’hui, autour de différences culturelles et d’origines géographiques, nous reproduisons ci-dessous l’excellent article de Jacque Kmieciak paru en 2014 dans la Nouvelle Vie Ouvrière (NVO), journal de la CGT.

La population immigrée des mineurs du Pas-de-Calais a subi la discrimination, l’exploitation et le racisme. D’illustres Français en sont issus, dont un certain Kopaszewski, plus connu sous le nom de Raymond Kopa, qui travailla à la mine dès ses 14 ans et y perdit un doigt.

Leforest, 1934 Grève à la mine

26 septembre 2014 | Mise à jour le 20 avril 2017 | Par Jacques Kmieciak | Article original

Dans le Pas-de-Calais, on célèbre le 80e anniversaire de la grève de la mine de Leforest d’août 1934, sévèrement réprimée par l’État et les compagnies minières. Après un hommage rendu par le PCF et la CGT, fin juin, aux mineurs polonais frappés d’expulsion, la municipalité envisage d’honorer Edward Gierek, le plus célèbre d’entre eux, en décembre prochain.

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CHRONOLOGIE
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1919 Les Houillères commencent à recruter des Polonais.

1926 Un tiers des effectifs des mines du Pas-de-Calais est polonais.

1931 La crise touche les mines et les travailleurs étrangers sont inquiétés.

1932 Thomas Olszanski, de la CGTU, est dénaturalisé et expulsé en 1934.

26 mai 1934 200 mineurs polonais s’enferment dans les douches de la fosse 10.

6 et 7 août 1934 Première grève au fond d’un puits de mine en France à Leforest.

8 août 1934 L’État prononce 77 décrets d’expulsion.

11 août 1934 Premier convoi vers Varsovie de 200 expulsés et de leurs proches.

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Dès 1919, les Houillères font appel à la main-d’œuvre polonaise, louée pour son aptitude professionnelle, afin de favoriser la relance de la production au cœur d’un bassin minier dévasté par quatre années de guerre. En provenance de la Ruhr (Allemagne) ou directement d’une Pologne fraîchement indépendante mais sous-développée, ces Polonais constituent, dès 1926, un tiers des effectifs des concessions minières du Pas-de-Calais.

LE MOUVEMENT EST MARQUÉ
PAR UNE RÉPRESSION SANS PRÉCÉDENT

Très tôt, les compagnies entretiennent le communautarisme, favorisant, au cœur de cités minières aux allures de ghettos, l’implantation de prêtres et d’instituteurs polonais au service du culte de la mère patrie. Pour les Houillères, le « polonisme » et le christianisme sont autant de remparts susceptibles de préserver ces migrants de la contagion syndicale et surtout de la propagande communiste.

La CGTU et le rapprochement de tous les travailleurs

Sur le plan syndical, celle-ci se développe par le biais de la CGT unitaire. Nullement dupe de la prétention patronale à faire jouer un rôle concurrentiel à ces travailleurs dans le domaine des salaires ou des conditions de travail, la CGTU n’admet pas « qu’il soit permis de se servir d’ouvriers étrangers pour nous affamer là où le hasard nous a fait naître ». Mais elle ne nie pas pour autant « le droit à l’émigration pour les hommes chassés du sol natal par le chômage, la misère ou les convulsions politiques » (congrès de Paris, 1925). Aussi, soucieuse de dépasser les clivages nationaux ou culturels et au nom de l’internationalisme, la CGTU travaille au rapprochement des travailleurs quelle que soit leur nationalité.

La chasse aux « rouges »

Les menées communistes sévèrement réprimées, la chasse aux « syndicalistes rouges » s’intensifie dans un contexte d’exacerbation de la crise économique. Celle-ci ébranle l’industrie minière dès 1931. Les mises en chômage partiel puis les licenciements affectent en priorité les travailleurs étrangers. Les Polonais se voient aussi imposer des mesures de rapatriement. La vague migratoire s’inverse alors. De 1931 à 1936, la population polonaise du Pas-de-Calais chute de 129 000 à 101 000 personnes. Du pain bénit pour les Houillères soucieuses de se débarrasser d’éléments jugés « indésirables » avec l’appui de la police qui traque les « subversifs ». Les décrets d’expulsion pleuvent. En 1932, le permanent et porte-parole de la main-d’œuvre immigrée au sein de la CGTU, Thomas Olszanski, est dénaturalisé au terme d’un procès retentissant. Il est expulsé en 1934. C’est dans ce climat délétère que surviennent les événements de Leforest, à la lisière du Pas-de-Calais.

 
Rumeurs de lynchage

Le 26 mai 1934, 200 mineurs polonais s’enferment dans les lavabos-douches de la fosse 10 à Leforest, en guise de protestation contre l’arsenal répressif (amendes, brimades, déclassements, congédiements…) déployé par la Compagnie des mines de l’Escarpelle. Pour toute réponse, le 21 juillet, le ministère de l’Intérieur signe onze décrets d’expulsion à l’encontre des meneurs. C’est leur notification à deux d’entre eux par la gendarmerie le 2 août qui met le feu aux poudres. La CGTU, menée par Louis Milleville, le délégué mineur de la fosse 10, aurait envisagé une grève des bras croisés d’un quart d’heure, une demi-heure tout au plus. Ce jour-là, pourtant, les faits prennent une autre tournure. Très vite, la direction se rend à l’évidence : la grève est appelée à durer. À 7 h 30, les ouvriers du jour sont renvoyés chez eux et l’activité stoppée. La plupart des mineurs français et quelques étrangers (soit un tiers des effectifs) remontent à la surface par le puits de la fosse 6 voisine. Un dialogue s’instaure alors entre les grévistes, la direction et des représentants de l’État. Ces derniers jouent manifestement la carte du pourrissement, nonobstant les efforts de la CGTU et de la CGT pour trouver une solution. À 10 heures, les agents de maîtrise de natio­nalité française se voient interdits de remontée. Dès lors des rumeurs de « prise d’otages » se répandent. D’aucuns prétendent que ces porions auraient été assassinés. Dans les cités, la tension entre les communautés s’exacerbe.

Promesses trahies

Finalement, après 35 heures de lutte, en butte à l’épuisement et à la faim et après que la Compagnie des mines a imposé des mesures de chômage technique aux travailleurs de la fosse 6 pour prévenir toute manifestation de solidarité, 200 grévistes regagnent leur domicile, escortés par les forces de l’ordre. Aucun incident n’est à déplorer hormis « quelques cris hostiles lancés à leur adresse », selon les Renseignements généraux. En dépit de promesses d’impunité, les sanctions ne tardent pas à tomber. Le 8 août, l’État prononce 77 décrets d’expulsion, 120 grévistes sont congédiés et les meneurs, communistes pour beaucoup, incarcérés à la maison d’arrêt de Béthune. À l’instar du Réveil du Nord, qui se félicite du « nettoyage de la cité minière de Leforest », la presse xéno­phobe se déchaîne. Autorisées à emporter 30 kilos de bagages par adulte, les familles d’expulsés sont dans l’obligation de vendre leurs meubles à vil prix. D’aucuns préfèrent les brûler sur place. La diffusion de ces scènes épiques dans les cinémas assure un écho national à ce mouvement marqué par une répression sans précédent par son ampleur et sa célérité. Pour l’État et les Houillères, qui craignent des élans similaires dans d’autres fosses du bassin, il s’agit assurément de faire un exemple… Il est 14 h 30, le samedi 11 août, quand un premier convoi emmenant 200 expulsés et leurs proches, résignés, quitte la gare de Leforest pour Lille où les wagons sont raccrochés à l’express Calais-Varsovie. Une mobilisation solidaire d’ampleur aurait peut-être pu empêcher ce dénouement fatal. Elle n’aura pas lieu pour des raisons qui restent à élucider.

La « légende rose » d’une intégration aisée

À l’heure où le mouvement ouvrier réfléchit aux moyens de l’unité d’action, cette grève a alimenté les tensions entre les deux centrales rivales, la CGT « réformiste » accusant de « provocation délibérée » les « moscoutaires » de la CGTU. Or, il semble bien que ce soit la base exaspérée qui ait édicté cette logique de radicalisation à ses dirigeants. La grève aura aussi un profond impact psychologique au sein d’un groupe ethnique qui vit désormais dans la crainte permanente du lendemain. Sa conclusion tragique expliquera en partie les retours, volontaires cette fois, à la Libération, de travailleurs appelés à rebâtir une Pologne dévastée par six années d’occupation nazie.
Enfin, ces événements battent en brèche le mythe d’une intégration aisée des Polonais dans la société française. Une « légende rose » savamment entretenue à partir des années 1980 par les faiseurs d’opinion érigeant la communauté polonaise en modèle d’adaptation réussie. Une approche idyllique en contradiction avec une réalité bien plus complexe.

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PORTRAIT

Edward Gierek,le galibot devenu chef d’État
Edward Gierek (1913-2001) demeure le plus célèbre des « expulsés de Leforest ». Arrivé en France en 1923, il travaille dans les mines de charbon à Libercourt (Pas-de-Calais) et de potasse d’Alsace, avant d’intégrer les rangs de la Compagnie des mines de l’Escarpelle en 1931. Lors du déclenchement de la grève de Leforest, il milite sous le pseudonyme de Jaros à la CGTU et au PCF. Expulsé le 11 août 1934, il gagne sa Silésie natale, puis les mines du Limbourg flamand trois ans plus tard. Il reste en Belgique jusqu’en 1948 et son rapatriement volontaire vers la Pologne. À l’heure où ce pays tourne le dos à son passé féodal, Edward Gierek travaille en Silésie à consolider l’implantation du Parti ouvrier unifié polonais (POUP) au pouvoir. Il en devient le premier secrétaire en décembre 1970. Il est alors l’équivalent d’un chef d’État, reçu à deux reprises en France (1972 et 1979). La République déploie alors le tapis rouge pour un homme pourtant interdit de séjour sur le territoire français. Lors de sa visite officielle d’octobre 1972, il reçoit à l’ambassade de Pologne à Paris ses amis nordistes (dont Albert Trepinski du PCF de Leforest). Celui-ci évoquera avec émotion le souvenir de cet ancien herscheur (ouvrier chargé de faire circuler les wagons) « très gentil et beaucoup plus instruit que ses camarades ».

Pour aller plus loin :

L’expulsion des familles polonaises à Leforest en 1934

Par Sylvie Aprile | Institut National de l’Audiovisuel (INA) | Article original

L’année 1931, année où la crise économique mondiale atteint l’industrie minière française, est également celle où le recensement enregistre la plus importante proportion d’étrangers dans la population française. Le Nord est ainsi le troisième département français en nombre d’étrangers résidant (222 000), le Pas-de-Calais le quatrième (173 000), juste derrière la Seine et les Bouches-du-Rhône. Les populations étrangères sont affectées par la crise de façon inégale non en raison d’une volonté particulière de l’administration, mais en raison de leur qualification et de leur concentration dans les secteurs d’activité en crise comme la mine. Les Polonais ne sont pas les plus touchés, mais leur concentration facilite l’encadrement de leur départ. Plusieurs dizaines de milliers de Polonais sont ainsi l’objet de mesures de rapatriement forcé, pour des raisons toute à la fois économiques et politiques. De 1931 à 1936, la SGI (Société Générale d’Immigration) organise par convois ferroviaires le départ de 100 000 Polonais.

Dans ce contexte, toute contestation politique, tout engagement syndical servent de prétexte à des expulsions. C’est le cas pour la figure emblématique de Thomas Olzanski, organisateur des travailleurs polonais pour la CGTU, dénaturalisé en 1932, puis expulsé en 1934. C’est ici, un épisode célèbre qui est évoqué : l’expulsion pour fait de grève d’ouvriers à Le Forest à la fosse n°10 de la Compagnie des mines d’Escarpelle. Le conflit marqué par l’occupation d’un puits a été médiatisé, alors que des renvois réguliers d’ouvriers étrangers retiennent peu l’attention de la presse et des actualités cinématographiques. Une équipe de tournage a ainsi assisté presque par hasard au départ des Polonais car c’est l’occupation de la mine par des mineurs d’origine étrangère, plutôt réputés pour leur passivité qui les intéresse. Certains journaux n’hésitent pas d’ailleurs à titrer que les Polonais ont empêché les Français de descendre au fond. Après 35 heures de lutte, les grévistes remontent et les sanctions tombent.

Ce sont 250 personnes, 77 grévistes syndicalistes dont Edward Gierek (1), et leurs familles font l’objet d’un décret d’expulsion de la Direction de la sûreté générale. Ils qui sont contraints de quitter Leforest au mois d’août 1934 par des trains spéciaux venus les chercher au pied de la cité après avoir emprunté l’embranchement ferroviaire privé de la compagnie. Les Houillères limitent le poids des bagages à 30 kg par adulte et 20 kg par enfant. Les commentateurs comme les descendants des mineurs qui ont assisté, enfants, à ces départs insistent sur ce qu’ils nomment la “curée” c’est-à-dire la vente à perte du mobilier, certains expulsés préférant même détruire leurs biens plutôt que de les brader à bas prix. Ce qui frappe, c’est la présence des gardes mobiles, mais le contexte est celui de l’occupation de la mine et c’est la raison de leur présence plus que la crainte de débordements liés aux expulsions. Il existe peu de témoignages directs, mais la philosophe Simone Weil et l’écrivain Antoine Saint-Exupéry ont décrit de façon poignante ses voyageurs forcés, obligés de rentrer dans leur pays. L’intérêt porté à ces événements de l’entre-deux guerres en 1981 s’inscrit dans une chronologie particulière. En 1974, l’État français a suspendu l’immigration des travailleurs étrangers et de leurs familles, puis en 1977 proposé sans grande efficacité une prime d’aide au retour de 10 000 francs aux immigrés qui acceptent de retourner définitivement dans leur pays. Deux ans plus tard, la loi dite “Bonnet” a élargi les motifs d’expulsion. C’est dans ce contexte, en 1981, après la victoire des socialistes, qu’une nouvelle politique est mise en œuvre : régularisation de 132 000 immigrés illégaux, et suppression de la loi de 1932 sur le contingentement de main-d’œuvre dont le film tourné en 1934 retrace l’un des moments oubliés.

(1) Edward Gierek (1913-2001) homme politique communiste, il dirigea la République populaire de Pologne de 1970 à 1980. Il émigre en France à l’âge de 10 ans avec sa famille. Il a travaillé dans les mines de potasse en Alsace avant de rejoindre le Nord-Pas-de-Calais. Dès 1926, il commence sa carrière de mineur à la Compagnie des mines de l’Escarpelle (fosse n°10) à Leforest. Il adhère au parti communiste français en 1931. En août 1934, il est expulsé de France, suite à la grève qu’il a conduit avec d’autres mineurs étrangers. En 1937, il revient en Belgique pour travailler dans les mines du Limbourg puis avant de rejoindre la Résistance en Pologne.

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