Comment la convergence des droites a remis la réforme des retraites sur le tapis
Mardi 24 novembre dernier, le Sénat, présenté comme une chambre tenue par “l’opposition » LR, adoptait en première lecture le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2021. Parmi les nombreux volets que compte ce projet de budget, une des directives, centrée sur la question des retraites, fait polémique.
Une réforme d’ampleur en catimini
Si cette directive à toutes les chances de disparaître lors de la suite du processus parlementaire, elle est néanmoins révélatrice d’une convergence ouverte et totale entre LREM et “l’opposition” de droite.
Alors que la crise sanitaire du Covid n’en finit plus d’épuiser la population et de monopoliser l’espace médiatique, politique et social, le Sénat s’est dit que le timing était idéal pour ouvrir de nouveau le dossier épineux des retraites.
En effet, après un passage en première lecture devant l’Assemblée Nationale (qui fut adopté par 326 voix pour, 204 contre et quatre abstentions), ce projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2021, qui institue notamment un « forfait » de 18 euros pour les patients allant aux urgences sans être ensuite hospitalisés, a connu, lors de son examen devant le Sénat, un changement de taille qui cristallise toute les indignations.
Ainsi, l’amendement du rapporteur LR René-Paul Savary, pour la branche vieillesse, propose notamment, dans l’objectif «d’atteindre l’équilibre financier de l’ensemble des régimes de retraite de base en 2030», de repousser l’âge légal de départ à la retraite jusqu’à 63 ans en 2025 ainsi que d’accélérer l’allongement de la durée de cotisation pour atteindre 43 annuités dès la génération 1965.
Un texte radical voué à l’échec
En cette période de chômage massif, où les plans de licenciements se multiplient et où l’insécurité économique mine les français, une telle proposition est accueillie fraîchement par l’opposition de gauche. Ainsi, Bernard Jomier, Sénateur PS, considère que “à lui seul il [l’amendement] disqualifie le texte”. Laurence Cohen, sénatrice CRCE (communistes et républicains), voit dans ce texte une “totale indécence” compte tenu du contexte économique et social. Quant à la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge, elle fustige ce qu’elle interprète ici comme “une véritable obsession idéologique” de la part de la droite.
Car si cette disposition n’a, de l’avis général, aucune chance de survivre à la navette parlementaire (le gouvernement et le chef de file du groupe LREM à l’Assemblée, Christophe Castaner, y étant opposés), cette opposition est moins le fruit d’une divergence idéologique entre la majorité et l’opposition de droite qu’une simple question de timing, la ministre Brigitte Bourguignon (ministre déléguée en charge de l’Autonomie auprès du ministre des Solidarités et de la Santé) ayant jugée l’initiative de la commission des Affaires sociales “prématurée”.
Mais si le texte n’était aucunement voué à être mis en application ou même accepté, il est néanmoins révélateur d’une convergence idéologique de plus en plus assumée entre l’opposition de droite et la majorité LREM.
L’aveu d’une fusion des droites
En effet, le temps où le Sénat était au sommet de sa popularité et de son opposition frontale au gouvernement (avec les commissions d’enquêtes relatives à l’affaire Benalla notamment) est bel et bien révolu. Désormais, il s’aligne ouvertement sur les desiderata du gouvernement et de la majorité, devançant même parfois leurs volontés.
Ainsi, comme le fait remarquer Laurence Cohen, LR “profite d’un amendement pour faire revenir par la fenêtre la réforme des retraites”, alors même que le gouvernement, par la bouche d’Edouard Philippe, avait promis un cessez le feu sur la question, le Premier Ministre d’alors expliquant le 3 avril dernier que “le chef de l’Etat ayant demandé une union nationale, [il a annoncé la suspension] d’un certain nombre de réformes qui n’ont plus lieu d’être dans la situation actuelle”, comme la réforme sur les retraites.
Cet amendement, qui peut être interprété comme d’une surprenante violence compte tenu de l’impopularité de cette réforme ainsi que du contexte dans laquelle elle ressurgit, n’est en fait qu’un exemple de plus de l’alliance de fait entre les deux pôles de la droite que sont LR et LREM.
Un éclair de sincérité sans ambiguïté
Cet amendement, loin d’être un coup d’épée dans l’eau d’un point de vue législatif pour LR, vient s’ajouter à une longue liste de forfaitures comme le vote commun de la loi sur la Sécurité Globale (qui tranche largement dans le vif de la démocratie, des droits des citoyens et de la presse), le projet de loi de programmation de la recherche (où le délit d’entrave fut ajouté lors de sa réécriture en commission paritaire mixte LR-LREM et criminalise désormais les luttes étudiantes) ou encore le futur “projet de loi confortant les principes républicains” qui sera présenté en décembre prochain – et dont l’intitulé initial, portant sur le “séparatisme”, était plébiscité par la droite, qui voulait voir le texte aller plus loin.
Dans ces conditions, on peut sérieusement s’interroger et s’inquiéter sur la bonne tenue de la démocratie parlementaire dans notre pays, dans la mesure où le principal parti d’opposition, qui domine la chambre haute et est censé représenter un contre-pouvoir, s’aligne bien souvent sur l’idéologie ultra sécuritaire et libérale du gouvernement, au point de vouloir, de l’aveu de certains ténors LR comme Christian Estrosi, passer “un accord avec Emmanuel Macron pour qu’il soit [leur] candidat commun à la présidentielle”. Un éclair de sincérité qui lève toute ambiguïté.