Un reconfinement est inéluctable – Mais lequel ?

Au soir du dimanche 25 octobre, 52.000 nouveaux cas de contamination ont été annoncés sur les dernières 24 heures en France, soit 13% des contaminations mondiales pour 1% de la population de la planète.

Parallèlement, l’Hôpital est exsangue. Hors crédits exceptionnels débloqués pour la pandémie, de nouvelles économies sont exigées aux soignants du service public. La Sécurité sociale, qui finance les hôpitaux, se voit grevée de milliards d’euros de cotisations en 2020. Médecins, infirmiers, aides-soignants, auxiliaires et aidants se trouvent au bord de la rupture.

Durant des décennies, la politique néolibérale a imposé une diète budgétaire sur le terrain et une dépossession des soignants de la maîtrise de leurs établissements, aujourd’hui sous gouvernance de personnalités extérieures et de technocrates. Aujourd’hui que les services de réanimation se remplissent, la situation devient critique.

Au-delà de ce constat grave, il apparaît inéluctable qu’un reconfinement s’impose. Non seulement dans les départements où les voyants clignotent en rouge écarlate, mais sur l’ensemble du territoire français. Le couvre-feu est à ce jour un pansement sur une jambe de bois, selon les représentants des soignants et des collectifs de professions médicales.

La question qui se pose donc, et qui doit tous nous interroger, est celle des conditions dans lesquelles ce reconfinement aura lieu. Mise à l’arrêt d’un bon tiers de l’économie nationale, détresse psychologique, risques pris par les travailleurs maintenus en activité présentielle se conjuguent.

Il n’y aura pas de reconfinement idéal, tout comme il est facile a posteriori de critiquer des mesures prises une fois le recul nécessaire à l’analyse rendu possible. Pour autant, nous pouvons tirer des enseignements des événements passés pour ne pas réitérer ad vitam les mêmes erreurs, qui deviendraient des fautes, si ce ne sont des crimes.

Les moyens de télétravailler

Si le télétravail et l’enseignement à distance s’imposent à nouveau pour des millions de salariés, d’étudiants et d’élèves, les moyens doivent être donnés pour rendre ces dispositifs efficients. Une famille de deux parents et deux enfants en âge d’être scolarisés dispose rarement de quatre ordinateurs, et le taux de celles qui en disposent chute dans les couches populaires, voire pauvres. Les entreprises doivent être mises à contribution pour fournir gracieusement un ordinateur avec une clé 4G, tout comme les élèves et les étudiants doivent avoir accès au même matériel.

De l’argent pourrait être versé pour subvenir à ce nouveau besoin social, mais il est évident qu’une centrale d’achats de matériel de qualité dans les ministères et les grandes entreprises coûterait moins en définitive, éviterait les inégalités et profiterait moins aux grandes firmes des nouvelles technologies que de laisser chaque personne faire son achat individuel dans les magasins ou les e-commerces.

Les assurances mises à contribution

L’industrie des banques et des assurances, qui ont jusqu’aujourd’hui si peu contribué à combler les pertes des petites entreprises, des petits commerces et des artisans, doivent impérativement être mises à contribution. Des situations ubuesques ont eu lieu lors du confinement du printemps dernier, quand certaines assurances refusaient de verser des indemnités au titre que le contrat spécifiait les cas d’épidémie, mais pas de « pandémie ».

Des centaines de milliards d’euros sont brassés chaque année par les banques privées, les mutuelles, les assurances et cet argent se trouve aujourd’hui confisqué par les gros actionnaires. Jamais, depuis la guerre militaire sur notre sol, les petites entreprises n’ont eu autant besoin d’être aidées – et les demi-mesures du printemps, comme le report des cotisations et des charges (loyers, factures d’énergie…), se sont révélées purement incapables d’endiguer la vague d’endettements et de liquidations.

La deuxième vague, cette fois, aura des conséquences bien plus graves encore, puisqu’elle se rajoutera à l’affaiblissement de l’économie réelle. Pour endiguer réellement l’épidémie et désengorger les urgences, le reconfinement devra mettre à l’arrêt toute production présentielle non-nécessaire, ce qui créera de fortes tensions dans les petites et moyennes unités de production. Les grandes firmes doivent, comme les assurances, fournir à leurs filiales et sous-traitants les moyens de faire face à la tempête économique, plutôt que de les lâcher en rase campagne.

La responsabilité du gouvernement est engagée

Si Macron et les macronistes ont beau jeu de répéter qu’ils ne sont pas responsables de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les hôpitaux publics, qui a valu entre 2019 et 2020 un mouvement de grève des soignants sans précédent dans l’histoire contemporaine de notre pays, ils semblent frappés d’amnésie sur une réalité : c’est le néolibéralisme, qu’ils incarnent plus que toute autre force politique, qui a mis à terre notre système de santé.

L’actuel Président de la République ne cache pas sa proximité avec messieurs Hollande, dont il fut le ministre, et Sarkozy, qui l’a lancé en politique avec la commission Attali. Cette même commission pour « libérer la croissance », qui n’a pas vu venir le krach boursier mondial de l’automne 2008 consécutif à la crise étasunienne des subprimes, encourageait la libéralisation du système de santé, sa privatisation larvée, ce qui est toujours la doxa dominante de l’action publique au sommet de l’État.

Plutôt que d’aller chercher les richesses là où elles s’accumulent, dans les coffres-forts de la grande bourgeoisie dont les fraudes fiscales s’élèvent à plus de 200 milliards d’euros chaque année (100 milliards d’évasion fiscale, encore davantage de fraude à la TVA et aux cotisations), le gouvernement représenté par l’imbuvable monsieur Castex choisit, avec sa majorité parlementaire formée de godillots, un « forfait payant urgences » à 18 euros pour chaque passage à l’hôpital d’un patient qui n’y passe pas la nuit, qui sera effectif le 1er septembre 2021. Une mesure qui va frapper les plus pauvres, tout en laissant insensibles les plus fortunés.

Partager le temps et les fruits du travail

De même, le gouvernement macroniste a récemment réaffirmé sa volonté de mener sa réforme de retraites pour un système à points qui verra, comme en Suède, un allongement du temps de travail dans la vie et un effondrement des pensions du régime général, obligeant chacun à souscrire à une complémentaire-retraite privée. Le système de retraites par capitalisation deviendra peu à peu le modèle dominant, supplantant le système solidaire par répartition, et cela progressivement comme le veut la tactique du salami : tranche après tranche, ils transforment nos biens communs en objets financiers de spéculation.

De même, le gouvernement macroniste a récemment réaffirmé sa volonté – ce n’est pas une erreur de copier/coller – de mener à terme la réforme de l’Assurance chômage, qui verra les indemnités versées aux travailleurs privés d’emploi drastiquement baissées. Le fameux « pognon de dingue des minima sociaux » qui n’empêche pas « les pauvres [de] rester quand même pauvres », tel que dénoncé avec une démagogie crasse par Macron, doit impérativement diminuer aux yeux de ce dernier, plongeant par là-même des personnes pauvres dans la misère totale.

A l’inverse, ce dont les travailleurs de France ont besoin est précisément de partager le temps de travail dans la journée, dans la semaine, dans l’année et dans la vie entre tous, pour alléger la charge de travail sur chacun, pour créer les conditions de l’émulation par l’entraide et l’effort collectif, et pour développer nettement la valeur ajoutée qui elle-même pourra être partagée avec les travailleurs en formation, écartés de l’emploi par le chômage ou la maladie et nos anciens, les retraités, si malmenés par l’actuel gouvernement.

S’approprier nos biens communs

Pour que l’épreuve actuelle, qui nous éprouve toutes et tous, ne soit pas traversée en vain, nous devons prendre conscience de ce qui fait la singularité de la grande majorité : la production de toutes valeurs par nos efforts physiques et intellectuels, la capacité à maintenir le pays debout tout en étant tant inconsidérés et maltraités, ainsi que la force irrésistible que nous représentons lorsque nous nous serrons les coudes.

Face aux dangers que sont les crises sanitaire et écologique, qui démontrent la faillite du marché spéculatif et de la propriété lucrative pour répondre aux besoins élémentaires et sociaux de la population, nous pouvons profiter de ce temps suspendu pour remettre en question nos comportements bien sûr, mais surtout nos idées, nos principes.

Tirons, nous aussi, les enseignements du passé pour ne plus se retrouver coincé dans un étau entre l’ultralibéralisme et le nationalisme, deux avatars de la grande bourgeoisie, tous adversaires du progrès humain. Derrière les critères artificiels qui divisent les travailleurs selon leurs affinités et leurs cultures, nous portons en nous la capacité de transformer radicalement le monde. Approprions-nous nos biens communs, c’est-à-dire tous les pans de la société qui relèvent de l’intérêt public, et conquérons la citoyenneté véritable, c’est-à-dire l’égalité sociale devant le travail, devant les moyens de financement, de production et d’échange, devant les formidables gains de productivité que nous produisons par le progrès technique. Nous avons droit au respect et à la dignité qui nous sont si souvent amputés par l’exploitation et l’exclusion. Lorsque les contradictions apparaissent aussi clairement entre l’intérêt d’une infime classe et l’intérêt général, lorsque nous sommes à la croisée des chemins, quel meilleur moment pour renouer avec ardeur avec l’optimisme et faire triompher l’émancipation humaine ?

Benoit Delrue, le 26 octobre 2020

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