Que change le coup de force de Trump pour la France ?
En faisant mentir tous les sondages et les bookmakers, Donald Trump a réussi son pari. Au milieu de la nuit américaine le 4 novembre 2020, alors que le comptage des votes était loin d’être fini, le Président républicain clamait avoir « gagné cette élection » tout en prévenant « saisir la Cour suprême » face aux « fraudes » qui, elles seules, expliqueraient sa défaite à ses yeux.
Face au coup de force du 45ème Président des États-Unis, quels enseignements peuvent et doivent être tirés du point de vue français, dans notre pays qui connaît petit à petit une américanisation de la vie politique ?
Bookmakers et sondages se sont plantés en beauté
Le premier enseignement réside justement dans le fait que les instituts d’opinion ont publié, semaine après semaine, des sondages donnant une nette avance à Joe Biden y compris dans les États-pivots, ces swing states qui basculent dans le camp démocrate ou républicain et où toute l’élection nationale se joue. La victoire de Trump en Floride notamment apparaît comme une surprise.
En France, les sondages avaient vu juste sur l’élection présidentielle de 2017… les dernières semaines avant le premier tour. Les prévisions et projections de votes réalisées un an et demi avant les élections, y compris présidentielle, ont systématiquement été démenties par la suite des événements : Balladur en 95, Jospin en 2002, DSK en 2012, Juppé en 2017…
Cela étant, du fait justement de l’américanisation de la vie politique française, les positions semblent se figer en un bipartisme non plus entre gauche et droite, mais entre centre et extrême-droite. Les candidats de gauche comme ceux des Républicains sont très loin derrière Macron et Le Pen en intentions de vote à l’instant où nous nous trouvons. Seule l’émergence d’une nouvelle figure, faisant autorité dans son camp, suffisamment rassembleuse pour gagner et suffisamment clivante pour rassembler, semble pouvoir déjouer l’hypothèse d’un deuxième tour en 2022 identique à 2017, scénario qu’une immense majorité de Français ne veut pas voir se réaliser.
Une nette progression du nombre d’électeurs par temps de crise
Alors que tous les scrutins présidentiels aux USA voyaient un déclin de la participation depuis trente ans, celle-ci a atteint un niveau record en 2020. Dans ces conditions et en talonnant Joe Biden sur le suffrage populaire – celui de tous les Étasuniens – c’est une double victoire pour Trump.
Au moins 66,5 millions d’électeurs américains ont voté pour le Président républicain candidat à sa réélection, soit trois millions et demi de plus qu’en 2016. De son côté, Biden atteint à l’heure où nous écrivons ces lignes 69,5 millions de suffrages en sa faveur, soit une augmentation du même ordre de grandeur que son rival par rapport à Hillary Clinton il y a quatre ans.
Le tout, alors que l’actuel locataire de la Maison Blanche, même s’il a battu campagne, n’a rien fait pour encourager le vote. A plusieurs reprises avant l’élection, il a remis en question la prise en compte du vote par anticipation, en particulier le vote par correspondance, auquel les Nord-Américains ont tout de même eu recours massivement – et pas seulement pour voter en faveur du candidat démocrate.
La France pourrait tout à fait connaître une progression de la participation similaire aux prochaines échéances nationales, du moins aux premiers tours, justement parce que la tempête que nous traversons rebat les cartes. Crises sanitaire, économique, sociale, sécuritaire, culturelle et politique s’entremêlent dans un schéma proche de celui vécu Outre-Atlantique.
Des discours martiaux et une escalade de la violence
Comme l’insolvable question de qui, de la poule ou de l’œuf serait apparu en premier, difficile de savoir si les discours attisant l’idée de guerre précèdent les situations de violences ou s’ils ne font que mettre des mots dessus. Toujours est-il que et Donald Trump, et Emmanuel Macron n’hésitent pas à employer un lexique martial, ce qui nous fait un point commun supplémentaire avec la situation des USA.
Or les actes de violence, de ce côté de l’Atlantique comme du leur, sont loin d’être seulement ceux dénoncés par le pouvoir en place. Les violences policières aux États-Unis et la répression violente des manifestations par les forces de l’ordre française, crevant des yeux et arrachant des mains dans son sillon, ont proliféré ces dernières années bien davantage que lors des décennies précédentes.
L’inexistence de milices armées de fusils ou de pistolets automatiques en France reste néanmoins une nette différence avec les USA. Celles-ci, généralement proches de l’extrême-droite, soutiennent activement Trump ou du moins combattent férocement les démocrates, dont les militants anti-port d’armes généralisé sont vus comme liberticides. Le Président républicain peut compter sur ce moyen de pression supplémentaire pour faire échouer moralement Joe Biden dans la guerre des nerfs qui a débuté cette nuit.
Cependant, à Lyon, Nice ou Lille, un certain nombre de groupes identitaires d’extrême-droite se préparent à l’affrontement, parfois munis d’armes, et tentent des démonstrations de force pour intimider, menacer voire violenter les personnes issues de l’immigration ou les militants progressistes. Ces nervis seraient de précieux soutiens à Le Pen, tante ou nièce, si elle venait à talonner son rival au second tour de l’élection présidentielle, tout en bénéficiant d’une certaine forme d’impunité de la part des policiers, certainement le corps de métier le plus marqué à droite en France.
Le repli nationaliste, continental ou occidental face à l’émergence de la Chine
Le score élevé de Donald Trump, dont plus aucun Américain ne peut ignorer sa singulière méthode d’exercice du pouvoir, fondée sur l’improvisation et l’imprévisibilité totale, ne peut être expliqué par la stupidité des électeurs étasuniens – ce qui serait une façon commode mais bien peu scientifique d’évacuer le débat.
Donald Trump, par sa politique économique protectionniste et la guerre commerciale qu’il a déclarée contre la Chine, allant jusqu’à tenter d’interdire TikTok sur le sol des USA, répond à la peur du déclassement et de la paupérisation, hantise de millions de travailleurs étasuniens en cas de perte du leadership de l’économie mondiale par cette nation. Dans un autre registre, le milliardaire apparaît incorruptible précisément parce qu’il est milliardaire, alors qu’il incarne plus qu’aucun autre les corrupteurs de son pays.
L’émergence de la République Populaire de Chine qui pourrait bien devenir la première puissance économique mondiale dans cette décennie qui s’ouvre se confirme et fait craindre le pire, tant à la bourgeoisie occidentale qu’au regard de centaines de millions de travailleurs nord-américains et européens, tenté par un repli aussi bien économique que culturel.
Ce cocktail explosif alimente les thèses d’un « Choc des civilisations », tandis que c’est davantage la Stratégie du chaos que nous vivons un peu plus chaque jour : un capitalisme et ses avatars libéraux ou nationalistes toujours plus violents et destructeurs à l’égard des classes laborieuses.
Certains y voient même les ingrédients d’une potentielle « Troisième Guerre Mondiale », un possible vers lequel le maintien au pouvoir d’un Donald Trump battu dans les urnes et mettant au tapis le système démocratique étasunien nous orienterait. Le repli n’est qu’une tactique pour mieux contre-attaquer, surtout de la part de la classe dominante capitaliste. Un scénario catastrophe que la pandémie du Coronavirus, ses centaines de milliers de morts et les confinements successifs pourraient précipiter : la guerre est une valeur-refuge pour la bourgeoisie en période de crise profonde du système économique et de faillite des institutions politiques. Nous en sommes plus proches que jamais.