La démocratie a parlé, Macron feint de l’ignorer

Le Président Macron croit encore être le maître des horloges alors qu’il n’est même plus capable de lire l’heure. S’il regardait sa montre, il se rendrait compte que les élections législatives anticipées, qu’il a imposées à la France, sont passées et qu’elles ont déjà rendu leur verdict.

Dès lors, il ne pourrait plus, comme il le fait dans un déni de réalité qui confine à la folie, refuser de voir les résultats de sa dissolution de l’Assemblée nationale. Il ne pourrait plus prétendre que « personne n’a gagné ».

Prenons les chiffres

La coalition présidentielle a perdu 84 députés dont 70 sièges en moins pour le seul groupe macroniste, Renaissance rebaptisé Ensemble Pour la République, quand le groupe Horizons maintient ses 31 sièges. La plupart des parlementaires de cette coalition, élus ou réélus, l’ont été très largement grâce au report de voix des électrices et électeurs de gauche. Au total, 166 députés.

Le groupe Rassemblement National a gagné 38 députés et voit le renfort de 16 députés « A Droite ! », le groupe d’Eric Ciotti. Mais pour le camp nationaliste, qui visait la majorité absolue la veille encore du second tour, se retrouver en troisième position est le signe d’une défaite cinglante au point que Jordan Bardella n’a pas accordé la moindre interview depuis le 8 juillet 2024 – ce qui nous fait de sérieuses vacances. Au total, 142 députés.

Le Nouveau Front Populaire (NFP), sur une logique de rassemblement non derrière un homme, comme le fut le NUPES en 2022 (avec son mot d’ordre « Jean-Luc Mélenchon Premier ministre »), mais derrière un programme de rupture, voit les rapports de forces s’équilibrer au sein de la gauche avec trois députés en moins pour LFI, cinq pour le groupe communiste GDR, mais 17 sièges en plus pour les écologistes et 35 conquis par le Parti socialiste. Certains parlementaires ont été élus grâce au report de voix du camp présidentiel, quoique très relatif en comparaison à celui de la gauche vers les macronistes. Au total, 193 députés.

Restent Les Républicains, renommés Droite républicaine, dont le nombre de députés est passé de 61 à 47 mais qui se croient suffisamment forts pour imposer leurs propres « pacte législatif » et agenda parlementaire.

Un gagnant et un perdant

Le NFP a donc remporté les élections, que cela plaise ou non ; et il l’a fait sur le programme qui a été le plus honnêtement présenté et défendu devant les électrices et les électeurs, là où le camp présidentiel et le camp nationaliste entretenaient un flou artistique programmatique tirant vers l’infâme.

A l’inverse, le grand (et seul véritable) perdant est le camp macroniste ; les chiffres nous le montrent et les faits sont têtus.

N’importe quelle démocratie parlementaire verrait le chef de l’État reconnaître d’abord l’échec de son ex-majorité et la victoire de la coalition arrivée en tête. La force majoritaire serait chargée de composer un gouvernement, puis d’éprouver son exercice du pouvoir au sein de l’Assemblée nationale pour chercher sur chaque texte de loi une majorité absolue.

Oui, mais la France n’est pas « n’importe quelle » démocratie parlementaire. Depuis la Vème République, l’élection présidentielle au suffrage universel direct et plus encore depuis la mise en place du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, la France n’est même pas une démocratie parlementaire. C’est un régime présidentiel.

En sanctionnant sévèrement le camp macroniste, les électeurs français ont parlé. Monsieur Macron avait juré, la main sur le cœur, que la meilleure chose à faire le jour où son camp avait perdu l’élection européenne était de redonner le choix aux citoyens par de nouvelles législatives. Le choix est exprimé, Monsieur Macron ne veut pas l’entendre.

Un gamin capricieux

Refusant d’admettre qu’il a perdu et surtout qu’il a perdu seul, Emmanuel Macron tente d’entraîner dans sa chute les autres forces politiques, décrétant tout à coup que « tout le monde a perdu ».

Refusant de lâcher son exécutif, Emmanuel Macron tente d’imposer au pays le maintien d’un gouvernement démissionnaire dont dix-sept (17!) ministres siègent et votent à l’Assemblée nationale en tant que députés, pour une durée d’au moins un mois et demi (« pas de gouvernement avant mi-août » promet M. Macron le 23 juillet), peut-être de plus de deux mois (« il faut un gouvernement à la rentrée des classes » de septembre, selon Gérald Darmanin sur BFMTV le 24 juillet).

Refusant de lâcher son pouvoir, Emmanuel Macron tente les coups de billards à douze bandes en posant comme condition préalable pour gouverner la recherche d’une majorité, capable de résister à toute motion de censure notamment lors du vote du budget, donc une majorité absolue.

Le Président de la République se comporte en gamin capricieux et change les règles dès lors qu’il commence à perdre. Cela abîme la fonction, la République et la France. Cela nuit, aussi, aux intérêts populaires.

Wauquiez, le nouveau Bardella

Le camp présidentiel a bien pu compter sur le soutien de la Droite républicaine (DR) pour faire réélire in extremis Yaël Braun-Pivet au perchoir, avec un écart de voix face au candidat du NFP André Chassaigne (220 contre 207) inférieur au nombre de ministres ayant pris part au vote.

Qu’a obtenu le groupe mené par Laurent Wauquiez en échange de son soutien à l’ex et nouvelle présidente de l’Assemblée nationale ? A l’évidence, pas des postes-clé au sein du Parlement, puisqu’ils ont tous été répartis sans prime particulière à la DR. Donc des postes-clé dans un gouvernement à venir.

Les macronistes répètent à l’envi que seule pourrait gouverner une coalition allant des sociaux-démocrates à la droite républicaine, avec au centre du jeu, tadaam ! Les macronistes. La ficelle est tellement grosse qu’on a du mal à savoir s’ils croient eux-mêmes pouvoir faire avaler cette couleuvre au peuple français et à sa représentation nationale.

Il n’y a décidément que les sous-fifres de la Macronie pour croire que les socialistes, élus sur le programme du Nouveau Front Populaire, voudraient participer à un gouvernement dirigé par Laurent Wauquiez plutôt qu’à un gouvernement dirigé par Lucie Castets, proposition de nomination à Matignon qui fait l’unanimité au sein du Nouveau Front Populaire.

Il n’y a, également, que les derniers des macronistes pour croire que leur chef peut imposer une « trêve olympique » deux semaines après avoir organisé des élections législatives.

En réalité, des tractations obscures se trament pour que le camp présidentiel et celui de M. Wauquiez, qui ne constituent pas à eux deux une quelconque majorité absolue, aillent chercher l’appoint auprès de la frange d’extrême-droite de l’hémicycle que dans sa moitié gauche.

La crainte ultime de Macron

Si, avec exactement les mêmes chiffres de députés dont dispose le NFP, la coalition présidentielle était arrivée en tête, Gabriel Attal aurait déjà été réinvesti Premier ministre et aurait déjà composé son nouveau gouvernement d’union sacrée.

Si le RN avait obtenu la majorité relative à l’Assemblée, Emmanuel Macron aurait nommé le lendemain du second tour Jordan Bardella à Matignon, parce que c’était son calcul politique de mettre à l’épreuve le RN, comme si l’on pouvait jouer avec le destin d’un pays comme la France et celui des peuples du monde.

Mais pour Monsieur Macron, rien ne s’est passé comme prévu : la gauche a gagné. Et sur un programme, assumé, de rupture. Le pire scénario pour les commanditaires de l’Élysée, la bande d’ultra-riches qui voit d’année en année son capital exploser en tête des classements des grandes fortunes.

Si le camp présidentiel croyait vraiment que le NFP risquerait de tomber dès le premier dépôt d’une motion de censure et avant même d’avoir pu passer la moindre loi, cela ferait longtemps que la coalition de gauche aurait été appelée à gouverner par M. Macron. Le coup parfait pour le chef de l’État : neutraliser un adversaire par ses propres difficultés.

Au contraire, ce que craignent plus que tout les macronistes, c’est que le NFP réussisse à gouverner, à faire passer certaines de ses mesures-phares comme l’augmentation des salaires, la taxation des super-profits, l’abrogation de la réforme des retraites et la gratuité intégrale de l’Éducation nationale.

Les marchés veulent Wauquiez

« Et les marchés, vous y avez pensé aux marchés ? » sifflerait François Patriat encore plus souvent qu’il ne le fait déjà, le patron des sénateurs macronistes tellement connecté à la réalité économique qu’il est convaincu que les salariés du BTP ont des exosquelettes pour les protéger des maladies professionnelles et des accidents du travail.

En tout cas, eux, ils y pensent, aux « marchés ». Pas le petit marché du coin où le fromager, le primeur et le charcutier proposent à leur clientèle le fruit de leur artisanat ; non, les gros marchés, le CAC 40 et ses fluctuations incessantes. Les macronistes y pensent tellement qu’ils sont obsédés par les marchés financiers, parce qu’ils savent que leur projet politique tient en une formule : servir les gros actionnaires.

Et puis les « marchés » pensent à eux, en retour. Non pas comme des personnes à respecter, mais comme les serviteurs zélés qu’ils ont toujours été. Les « marchés », qui ont des noms et des visages, ceux des multimilliardaires, comptent bien sur ce qu’il reste du macronisme pour opérer un énième virage à droite en plaçant Monsieur Wauquiez à la tête d’un gouvernement plus ou moins soutenu par le RN tellement il pencherait à droite.

La démocratie appelle Castets

Toute la logique républicaine et démocratique, toute la lettre et tout l’esprit de nos textes constitutionnels appellent Emmanuel Macron à nommer Lucie Castets au poste de Première ministre.

C’est cette jeune femme, ayant fait ses preuves dans la défense des services publics tant esquintés par la Macronie, présentant un C.V. Irréprochable et une force de caractère capable de mettre au diapason la coalition de gauche, qui est l’unique choix sensé pour former et diriger un gouvernement.

Si ce gouvernement ne dure que quelques jours ou quelques semaines, cela ne relève ni de la responsabilité, ni de la préoccupation d’Emmanuel Macron. A moins que le chef de l’État ne se comporte pas en Président de la République française mais uniquement en défenseur « quoi qu’il en coûte » de la classe capitaliste, s’inventant pour cela des missions qui ne lui ont jamais été confiées ni par la Constitution ni par le peuple, comme la composition d’une majorité parlementaire suffisante pour faire passer les textes budgétaires à l’automne.

Les marchés ont peut-être choisi Wauquiez, mais les électrices et les électeurs ont choisi Castets ; voilà le dénouement d’un mois et demi de séquence de tension politique intense entamée par la dissolution de l’Assemblée nationale.

Démocratie ou déferlante

Si la classe dominante parisienne et mondiale compte bien profiter des Jeux Olympiques avec un non-gouvernement tout au long de l’événement, sans visiblement n’avoir aucun égard pour les Jeux Paralympiques qui se terminent le 8 septembre, l’enthousiasme bourgeois finira par être balayé par la volonté populaire.

Si le chef de l’État ne respecte pas les institutions, il ne pourra plus jamais espérer des classes travailleuses portant le pays à bout de bras qu’elles le respectent, lui.

Si Monsieur Macron s’enfonce encore dans son déni de démocratie, alors tôt ou tard une déferlante populaire lui rappellera que la France n’est pas son jouet.

Crédits photo : Funky Tee, CC BY-SA 2.0

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