Pourquoi sommes-nous la tribune des sans-voix ?
Même au sein de la rédaction, on ne se rend pas compte qu’Infoscope entame déjà sa cinquième saison.
Difficile de mesurer le chemin parcouru alors que le succès est plus d’estime que populaire.
Non pas que nous n’en soyons pas satisfaits mais il est vrai que notre aspiration à devenir un authentique média populaire est intacte.
Surtout après avoir réalisé des documentaires, écrit articles et brochures. Nous aurons le luxe d’en présenter quelques-uns ultérieurement.
Aujourd’hui, l’aventure se poursuit grâce à notre nouvelle émission, la Soupe Angevine, en partenariat avec Radio Campus.
Deux ans après nos premières chroniques, l’exercice fut particulièrement structurant, en particulier lors de la bataille contre la réforme des retraites.
Nous en avons profité pour changer de support, passant du documentaire au radiophonique.
Cette dernière séquence nous a galvanisé et nous a permis de nous structurer, rendant l’objectif d’être professionnels à temps plein toujours plus tangible.
C’est un secret de polichinelle : alors que les travailleurs représentent l’immense majorité de la population du pays, ils sont très largement sous-représentés dans les médias. C’est le constat qui nous a amené à fonder Infoscope, en avril 2019.
A la lecture de ces lignes, on pourrait faire la juste remarque que ce genre de formules paraît bien vide de significations.
En guise d’anecdote, avant de s’appeler Soupe Angevine, nous avons cherché une identité populaire voire rassembleuse. Voilà comment vous avez échappé à Tribune Populaire, “l’émission qui donne la parole à celles et ceux qui triment”.
Comme quoi, nous avons bien fait d’ériger comme principe dans notre rédaction le droit à l’erreur…
Blague à part, aucun journaliste assumera de mentir, bien que certains le fassent sciemment pour écouler quelques tirages.
Mais ne cédons pas aux sirènes de la facilité : la plupart des confrères sont attachés à l’idée de faire un travail juste et cohérent.
Ce n’est pas tant celui-ci qui pose problème, c’est l’accaparement des médias mainstreams par quelques-uns qui ont l’unique avantage d’être riches. Rien ne dit cependant qu’ils sont compétents pour diriger une telle entreprise.
Mais comme il s’agit d’être réaliste, nous savons que nous ne jouons pas dans la même cour que le Monde, Figaro ou Libération…
Notre distinction se base donc sur la singularité de notre parcours, en dehors du sérail.
Parce qu’en Anjou, les débouchés sont minces pour celui ou celle qui veut produire de l’information en dehors du Courrier de l’Ouest et de Ouest-France.
Hormis la kyrielle de correspondants locaux, sous-payés et maltraités, nous ne connaissons peu de journalistes qui vivent à Angers, encore moins dans le Maine-et-Loire.
L’observateur avisé remarquera avec une certaine malice qu’il existe tout de même des médias indépendants mais l’auteur de ces lignes serait curieux de comparer la portée de la presse mainstream par rapport à l’offre alternative.
“ Constat amer: faut-il céder au veau d’or pour être reconnu comme un professionnel de l’information ? “
En un mot comme en cent, nous n’avons pas comme objectif final d’obtenir une carte de presse afin de nous sentir appartenir à une quelconque corporation.
Peut-être signifierait-elle quelque chose aux yeux de proches bien intentionnés, mais elle ne pourrait jamais apporter la plus-value que nous cherchons par notre travail.
Notre audience, nous sommes allés la chercher, avec sincérité mais surtout avec sérieux. Notre charte en est d’ailleurs l’expression fondamentale.
Maintenant que le train est en marche, il n’y a aucune raison de s’arrêter en si bon chemin et puisque notre audience n’est pas massive, nous avons bien entendu comme objectif d’aller chercher de nouveaux auditeurs.
ACTEUR D’UN MONDE QUI CHANGE
Bien que les horizons dont nous venons soient divers – les uns ont un master quand d’autres n’ont pas le baccalauréat – ce qui nous unit, c’est notre connaissance du terrain.
Nous aimons penser que les compétences acquises, en autodidacte, sont la marque de fabrique d’Infoscope.
Comme le dit la chanson, nous n’avons eu besoin que d’un truc qui filme pour filmer nos documentaires.
En cette période de coupe du monde, octroyez nous le droit de nous considérer comme des rugbymen de l’information.
Pour filer la métaphore, nous nous envisageons plus comme de valeureux fidjiens que le Tiers-1 des médias qui trustent la place, en raison de l’élitisme de la profession.
Nous ne bénéficierons peut-être jamais d’une couverture conséquente ni d’un réseau étoffé. Si nous restons sur Angers alors que les perspectives de développement dans une ville, réputée pour son centrisme mou, sont minces, nous restons convaincus qu’il existe un espace pour une expression alternative.
Parce que la cité des Ducs d’Anjou n’est pas qu’une ville de bourgeois comme on l’entend dire trop souvent.
Il faut libérer l’expression populaire, qui va d’ailleurs au-delà des murs de l’enceinte.
Elle est invisibilisée car écrasée par l’attraction que constitue le centre, ses mondanités et ses potins.
C’est l’ambition que nous portons avec d’autres, comme Radio Campus ou surtout la Topette et nous en profitons pour les saluer et vous inviter à suivre les travaux des uns et des autres.
Ils ne sont pas les seuls bien entendu, ils sont à l’image de cet air du temps, contestataire et irrévérencieux. Nous nous inscrivons dans son sillage.
Quand nous menons nos enquêtes dans les quartiers populaires ou bien quand nous allons en campagne, nous voyons bien que les travailleuses et travailleurs ont quelque chose à dire.
Quand les sapeurs-pompiers courent en la mémoire d’une des leurs, on remarque que les choses changent.
A ce titre, c’est un mouvement bien plus large que le cadre du département ou même du pays car on l’observe aussi partout où nous allons.
Le slogan “la tribune des sans-voix” n’est évidemment pas choisi par hasard, nous nous sommes directement inspirés du surnom de Mumia Abu-Jamal (la voix des sans-voix, NDR), militant emprisonné aux Etats-Unis.
Malgré lui, il est un des symboles des luttes qui traversent la plus grande puissance impérialiste de l’Histoire : être américain ne se résume ni à faire partie de l’establishment ni à être un cowboy raciste.
Pour ce qui concerne de plus proches problématiques: nos sacrifices, certes pas toujours réfléchis – mais qui peut prétendre au génie ? – restent la marque de l’épanouissement que nous trouvons à mener nos enquêtes.
C’est un honneur de voir nos films projetés, être une pierre, fusse t-elle minuscule, à l’édifice.
A l’heure où la bataille des idées bat son plein, il semble que nous ayons quelques arguments à faire valoir.
Que celui qui pense que c’est du romantisme révolutionnaire se détrompe: la plupart d’entre nous ont un emploi en dehors d’Infoscope.
Dans la journée, nous avons à peine le temps d’enlever le bleu de travail qu’il faut enfiler le costume de journaliste, micro à la main et caméra à l’épaule… Enfin, quand nous en avions une.
Par exemple, Il était une fois une boîte est la traduction de l’intérieur de la détresse du personnel soignant.
Nous n’avons nul besoin de nous substituer au vécu des autres puisque nous sommes traversés par les mêmes réalités.
L’idée n’est pas tant de se plaindre que d’expliquer l’enjeu profond de notre démarche.
Évidemment, nous doutons. Beaucoup, tout le temps. D’un autre côté, notre exigence nous pousse à tirer le meilleur de nous-même.
“Nos enquêtes sont à hauteur humaine parce que nous sommes issus de la masse. Nous ne sommes pas des militants d’avant-garde.”
Nous parlons de ce monde qui change au gré de l’évolution du rapport de force et bien que nous soyons de toutes les luttes, en soutien des camarades qui se battent au quotidien, jamais nous ferons à leur place.
La posture du militant-reporter, à la François Ruffin ou celle du lanceur d’alerte, comme Elise Lucet, ne nous attire pas.
Notre inspiration se trouve dans les respirations des rues que nous traversons, des champs que nous coupons à travers. Nous écoutons ce que les travailleuses et les travailleurs ont à dire, même quand leur voix est timide et que leur ton est peu assuré.
Infoscope, c’est une manière de voir le monde, loin du tumulte des assemblées, en dehors des couloirs sombres des sièges des partis.
D’ailleurs, on peut se mettre d’accord sur l’idée que la prise du pouvoir peut être la conséquence d’un processus électoral. Nous ne sommes pas Nostradamus.
Mais sans organisation, sans boussole, il n’y aura aucun changement.
Le débat démocratique a besoin d’entendre qu’il existe une alternative au capitalisme et que cette alternative, ce n’est pas les factieux.
Dans un moment où on se demande comment incarner nos idées, nous proposons d’élargir la focale à l’unique facteur du chef.
Nous ne faisons pas ça par gaîté de cœur, nous le faisons par esprit de responsabilité car il est possible que Marine Le Pen arrive au pouvoir en 2027.
UN SENTIMENT DE REVANCHE
Des blessures, vous l’aurez compris, nous en avons, des multiples, des profondes mais plutôt que de parler au nom de tous, j’aimerais ici livrer une expression plus personnelle, au-delà du personnage d’Adam Fourage.
J’insiste sur le terme personnage, car ce n’est qu’un nom d’emprunt, sous le masque se cache le visage de Mehdi Bouqsim.
Mais avant toute chose, sachez qu’il ne s’agit pas de faire amende honorable mais de préciser, à l’aune de ma propre expérience, le propos établi précédemment.
Le masque d’Adam Fourage, on le reconnaît à son style mais derrière la posture tribunitienne, il y a une démarche radicale, voire essentialiste d’aborder les sujets, les thèmes, les faits relatés.
Quant au visage de Mehdi Bouqsim, il serait surprenant qu’il dise quelque chose à la plupart d’entre vous.
A la limite, il est un gamin des pavés d’Angers, rugbyman à ses heures perdues, ex-militant syndical durant ses études voire historien raté pour les intimes…
Au moins il a son sens de l’humour pour lui.
Mais pour d’autres, ce nom est associé à une sordide affaire de viol, véhiculée par un journaliste aux méthodes douteuses mais comme nous ne sommes pas des dealers de l’info de caniveau, nous aurons la politesse de taire son nom.
N’ayant jamais été poursuivi ni même inquiété à ce propos, j’ai été livré à un tribunal médiatique, bafouant au passage les principes fondateurs de l’état de droit, à savoir la présomption de l’innocence et le respect du contradictoire.
A la fin des fins, il semble que j’aie servi de tête de turc, dans un contexte où j’ai fait l’erreur de participer à l’élection municipale de 2020. Explications.
En tant que candidat à la 35e position (sur 60) d’une liste de gauche, il aurait fallu un cataclysme cosmique pour que je sois élu.
Il s’avère tout de même que j’étais encore actif dans les luttes étudiantes, il me semble que j’avais un certain crédit politique.
C’était d’ailleurs le cas puisque j’ai investi beaucoup d’énergie à tenir une alliance faite de bric et de broc, dans un contexte où la gauche avait réalisé l’exploit de ne pas présenter une mais bien trois listes, alors que le bloc libéral – représenté par M. Christophe Béchu, notre raïs à nous – faisait front.
Mais parler programme est anecdotique quand mélanger sexe et politique est bien plus vendeur pour cette presse accro aux faits divers. Une affaire de violence sexiste et sexuelle, à gauche, c’est sûr ça va faire la Une.
Ça n’a pas manqué.
Le confinement n’avait même pas commencé que Christophe Béchu fut plébiscité avec presque 60% des voix exprimées au premier tour.
Ironiquement, le cataclysme cosmique a eu lieu.
En ce qui me concerne et sans nier les épreuves que j’ai traversées, on peut dire que j’en suis revenu.
Mon nom est retombé dans l’anonymat et c’est tant mieux. Adam Fourage, en revanche, s’exprime.
En bon humaniste, je sais que je ne sais rien mais je reste convaincu que ma place est auprès des gens que j’interview: la plupart oublieront leur nom mais la dignité de leur combat contribue à rendre le monde meilleur.
Ce n’est pas le nom qui importe, c’est ce qu’ils font. Voilà pourquoi nous sommes la tribune des sans-voix.