Le procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge débute aujourd’hui : la parole à la CGT-Cheminots, portée partie civile, par la voix de son secrétaire Laurent Brun

Message publié hier par Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-Cheminots, qui s’est portée partie civile dans le procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge.

Demain lundi 25 avril commence le procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny sur Orge qui a eu lieu le 12 juillet 2013.
Pour rappel, une éclisse (une barre d’acier qui raccorde deux rails consécutifs) s’est décrochée de son logement (parce que 3 des 4 boulons qui la maintiennent théoriquement en place étaient manquants) et a formé un obstacle qui a fait dérailler un train. Le bilan est de 7 morts et des centaines de blessés.
Un cheminot, DPX (c’est à dire un chef d’équipe), âgé de 24 ans a l’époque, chargé de la maintenance de la voie est le seul accusé individuel. Il lui est reproché de ne pas avoir détecté l’anomalie lors d’une tournée d’inspection 8 jours plus tôt. Il risque 3 ans de prison.
La SNCF est également mise en accusation, elle risque une amende.

Déjà il faut noter l’injustice de la situation : l’agent SNCF risque très cher, alors qu’aucun dirigeant de l’entreprise ne risque rien. C’est la collectivité SNCF, donc y compris ses salariés, qui subira l’amende en cas de condamnation.

Aucun des responsables qui a pris des décisions aboutissant à cette situation ne risque rien. Par ordre croissant : le DET qui a validé le budget emploi de son établissement en sachant pertinemment que c’était insuffisant, les dirigeants nationaux qui ont imposés ces budgets en sachant que ça allait contraindre les échelons inférieurs « à se débrouiller » c’est à dire à adapter les règles de sécurité ou les pas de maintenance, les administrateurs représentants la tutelle (les différents ministères) qui demandaient à chaque budget un coup de rabot supplémentaire sur les effectifs, et bien sûr l’Etat lui-même qui n’a pas octroyé les subventions suffisantes et surtout qui a institué cette idéologie mortelle qu’on peut toujours faire plus avec moins, que les cheminots sont des feignants privilégiés et qu’il suffit de supprimer des moyens pour les obliger à bosser un peu plus.

Il est vrai que les cheminots tentent de palier largement le manque de moyens, mais quand on supprime des effectifs, au final on supprime du travail, donc des tâches qui ne seront pas réalisées. C’est vrai dans les gares où on ferme des guichets, mais c’est vrai aussi à la maintenance du matériel ou de la voie.

Les procédures et la consistance de la maintenance sont de plus en plus adaptées aux moyens disponibles. Or dans le chemin de fer ça fini par se payer cash : on l’a oublié mais propulser un module de plusieurs centaines de tonnes à 120, 200, ou 320 km/h, c’est extrêmement dangereux. Ça suppose des procédures très rigoureuses et un matériel dans un état impeccable. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est de moins en moins le cas.

La défense de la Direction consiste à reporter la faute sur la qualité de l’acier de la pièce. Selon elle rien ne prouve que les boulons ne sont pas tombés dans l’intervalle entre la tournée d’inspection et l’accident, du fait de micro fissures dans l’acier. Ce serait donc la « faute à pas de chance ». Si cette défense permet de sauver le collègue (bien qu’elle ait peu de chance d’aboutir puisque rien ne vient étayer cette théorie), elle permet surtout à l’entreprise de ne pas mettre en cause les moyens, les procédures, et les décisions. Or c’est précisément ce que pointe l’expertise faite à la demande du tribunal.

Quand bien même l’acier serait en cause : que fait la Direction pour que ça ne se reproduise pas ? Lors d’une tournée dans un EIV des cheminots me faisaient part de la mauvaise qualité de coeurs d’aiguille qu’ils avaient reçu d’un fournisseur chinois. Pourquoi ne pas reprendre la main sur la qualité des pièces de la voie ? Il y a quelques mois la CGT avait adressé un courrier dans ce sens à la Direction SNCF. France Rail Industrie (associant l’aciérie d’Hayange et Ascoval dans le Nord) était à nouveau en liquidation. Or cette entreprise produit des rails pour la SNCF. Nous proposions que la SNCF la reprenne afin de sécuriser ses approvisionnements. Ça aurait aussi été l’occasion de sécuriser la qualité des pièces de la voie. Notre courrier est resté lettre morte.

Pour la petite histoire, à chaque hausse du prix de l’électricité le nouveau propriétaire menace de délocaliser et l’Etat aurait contraint la SNCF à augmenter le prix d’achat des rails pour compenser. Si nous l’avions repris, il aurait pu bénéficier des tarifs électriques négociés par la SNCF et donc les prix seraient moins sujets à spéculation (la CGT propose aussi un partenariat avec EDF pour sécuriser le prix de l’énergie mais ce n’est pas le sujet).

Donc la Direction SNCF rejette la faute sur la qualité de l’acier mais ne fait rien pour corriger la situation. C’est le symptôme que nos dirigeants n’agissent plus comme organisateurs du service public (on résoud les problèmes) mais comme des capitalistes (on se cache derrière un contrat pour diluer les responsabilités et faire notre beurre). Tout cela sous le regard bienveillant, voire l’incitation fanatique, du Gouvernement.

Je le dis immédiatement : on ne sait pas si le collègue a vu une éclisse normale, s’il a détecté un défaut et a décidé de ne pas en tenir compte (par exemple parce que son planning de maintenance était déjà blindé et qu’il n’a pas mesuré le danger d’une éclisse mal attachée) ou si la tournée n’a pas eu lieu par manque de temps mais à été marquée réalisée pour ne pas se faire plomber par la hiérarchie. Dans tous les cas, ce n’est pas lui qui doit aller en prison ! Il ne s’agit pas d’une défense corporatiste. Il y a eu des morts et des blessés, c’est un sujet très grave. Mais très clairement la faute va à ceux qui ont installé cette situation.

Il y a quelques années, un expert était venu présenter ses conclusions devant les cheminots de Lyon, suite à une expertise sur la mort d’un cheminot de l’Equipement sur des travaux (ça devait être aux alentours de 2010). Il y avait 200 collègues présents. Cet expert a expliqué la situation dans laquelle était les salariés : quand une anomalie se produit exceptionnellement, le salarié arrête le travail le temps de rétablir une situation normale. Mais lorsqu’on vous installe dans une situation en permanence anormale, le salarié ne peut pas arrêter en permanence le travail, il veut bien faire, alors il s’adapte au cadre qu’on lui impose et il prend des décisions contraire à sa propre sécurité pour essayer de concilier une sécurité maximale avec les moyens dont il dispose.

C’est là dessus que comptent les dirigeants SNCF et les ministères quand ils réduisent les budgets. Les échelons inférieurs devront « se débrouiller ».
C’est ça qui est criminel !

Une des variantes actuelles consiste à confier le travail à un sous traitant, en fermant les yeux sur les conditions dans lesquelles il réalise le travail (sécurité et qualité). La non plus, ce n’est pas la faute au salarié espagnol ou polonais s’il se produit un accident. C’est la faute du donneur d’ordre !

L’employeur se retranche derrière le « on ne savait pas, on avait pourtant demandé une sécurité maximum ». Mais en ne mettant pas les moyens, ils savent bien qu’il va y avoir des défaillances. La seconde défense est en général « oui mais si le salarié n’avait pas fait ça ou ça, il n’y aurait pas eu de problème ». La faute humaine, le lampiste, c’est toujours la dernière ligne de défense.

Pourtant la encore, on sait que l’être humain est faillible. Donc il y aura des fautes. Il faut de la formation et de bonnes conditions de travail pour les limiter. Mais l’erreur humaine se produira néanmoins. A ce moment là, ce sont les procédures efficaces, incluant des boucles de rattrapages techniques ou humaines, qui empêcheront la catastrophe. Or justement, plus on supprime de moyens, plus les boucles de rattrapage sautent (quand un salarié doit arbitrer face à un manque de moyens, il supprime d’abord les boucles de rattrapage justement parce qu’elles ne sont pas indispensables à la production immédiate et qu’elles ne servent qu’en cas de problème… donc il compte sur le fait qu’il n’y aura pas de problème).

Ça me rappelle l’enquête sur le nez à nez de Saint Romain en Gier en 2003. L’ergonome du travail (dont le poste a été supprimé par la suite) avait auditionné le DPX qui disait « pour avoir 10 agents, j’en réclame 20, et on m’en donne 8. Donc j’ai supprimé les garde plaque en me disant que le poste d’aiguillage assurait notre sécurité ». Or justement, le poste d’aiguillage a commis une erreur et en l’absence de garde plaque (des agents qui interdisent l’entrée des trains à chaque bout d’un chantier) et bien le TGV expédié sur la voie a tapé le TTX (ce n’est pas la seule cause, l’enquête du CHSCT a duré 3 mois et j’avais des tonnes de causes, pratiquement toutes liées à un manque d’emplois dans les différents services).

Monsieur Farandou doit s’en rappeler puisqu’il était directeur de la Région de Lyon à l’époque et que la CGT avait abondamment abordé le sujet en séance plénière du CER. Certains projets d’entreprise avaient d’ailleurs été suspendus suite à cet accident. Mais la leçon n’a pas été retenue longtemps. La pression à la « productivité » a vite repris sa course.

Dans ce procès, ce qui devrait être condamné c’est la recherche constante de « productivité humaine ». D’autant plus qu’avec 832 millions d’euros de résultat l’année dernière, poursuivre les suppressions d’emploi est tout simplement ignoble. Ce qui devrait être imposé à la SNCF et à l’Etat, ce n’est pas une amende, mais l’obligation de moyens par rapport aux charges de travail et aux procédures de sécurité, l’obligation d’un avis contradictoire des représentants des salariés (la direction SNCF donne de moins en moins d’élément sur les charges de travail et avec les CSE on a de moins en moins de visibilité sur l’organisation du travail), et une responsabilité pénale des ministres et des plus hauts grades.

Malheureusement, la justice n’est pas faite comme ça. C’est une justice de classe qui cherche celui qui a appuyé sur le bouton, plutôt que celui qui est responsable des conditions dans lesquelles les choses ont été faites.

Mais ça n’empêchera pas la CGT, qui est partie civile dans le procès, de continuer à dénoncer les décideurs et à organiser les cheminots pour combattre la baisse des moyens. Pour éviter un prochain Bretigny !

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