Transformation

Depuis l’Antiquité et jusqu’à l’ère numérique, les civilisations humaines ont été dirigées, dans leur quasi-totalité, par une petite caste régnant sur l’ensemble de la société. Le fondement de son pouvoir réside dans la propriété.

« La propriété, c’est le vol » clamait Proudhon. Nous ne partageons pas le sens de cette saillie de l’égérie du mouvement anarchiste, dont les écrits sur les femmes ou les juifs permettent de mesurer la valeur. Ce n’est pas la propriété des biens de consommation ou des effets personnels, bien que tout à fait révélateurs de la richesse, qui confère leur puissance aux oligarchies. C’est une propriété plus spécifique : celle des esclaves chez les maîtres de l’Antiquité, celle des terres au temps féodal, celle du capital à l’époque contemporaine.

Dans les « démocraties » antiques, la propriété d’esclaves était la clé de la citoyenneté. Dès lors, la société était divisée en classes sociales, calquées sur la division d’un travail seul créateur des richesses essentiellement captées par la classe dominante. Les petits paysans, loin des lieux de pouvoir, étaient exclus de la citoyenneté ; les esclaves étaient relégués à l’état de marchandises, subissant le joug tout-puissant de leurs maîtres. Sous le féodalisme, les terres appartenaient aux seigneurs et les serfs qui la cultivaient y étaient enchaînés, ne pouvant la quitter. Les luttes d’influence au sein de la noblesse et avec le clergé se tenaient loin de l’écrasante majorité de la population, exclue de tout pouvoir.

La transformation de la société, le passage d’un régime à l’autre, consiste en une révolution, qui n’est autre que la destitution, nécessairement violente pour qui est destitué, d’une classe sociale en faveur d’une autre, par l’anéantissement progressif de tous les pouvoirs de la classe déchue, pour permettre le triomphe d’un nouveau pouvoir.

L’ère capitaliste qui s’est ouverte au XVIIIè siècle est, paraît-il, celle de la liberté. Il est vrai que ce régime représente un progrès phénoménal comparé à l’Ancien régime, bien qu’il se soit longtemps accommodé, et s’accommode encore de par le monde, d’un esclavage moderne ; il est néanmoins le vecteur d’une époustouflante expansion de richesses. Mais la liberté, pour le travailleur, de choisir son métier, son patron et son dirigeant politique, confinent à l’illusion tant il est pris en tenailles. D’une part, la nécessité de survivre, de ne pas tomber au chômage, tandis que par son endettement il est sous le joug des banques, afin qu’il travaille pour le plus petit revenu, comme salarié ou auto-entrepreneur ; d’autre part, la propagande idéologique, médiatique, artistique, publicitaire, afin d’obtenir son consentement, de lui faire acheter ce qu’il produit, de le maintenir dans l’illusion qu’il réussira un jour à dépasser sa condition.

Beaucoup de femmes et d’hommes des classes populaires ressentent l’exploitation, le mensonge du système en place, mais écartés pratiquement des organisations ouvrières et intellectuellement des enseignements du socialisme scientifique, contre lesquels la caste au pouvoir mène une guerre sans merci, en un mot déboussolés, ils se heurtent dans leur volonté de changement à deux pièges.

Le premier est la focalisation sur la sphère politique ; les institutions politiques sont l’arbre qui cache la forêt du système économique, et si le travailleur subit la domination de son employeur, de son propriétaire ou de son banquier, il a tendance à imputer ces injustices au politique seulement. Ce dernier est certes celui qui (dé)régule le cadre légal, juridique, économique, sociologique du capitalisme, mais seulement pour le compte exclusif de la grande bourgeoisie, cette classe capitaliste qui profite de richesses phénoménales et, en dernière instance, détient le pouvoir véritable de toute société : le pouvoir sur la production. Le second piège est celui du « complotisme », dont les théories fumeuses, finalement profitables au système, se concentrent moins sur l’entente réelle de la classe dominante, mais sur une société de l’ombre, celle des seuls sionistes ou des Illuminati.

La propriété du capital, autrement dit des moyens de financement, de production et d’échange, confère le pouvoir de décider de ce qui est produit, par quels moyens et pour quels objectifs, comme de vampiriser le fruit du travail en ne laissant à ses producteurs uniquement de quoi recouvrir socialement leur force de travail. Le capital s’auto-alimente, par la magie de la spéculation sur les marchés financiers, autant qu’il s’alimente de l’économie réelle. Ses détenteurs apparaissent tout-puissants, et si par malheur ils se retrouvent critiqués, ils se laissent défendre par les travailleurs acquis à leur cause, et se réjouissent des divisions et de l’extinction de la conscience de classe chez les exploités.

Les injustices criminelles de notre société ont pour racines les inégalités économiques. Si l’écart de revenus va de 1 à 100.000, l’écart de patrimoines va de 0 à 100 milliards ; c’est ici que se jouent les mécanismes profonds du système capitaliste. L’analyser rationnellement permet de comprendre le monde qui nous entoure, préalable absolu à sa transformation.

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