Le fléau de la gauche
A force de vouloir incarner quelque chose, on finit par oublier ce qu’on doit incarner. Cette réflexion devrait être un mantra pour tout militant concerné.
C’est bien beau de consacrer sa vie à la cause mais quelle reconnaissance peut-on y trouver si l’objectif final s’échappe ?
S’engager n’a de sens uniquement si le jeu en vaut la chandelle.
C’est, d’ailleurs, le paradoxe de l’action collective. Même quand on pense que cette dernière fait changer le monde, celle-ci repose sur la responsabilité des individus qui la composent. C’est ce qu’on appelle le dilemme du prisonnier : tout le monde a intérêt à voir le monde changer mais pour que le monde change, il faut que tout le monde s’y mette or, quel est l’intérêt à sortir de la prison, seul, si personne ne fait le même effort ?
Le militant ou la militante est quelqu’un qui a réussi à s’évader de sa geôle et fait tout pour ouvrir le plus de cellules possibles afin de créer un mouvement de masse. A ce stade, cela paraît pourtant bien illusoire.
Pour revenir à la métaphore du jeu, personne ne joue si on ne peut pas remonter le score. Seules les perspectives de victoire le permettent.
Le malheur de la gauche, c’est sa capacité à enchaîner les défaites. Non pas qu’elle soit incapable de gagner. Au contraire, même.
S’il n’y avait aucune perspective, on ne pourrait pas expliquer l’intensité des attaques du système politico-médiatique, en particulier envers l’organisation la plus emblématique, actuellement, du camp social, à savoir La France Insoumise (LFI).
Le problème – qui concerne autant LFI que les autres – c’est leur stratégie, caractérisée par l’échec.
Aussi nobles que puissent être les objectifs, admettons que les moyens sont aussi faibles que l’exigence à l’œuvre.
Ça ne sert à rien de le cacher plus longtemps, la cause de ce mal, c’est l’électoralisme ou quand la seule ligne politique passe par les élections.
Il y existe, à gauche, un rapport malsain, comme une spirale à laquelle nous sommes tous piégés.
Le symbole, c’est bien entendu l’élection présidentielle, perçue comme l’échéance suprême de notre vie politique nationale. Lucie Castets, ancienne candidate à Matignon pour le Nouveau Front Populaire (NFP), appelle, par exemple, d’ores et déjà à des primaires.
Pourtant, l’expérience récente de la Primaire Populaire a prouvé l’inefficacité d’une telle manœuvre…
Le projet dépasse le programme
Concédons les potentielles critiques à l’intersyndicale, pendant la bataille de la réforme des retraites, au printemps 2023 ; tout comme il est légitime d’exprimer des réserves quant au NFP. Leur manque de souplesse, qu’on constate au moment où il s’agit d’émettre des mots d’ordres plus offensifs (par exemple, la grève générale ou bien la mise en place d’une constituante), tranche avec la fraîcheur de mouvements spontanés.
A titre démonstratif : les Gilets Jaunes, il y a six ans maintenant, n’ont pas pris de temps pour parler de référendum révocatoire, quand le terreau “ne fut qu’une” n-ième augmentation de la taxe sur l’essence.
Il n’empêche que le rassemblement des organisations historiques du mouvement social est gage de massification. Ce faisant, il est préalable à toute victoire.
A l’épreuve des faits, il s’agirait de faire, tout de même, plus de finesse que de professer une addition magique, du style “Programme + Rassemblement = Victoire”.
Malgré le travail précieux de notre rédaction pour populariser le programme du NFP, qui serait capable, aujourd’hui, d’en donner une mesure phare, hormis l’abrogation de la réforme des retraites ?
Ne vous en faîtes pas, nous non plus ! Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que ce soit cette dernière qui cristallise la position des militants, tant elle est le fruit du rapport de force.
En fait, un programme révolutionnaire (si tant est que celui du NFP le soit) est, justement, la traduction électorale des revendications des organisations en lutte.
L’élan majoritaire provient moins d’un rassemblement programmatique que de l’unité dans les luttes. La victoire relative du NFP le 7 juillet 2024 est la résultante de cette formule.
Il ne faut pas oublier que c’est surtout la dynamique populaire, inouïe, qui a propulsé des personnes aussi talentueuses que Paul Vannier, Sandrine Rousseau et consorts dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale.
La vérité, c’est que dans bon nombre de circonscriptions, une chèvre aurait pu se présenter qu’on aurait voté quand même pour elle. Pourquoi ? Parce que les organisations partaient du réel, des angoisses des gens, qu’ils soient dans la rue ou devant les urnes.
On ne bat pas le casino à son propre jeu
En politique, la limite est fine entre le compromis et la compromission. L’exercice du pouvoir est un jeu d’équilibriste permanent. Il semble donc naturel de faire des concessions. Cependant, la gauche ne peut nier le paradoxe à gouverner dans un système pensé pour et par les capitalistes libéraux.
De fait, prendre le pouvoir de manière institutionnelle, cela revient à accepter, a priori, ses règles et son fonctionnement. Cela ne veut pas dire qu’on ne va pas les changer une fois au pouvoir. C’est un peu le discours de LFI.
Il n’aura échappé à personne que, faute d’un rapport de force suffisant, on se condamne à être une force d’appui au système en place. Telle fut la rude destinée des socialistes au pouvoir.
Dans le fond, cela semble logique que le pouvoir corrompt, c’est son but même. Les dérives gestionnaires, guère profitables au développement du discours unitaire, ne se comprennent simplement que comme des conséquences automatiques à la stratégie électoraliste.
La stratégie de l’échec
L’avantage de centrer son activité autour du calendrier électoral, c’est qu’elle est plus lisible. On prépare donc les échéances, en fonction de la séquence politique donnée.
Côté face: quand on ne maîtrise pas son agenda, on se déconnecte des aspirations populaires – ou de son électorat, puisqu’ils réfléchissent comme ça –, tant on est préoccupé par les élections.
Quand le rapport de force change (ce qu’il fait en permanence), l’inertie d’une telle stratégie pousse les organisations à être en réaction, se condamnant à être à la remorque des événements.
En l’occurrence, la poussée du fascisme à l’échelle internationale se matérialise en France par l’attaque violente des factieux contre l’état de droit.
Le naïf y verrait donc l’urgence de défendre ce dernier. Le sage y comprend qu’il s’agit d’une manœuvre consciente de la bourgeoisie pour maintenir sa domination envers et contre tout.
L’expérience états-unienne le montre très bien, quand on remarque que les membres de l’administration Trump sont des membres de la très haute bourgeoisie financière américaine.
La question est simple: a-t-on intérêt à gouverner, ne serait-ce qu’une mairie, dans un pays où l’extrême-droite commande la destinée du pays ? Ceux qui répondent oui courent le risque de se trouver du mauvais côté de la barricade…
Cela ne garantit, d’ailleurs, aucune forme de sécurité. Celles et ceux qui s’accommodent du fascisme risquent – outre le déshonneur – de finir dans les geôles avec celles et ceux qui ont refusé cet état de fait.
Romantisme révolutionnaire
A Jean-Luc Mélenchon, j’aimerais lui poser cette question: est-il possible de “faire mieux”, en utilisant les mêmes recettes ?
Pour préciser la pensée, il semble illusoire qu’on obtienne un résultat, si ce n’est meilleur, du moins différent, qu’en faisant de la politique comme on en faisait il y a trente ans.
Qu’on ne s’y trompe pas, même quand on pense que LFI a posé les germes à la reconstruction de la gauche, cette organisation reste prisonnière d’une conception ancienne de la politique. Ce n’est pas parce qu’on communique par Telegram plutôt qu’en Assemblée Générale que cela change quoique ce soit [LIEN RÉSERVÉ AUX ABONNÉS, NDR].
N’en déplaisent aux auteurs de La Meute, cette enquête ne révèle pas grand chose du fonctionnement interne de LFI. Le mouvement, hyper centralisé, singe en réalité le parti bolchévique avant de prendre le pouvoir.
Sauf que Jean-Luc Mélenchon n’est pas Lénine. Il ne voyait pas la prise de pouvoir en gagnant une élection politique.
S’il existe une comparaison au leader de la gauche radicale, ce serait peut-être avec Alphonse de Lamartine, auteur magnifique mais bien piètre révolutionnaire.
L’histoire le retiendra comme celui qui a certes déclaré la IIe République. Quand on sait que celle-ci donne les pleins pouvoirs à Louis-Napoléon Bonaparte, 3 ans plus tard, on peut se dire que son efficacité est limitée.
Prions pour que Jean-Luc Mélenchon ne soit pas la personne qui rétablisse l’Empire…
Donner au réel un sens concret
Il serait avisé de partir, enfin, des aspirations des travailleurs. Que valent les stratégies électorales pour 2026, voire 2027, quand 2025 est aussi dur pour la classe des exploités ?
Ce n’est pas comme s’il n’y a eu aucune traduction du résultat des urnes lors des élections législatives anticipées de 2024. Le NFP est arrivé en tête mais le gouvernement Bayrou reste au pouvoir.
Comment, après, expliquer l’utilité du vote ?
Plutôt que de partir d’une vision déformée du citoyen, de l’électeur ou de l’opinion publique, basée sur des sondages dont la méthodologie est toujours sujette à débat, il s’agirait de commencer l’activité politique par les expériences militantes.
Après tout, l’ensemble des petits gestes qui jalonnent le parcours d’une militante ou d’un militant : diffuser un tract, répondre à un commentaire haineux sur internet, coller une affiche ou encore animer une caisse de grève, il semble que les militants savent déjà comment faire pour dépasser le capitalisme. La question serait plutôt de savoir si les directions politiques et/ou syndicales y sont prêtes ?
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