Législatives : pourquoi l’abstention risque de faire gagner Ensemble ?
Avantage NUPES
On aura beau triturer les estimations, sondages et autres chiffres sortis des urnes, le constat est accablant: pour la première fois depuis le changement du calendrier électoral, l’élection législative ne confirme pas les tendances observées par le scrutin présidentiel.
Pire encore, la troisième force politique de l’élection suprême, l’Union Populaire, en s’alliant dès le premier tour avec les autres organisations de son camp social (Parti Communiste Français, Parti Socialiste, Bloc Écologiste) apparaît comme le principal vainqueur de cette bataille, même si les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur, contestables, donnent le parti présidentiel devant d’une courte tête (20 000 voix exprimées d’écart)
Tant pis. Finalement, les scores ne reflètent pas la physionomie du match. Heureux serait le bookmaker qui pronostique une éclatante victoire électorale d’Ensemble ! lors du match retour le 19 juin prochain.
La NUPES passe aujourd’hui pour la force la plus à même de gouverner: que ce soit sur le plan de l’activité militante, de la bataille des idées, des éléments de langage, dans la méthode d’organisation, on a assisté à un modèle de campagne, à montrer dans toutes les écoles politiques.
La tâche de l’abstention
Faisons attention à ne pas sacraliser un tableau idyllique, surtout quand il y a une énorme tâche au milieu. Son nom: l’abstention, qui a encore dépassé son précédent record.
Malgré une campagne exemplaire, la NUPES a, plus que les autres, souffert de la faiblesse du traitement médiatique de cette élection, au-delà des prévisibles attaques de la majorité sortante (à ce titre, nous ne pouvons que vous conseiller ce passage fameux à 4’20 de M. Castaner, ex-ministre de l’Intérieur, aux 4V sur France 2).
De fait, en ne traitant pas l’élection législative comme il le faudrait, le système médiatique empêche une tribune pour la seule organisation qui a visiblement travaillé pour le jour J, là où les principaux concurrents n’ont pas fait leur devoir.
L’ombre du RN
Mais surtout, il y a, dans ce tableau, une ombre qui plane. Si on regarde attentivement les chiffres et qu’on les compare avec les résultats de 2017, c’est le Rassemblement National qui enregistre la plus forte progression. Il y a environ un million de personnes en plus qui a voté pour le parti de Mme Le Pen, seul, malgré la concurrence sur son positionnement politique (Reconquête en l’occurrence) et alors que l’abstention progresse.
Là où on dit que ce phénomène aide en général la présence du Rassemblement National, les résultats actuels désavouent ce poncif.
D’ailleurs, si on agrège les scores des principales forces composant la NUPES et qu’on les compare au scrutin antérieur, l’union de gauche n’a globalement pas bénéficié d’effet levier dans sa campagne.
Ici, l’abstention doit jouer un rôle majeur, parce que l’électorat le plus à même de glisser une enveloppe contenant un bulletin NUPES dans l’urne est celui qui se mobilise le moins.
Gagner en perdant
On le sait, la Ve République est malade de la manière dont elle envisage la représentation nationale.
Étant donné qu’il n’y a pas de proportionnelle, on assiste souvent à une prime au sortant dans les circonscriptions, favorisant l’émergence de baronnies locales aux enjeux finalement déconnectés du nécessaire débat national.
C’est ce qui explique le maintien relatif de candidats Les Républicains dans un certain nombre de circonscriptions, leur assurant d’ores et déjà un groupe parlementaire à l’issue de la séquence électorale.
En un mot comme en cent, c’est ce qui peut en partie assurer la majorité relative du groupe présidentiel à l’Assemblée, quand bien même il ne serait pas majoritaire dans le pays.
Ce fait n’est pas tout à fait neuf puisqu’il a concerné aussi le groupe présidentiel de l’Assemblée Nationale à la suite du scrutin de 1988. Le gouvernement qui en était issu, sous la férule de M. Michel Rocard, a dû batailler, parfois même utiliser l’arme du 49-3, pour légiférer dans une mandature d’ailleurs peu vigoureuse dans les réformes.
A moins de vivre dans une grotte au fin fond de l’Afghanistan, il serait difficile de comparer deux époques relativement proches dans le temps mais si éloignées dans les pratiques politiques. L’inanité serait une conséquence catastrophique mais tout à fait prévisible pour le pays.
Alors que la tension est à son comble, l’action publique n’a jamais été autant primordiale et pourtant elle semble plus inapte que jamais.
Alors que tout montre que la politique de M. Macron connaît un puissant désaveu, les institutions pourraient préserver le groupe au pouvoir d’une part, mais surtout garantir sa gestion opaque.
Ce qu’il manque à la NUPES pour gagner l’élection
Que le lecteur excuse l’auteur de ces lignes, ce dernier est bien conscient de jeter un pavé dans la mare avec une pointe de pessimisme bourdieusien mais c’est parce que le résultat de ce scrutin est inédit qu’il faut tirer l’ensemble des conclusions avant de se lancer dans la bataille.
Si l’union donne accès, comptablement, au second tour dans 406 circonscriptions et positionne – momentanément – l’alliance en premier, cela ne suffirait sûrement pas pour gagner la majorité à l’assemblée nationale.
Bien sûr, l’argument systémique doit être répété: d’une part les médias mainstreams portent la responsabilité de l’abstention, à la vue du traitement pour le moins léger du sujet.
D’un autre côté, nous assistons à une démonstration solide de la crise d’un régime bourgeois qui exclut la représentation populaire.
Mais si on s’en arrêtait là, cela ne suffirait pas. Nous voulons tout d’abord dire que faire alliance est un travail difficile et pas besoin d’être une petite souris qui espionne les intrigues de couloir pour comprendre qu’avant d’obtenir un accord, il faut être capable de manager des égos parfois conflictuels.
L’expérience de la NUPES est à ce titre rafraîchissante, puisque son programme est clairement une synthèse intelligente de toutes les affinités idéologiques composant l’union: cela fait bien longtemps qu’on n’a pas été enthousiasmé par le discours d’un cadre socialiste !
En creusant un peu l’affaire, il faut pourtant dire qu’il manque le dernier élément essentiel pour la prise du pouvoir, à savoir la coordination entre une direction en phase avec elle-même et une réelle vigueur militante à la base. Pour être plus concret, la NUPES se réalise dans son Parlement – le lieu de rencontre entre les directives de la direction et l’expérience du terrain – ce qui par ailleurs faisait la force de sa version précédente (dans l’Union Populaire) lors du scrutin présidentiel.
Force est de constater que malgré un rapport de force réel imposé par le mouvement social à travers son alliance électorale, il n’est pas assez équilibré pour espérer remporter une élection bourgeoise.
En effet, si la NUPES est au second tour dans 406 circonscriptions, est-elle en position pour gagner la majorité de ces duels ?
La bataille est gagnée, la guerre continue
Bien sûr, il faut appeler au sursaut populaire, chaque abstentionniste doit être convaincu en une semaine.
Évidemment, c’est intelligent de clamer sur tous les plateaux que chaque électeur va pouvoir se positionner en fonction de deux projets de société différents.
Mais cela suffira t-il ? Combien même l’improbable se réalisait – ce qui ne serait pas sans nous déplaire – la NUPES aurait-elle les reins assez solides pour gouverner ?
C’est une chose d’avoir d’excellents candidats, c’en est une autre d’avoir des députés compétents, sans parler de l’équipe ministérielle qui – et c’est normal – n’a pas une moindre idée de l’ampleur du chantier qu’elle va prendre en charge.
Bien sûr, nous pourrions dire que dans ce cas de figure, ce serait un problème de riche mais on répondrait aussi que c’est le début des galères.
Ainsi, il semble fondamental, dans la victoire comme dans l’échec, de comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de transformer l’essai d’une éphémère aventure collective mais c’est surtout consolider ce rapport de force en vue de la victoire, qui ne se dessinera, quoiqu’il arrive, pas à l’horizon 2022.