Les Assistants d’éducation : les sacrifiés de l’éducation nationale
Mardi 19 janvier 2021 s’amorce l’acte III de la mobilisation des assistants d’éducation. Un mois et demi après une première mobilisation inédite, ces oubliés du Grenelle de l’éducation continuent à réclamer la réforme de leur statut.
Les « pions » sont une pièce-maîtresse d’un protocole quasi inexistant dans les établissements de Blanquer
Certes, le terme « pion » n’est pas utilisé par le personnel de l’éducation nationale. Il a toujours été péjoratif. Néanmoins, il est intéressant de l’analyser dans son sens sémantique en cette période pandémique. Les assistants d’éducation souhaitent réformer leur statut, le rendre plus sûr et le favoriser, et c’est pour cela qu’ils restent mobilisés. Les pions se sentent sacrifiés par ce jeu d’échecs qui oppose le gouvernement et l’opinion publique.
Les assistants d’éducation sont en première ligne dans le dispositif du protocole sanitaire renforcé. Cela se traduit par une charge supplémentaire pour eux dont la litanie pourrait être résumée ainsi : surveiller et punir les élèves qui ne respectent pas l’ensemble des gestes barrières. Les surveillants se transforment en agents pénitenciers et les élèves en occupants qui ne doivent pas se trouver à plus de trois par table. S’ajoutent à cela des incohérences internes : les élèves peuvent ouvrir les portes, aller aux toilettes, se regrouper devant l’établissement, s’engorger dans les couloirs pendant l’intercours, former une longue file au self (sans le mètre de distance), etc… Tous ces dysfonctionnements ne favorisent pas la prise de conscience à cet âge où le risque de transmission du virus est le plus grand : la deuxième source de contamination se trouve au sein des écoles (32% selon Santé Publique France). En jouant, le rôle de régulateur, les assistants d’éducation ressentent un malaise au travail. Leurs postures auprès des élèves passent de soutien à adversaire. Un adversaire à châtier ; un adversaire qui porte en lui le crime de transmettre cette maladie. L’école tend à être un lieu aseptisé où l’élève doit apprendre les fondamentaux sans le support du lien social.
Les AED deviennent ainsi des pions à utiliser et à vider de toute force vitale. Ils sont nombreux à être victime de cette pandémie qui porte en elle des conséquences sociale, économique, physique et psychologique.
En temps normal, les assistants d’éducation jouent le rôle d’intermédiaire entre le conseiller principal d’éducation (CPE) et les élèves. Par leur position, ils assument un rôle pédagogique dans le cadre du soutien scolaire et de l’aide aux devoirs. Sans compter qu’ils participent auprès du CPE au contrôle de l’assiduité et de discipline des élèves. Par ailleurs, la tâche de gestion de flux du réfectoire, des lieux communs (salle d’étude, cafétéria, etc.) et l’entrée de l’établissement est à leur charge. Tous ces éléments s’ajoutent au contrôle des élèves pendant cette période de pandémie. Dans ce contexte, les AED ne sont plus perçus par les élèves comme un intermédiaire incontournable mais plutôt comme un agent de sécurité qui contrôle leurs faits et gestes.
Une mobilisation pour une réforme de statut
Avant la crise du Covid19, 20% des postes d’assistants d’éducation étaient occupés par des étudiants. Le restant des postes est généralement occupé par des jeunes diplômés ou des personnes en reconversion professionnelle. Durant ces dernières décennies, les tâches se sont multipliées sans pour autant que le statut soit réformé. Le Grenelle de l’éducation met en évidence ce décalage entre la professionnalisation du poste et le déni des technocrates parisiens de l’éducation nationale.
Par l’observation et les témoignages de ces sacrifiés de la République, on constate que les assistants d’éducation développent des compétences. Ces dernières ne sont pas reconnues institutionnellement. D’ailleurs, elles ne sont pas mesurables puisque les AED ne font pas tous les mêmes tâches durant l’année. Chaque établissement a ses spécificités et ses traditions correspondant à un héritage où le nouvel arrivant apprend les règles auprès de ses pairs durant toute l’année.
Même si le concours interne est ouvert au bout de la troisième année, ces travailleurs sont favorisés par leur expérience du terrain mais ils ne sont pas formés aux métiers de l’enseignement. La réussite dépend de la manière dont l’individu trouve un sens entre la théorie et la pratique. Ainsi les individus ayant un capital culturel peuvent tirer leur épingle du jeu plus facilement.
La mobilisation a pour fonction de réformer le statut des AED. Même si le terme « réforme » est souvent annonciateur d’un nivellement par le bas sous couvert de protection. Aujourd’hui, il est utilisé par les travailleurs de ce secteur pour garantir de nouveaux acquis. Les revendications telles que la CDIsation, le renouvellement annuel sans contrainte, les formations, les certifications de compétences, la valorisation de salaire, la consultation sur certaines questions en sont le cœur. Il est vrai qu’aujourd’hui face à la nouvelle crise économique qui se profile, la mobilisation se fait de plus en plus sentir.
Le renouvellement annuel est une épée de Damoclès qui contraint certains à ne pas utiliser leur droit fondamental à manifester. Face à cette incertitude, un salaire annualisé devient un confort face à une réforme nécessaire. L’angoisse de perdre son emploi, la précarité et l’espérance d’un renouvellement pousse chaque individu à penser à son intérêt personnel.
Une convergence des luttes ne peut être possible que s’il existe une conscience de classe face un capital qui joue sur la division et l’incertitude pour anesthésier le corps social.
L’année 2021 ne fait que commencer, face à la crise économique, les pouvoirs publics doivent prendre conscience que la contestation généralisée qui agite le corps social ne peut être jugulée par la violence légitime déjà déployée.