La banalité de la culture

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Dans la lutte politique, il n’y a pas que le militantisme concret qui importe. Pour un renversement en profondeur de l’ordre en place, il faut donner de l’épaisseur à l’action.

Donner à voir, saisir, sentir, capter, le monde dans lequel nous vivons est le nerf de la guerre des idées, le ciment pour construire l’hégémonie culturelle. En ce sens, le travail de théorisation relève d’une importance fondamentale, tout comme celui de la création artistique.

C’est une perspective d’autant plus décisive que la théorie comme la création furent pendant trop longtemps accaparées par la bourgeoisie, qui dénature fondamentalement leur fonction en les vidant de leur substance. 

 

Prenons l’exemple de l’industrie cinématographique, le symbole de la culture au XXe siècle: faute de moyens – ou de salles, à un prix raisonnable – le public déserte les complexes et les studios se retranchent, soit en capitalisant sur des productions installées mais pauvres en idées novatrices, soit en réalisant des séries, moins coûteuses, sur des plateformes de streamings, quitte à perdre de l’argent.

Quand on pense à une boîte malade de ces deux maux, c’est bien Disney. La franchise peine à proposer du nouveau alors qu’elle possède les licences parmi les plus lucratives de l’histoire du cinéma (Marvel, LucasFilms, 21 Century Fox et bien sûr son propre catalogue de contes de fée).

Le mastodonte perd tellement d’argent qu’on en viendrait presque à se demander si le studio ne va pas mourir en emportant avec lui tout un modèle: celui d’Hollywood.

A l’heure où Angers se transforme, le temps d’une semaine, en capitale du cinéma, peut-être serait-ce l’occasion de prendre un peu de recul, en se demandant si l’exception culturelle n’est pas devenue banale ?

 

Dernier plan

 

Cette expression est un concept français, présentant la singularité de son modèle créatif. 

D’ailleurs, on peut en être fier, puisqu’Anatomie d’une chute, de la réalisatrice Justine Triet, est nominée dans plusieurs catégories aux Oscars, la cérémonie la plus prestigieuse du cinéma mondial. 

Pour autant, à l’heure de l’affaire Depardieu, on constate que les politiques ont choisi leur camp: quand le président de la République défend le monstre sacré (dans tous les sens du terme) du cinéma français, le gouvernement a refusé qu’Anatomie d’une chute représente la France à la cérémonie, sous prétexte que sa réalisatrice soit une critique de la politique culturelle de la Macronie (sic). 

 

A la lumière de cette attitude politique, on est en droit de se demander si l’objet culturel cinématographique est populaire quand il est en phase avec son époque or, aujourd’hui, il semble que les films à portée populaire aient toujours un train de retard.

La surenchère filmographique tranche beaucoup avec une époque qui cherche désespérément à sortir de cette tendance du “toujours plus”. 

Alors que la sobriété s’installe petit à petit dans les esprits, il semble que le cinéma se refuse à voir le monde changer, se cachant devant ces innombrables vedettes comme ces cérémonies ennuyeuses à mourir. 

 

S’autoriser à aimer

 

Comment faire du cinéma sobrement ? D’abord, il faudrait en chercher la signification.

L’histoire de ce médium est celle d’une expansion, voire même d’une conquête: celle de nos imaginaires.

Sauf qu’aujourd’hui, il apparaît qu’elle a atteint sa croissance limite, dépassée par d’autres produits, notamment le jeu vidéo. Au point de se demander si ce retard sera un jour compensé. 

 

Difficile pour autant de se satisfaire à l’idée que le cinéma, c’était mieux avant. 

Des films passionnants, il en existe encore mais ne sont plus produits par la grosse machine étasunienne. 

 

On ne le dit jamais assez mais on n’a jamais compté autant de studios dans le monde qu’à l’heure actuelle. En Corée du Sud, en Inde, au Nigéria, au Maroc, on réalise des films à la portée insoupçonnée car sous-médiatisés dans notre espace culturel.

Il ne faudrait pas non plus oublier toutes les pépites, primées bien qu’absentes des critiques ciné ou très peu mises en avant par les salles de cinéma.  

Selon nous, ce n’est pas un hasard que le Festival Premiers Plans, à Angers, mette à l’honneur Ken Loach, présenté comme une “figure incontestable du cinéma mondial”, alors que son dernier film, The Old Oak, cumule à peine 331 000 entrées au 17 janvier 2024.

Rappelons que le réalisateur anglais reste l’un des rares à avoir obtenu de Palme d’Or deux fois. Il est par ailleurs l’un des cinéastes les plus primés du festival. 

 

Se taire pour comprendre

 

Edouard Louis, en plus d’être un écrivain génial, est un homme à la pensée apaisante. Aussi, quand il dit que “la gauche sera puissante quand elle se saisira du silence”, lors d’une discussion avec Ken Loach, on ne peut s’empêcher de penser que cette remarque est adressée à M. Mélenchon et son mouvement, La France Insoumise.

Le triple candidat est un homme politique contradictoire: aussi bon porte-parole que mauvais chef d’appareil, aussi brillant théoricien que communicant insupportable, il n’est pourtant que l’image de ces militants qui, à force de réagir à l’urgence, sont incapables de réfléchir sur le monde et encore pire, de lui donner un récit fédérateur.

 

Pour transformer le monde, il faut le comprendre et pour comprendre, il faut écouter et donc se taire. Comme dit l’auteur de Faites mieux, être radical, c’est prendre le problème à la racine. 

Être à rebrousse-poil est une posture saine. Ainsi, plutôt que d’hystériser sur les lacunes de d’un cinéma mourant ou de pester contre l’immobilisme de “la grande famille du cinéma”, il est sage en cette période de reconstruire une pensée de combat. Il est donc nécessaire de sortir de la posture de la dénégation et mettre les mains dans le cambouis parce que ce qui n’a pas encore été écrit, c’est que même la théorie, comme la création, sont un travail militant.

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