Les retraites, elles sont à nous ! On s’est battu pour les gagner, on se battra pour les garder

Le présent article a été écrit en… automne 2010, au cœur de la mobilisation d’ampleur contre la réforme des retraites sous Nicolas Sarkozy qui a fini par imposer le recul de deux ans l’âge légal départ, de 60 à 62 ans. Nous le republions ici, étant donné le contexte de réélection d’Emmanuel Macron qui entend reporter l’âge légal à 65 ans, dans sa version originale inchangée.

 

Si les retraites constituent « le » sujet d’actualité, il est essentiel de prendre le temps de comprendre les enjeux énormes de la mobilisation actuelle, pour les salariés comme pour les jeunes.

 

Elles représentent, avant tout, un long combat du salariat pour le droit au repos après le travail. Dès le 19ème siècle, les retraites sont une revendication du mouvement ouvrier. A ce moment, et jusqu’au milieu du 20ème siècle, on n’arrête le travail que lorsqu’on est complètement usé, pris en charge par sa famille, au mieux lorsqu’on est parvenu à épargner un peu de son salaire.

Les grandes grèves, notamment 1936, et le rôle joué par les organisations ouvrières durant l’occupation, ont permis d’en faire un acquis des travailleurs en 1945 avec la sécurité sociale. Cette dernière instaure la solidarité nationale : une part des richesses produites par les salariés est directement socialisée pour permettre à ceux qui ne peuvent pas travailler (malades, vieux…) d’avoir une pension pour répondre à leurs besoins.

L’âge légal de départ à la retraite est passé à 60 ans en 1981, mais il faut noter une chose importante : l’âge effectif de départ à la retraite est en-deça de 60 ans (58,7 aujourd’hui), la grande majorité des salariés préférant une pension incomplète plutôt que continuer à travailler « jusqu’au bout » dans des conditions rendues pénibles par les cadences imposées.

 

Sauf que la part des richesses socialisée ne peut pas aller vers les profits, et représente un manque à gagner inacceptable pour le patronat. Ce dernier n’a eu de cesse de tenter de revenir sur cet acquis des travailleurs, ce qu’il fera pas à pas.

Dès sa création, le système de retraites par répartition est complexe : plus de 40 caisses différentes selon les professions, il existe un âge légal alors que c’est la durée de cotisation qui est déterminante… Le patronat et la droite sauront en user lors des réformes des retraites de 1993 et 2003, consistant à allonger la durée de cotisation et aligner les différences de professions (notamment public / privé) sur les moins avantageuses aux salariés.

S’ils sont parvenus à nous imposer cela, ce n’est pas qu’une question de gouvernements en place : c’est parce que, depuis des décennies, le rapport de force bascule progressivement en leur faveur, et donc en notre défaveur. Les syndicats, outils pour défendre nos intérêts, se sont divisés, affaiblis et sont devenus de moins en moins capables et même enclins à mobiliser leurs milieux. Les réformes n’ont fait qu’acter des évolutions du rapport de force global, c’est pourquoi la gauche au pouvoir n’est pas une garantie de retour sur les réformes injustes de la droite.

 

La réforme des retraites d’Eric Woerth va plus loin encore : en reculant l’âge légal à 62 ans, et l’âge à taux plein à 67 ans, la baisse des pensions sera telle qu’une retraite ne permettra plus, ne serait-ce que de subvenir aux besoins primaires, pour l’écrasante majorité des « vieux ». La solution : l’épargne par crédits, un marché juteux estimé à plusieurs centaines de milliards d’euros pour le secteur financier. A court terme, les plus anciens seront malgré tout contraints de travailler plus longtemps, ce qui aggravera encore l’obtention d’un emploi stable pour un jeune.

 

Devant la réalité de cette réforme, le gouvernement use de propagande pour la faire accepter, à grands renforts de mensonges. Il nous en matraque deux en particuliers :

Les caisses sont vides. Entre la dette publique et le trou de la Sécu, le refrain n’est pas nouveau. Mais si les caisses sont vides, c’est bien que l’argent est passé quelque part. Dans les poches des plus riches, d’une part : la réforme de la progressivité de l’impôt sur le revenu de Raffarin et le bouclier fiscal de Sarkozy représentent des dizaines de milliards en exonérations d’impôts. Dans les poches des banques, d’autre part : avec le bon prétexte de la crise, 360 milliards d’euros ont été distribués aux plus grandes multinationales financières par l’Etat français. Que ces deux poches soient bien souvent les mêmes, n’est qu’une coïncidence.

On vit plus, il faut travailler plus. Un concept du progrès pour le moins singulier. D’autant que le problème démographique n’est qu’un mensonge : tout d’abord, si nous vivons plus longtemps, c’est surtout parce que nous travaillons moins. La hausse de l’espérance de vie est donc loin d’être assurée. Ensuite, il y a de plus en plus de retraités, mais il faut de moins en moins de salariés pour produire autant. C’est la productivité, elle a été multipliée par 5 en 60 ans. Autrement dit, s’il fallait auparavant cinq travailleurs pour produire la quantité annuelle de chaussettes dont la population a besoin, il n’en faut plus qu’un aujourd’hui. Bien que nous ayons de nouveaux besoins, l’augmentation de la productivité est telle que nous n’avons pas de soucis à nous faire. Enfin, s’il manque réellement de main d’œuvre pour produire, pourquoi ne pas se tourner vers les millions de chômeurs que compte notre pays ?

 

Pour une raison simple : parce qu’ils constituent une armée de réserve permettant aux employeurs de maintenir de bas salaires et des conditions de travail déplorables. Et c’est dans ce même sens que vont la casse des retraites, aussi bien que la casse de l’éducation : individualiser les parcours, neutraliser l’organisation collective des travailleurs, en définitive baisser le coût du travail pour augmenter le taux de profits.

Face à la gravité de ces attaques et à l’implacable dureté dont semble faire preuve le gouvernement, nous ne pouvons pas laisser s’installer la résignation. Il existe un moyen simple d’influer sur le cours des choses : la lutte collective pour défendre nos intérêts. C’est uniquement ainsi que nous pouvons renverser la vapeur et construire le rapport de force du côté des (futurs) salariés.

 

C’est notre rôle aujourd’hui : mobiliser massivement les jeunes, les étudiants, dans la bataille contre la réforme des retraites. Ce n’est pas l’unique combat, les injustices commises par le gouvernement sont innombrables. Mais le meilleur moyen de le mettre à mal, c’est que l’ensemble du camp social ait le même axe de mobilisation, ainsi que le même mot d’ordre : le refus de la précarité comme horizon indépassable, aujourd’hui comme demain, à commencer par le retrait de la réforme des retraites.

 

Commentaire de l’auteur (25 avril 2022) : le journaliste en herbe que j’étais laisse entendre une confusion entre recettes de l’État (impôts) et recettes de la Sécurité sociale (cotisations). C’est bien la baisse et l’exonération des cotisations sociales qui tarit le financement de la Sécu, dont les retraites constituent l’essentiel de la branche d’Assurance Vieillesse. Or elles se sont multipliées en douze ans, sous Nicolas Sarkozy, François Hollande puis Emmanuel Macron, alors que la Sécurité sociale a dû encaisser les coûts énormes engendrés par la crise du Covid-19. A noter enfin qu’Eric Woerth, artisan de la réforme de 2010, s’est déclaré soutien d’Emmanuel Macron dès avant le premier tour de l’élection présidentielle ; une constance dans la volonté d’écraser les véritables productrices et producteurs de richesses de notre pays.

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