Divisions

Passée en catimini en plein été, la réforme de l’assurance chômage est la plus grande attaque contre les privés d’emploi jamais réalisée dans la France contemporaine. Présentée le 18 juin 2019, elle n’est même pas passée devant les parlementaires : le gouvernement l’adopte unilatéralement par décrets, et ses mesures seront effectives dès le 1er novembre prochain. Elle ne résulte même pas d’une quelconque concertation entre les représentants du patronat et les représentants des salariés ; les premiers concernés n’auront pas eu leur mot à dire, et subiront une régression sans précédent.

Sur le site du ministère du Travail, les services de la multi-millionnaire Muriel Pénicaud font sa com’ dans une présentation intitulée : « De nouvelles règles d’indemnisation du chômage qui favorisent le retour à l’emploi ». Nous apprenons que, dès le 1er novembre 2019, ce ne seront plus 4 mois sur les 28 derniers mois qu’il faudra avoir travaillé pour ouvrir ses droits aux indemnités chômage, mais 6 mois sur les 24 derniers. De plus, en cas de retour temporaire à l’emploi, il faudra non plus un mois de travail pour recharger ses droits, mais six mois !

Voilà pour l’ouverture des droits, mais le nouveau calcul des indemnités consiste en une attaque plus grave encore. Aujourd’hui, les indemnités sont calculées sur les seuls jours travaillés ; demain, elles le seront sur les jours travaillés ET les jours non travaillés. L’indemnité sera divisée par deux pour ceux qui étaient embauchés à mi-temps. Le principe est valable au cours d’un mois comme au cours des 24 mois ; si l’on a travaillé 6 mois sur les deux dernières années, notre indemnité en cas de chômage sera divisée par 4 ! Pour ceux qui étaient au SMIC, soit 1.202,92 euros nets par mois – et moins les années précédentes, avant ses revalorisations, inférieures à l’inflation faut-il le rappeler – et qui auront travaillé, en CDD ou intérim, durant six mois pour la période prise en compte, l’indemnité mensuelle passera de 960 euros à… 240 euros. Enfin, les indemnités chômage baisseront à compter du septième mois de chômage, pour ceux qui touchaient en travaillant 4.500 euros bruts mensuels ; seuls 10% des salariés, donc, mais une dégressivité qui risque d’être étendue à tous les indemnisés dans un futur proche.

Bien sûr, il s’élèvera toujours, jusqu’au sein même des salariés, des voix pour justifier ce recul historique. Les chômeurs seraient des « fainéants », en quelque sorte « responsables » de leur situation. Exit les délocalisations, les fermetures de commerces, les suppressions de postes… Mais la réalité reviendra comme un boomerang implacable en pleine face de ces naïfs, si ce n’est pour eux, du moins pour leurs enfants. Les plus jeunes travailleurs enchaînent les CDD courts et les stages non-rémunérés dans les années qui suivent la fin de leurs études, y compris supérieures ; ils seront les premiers touchés par la réforme. Dans un document, l’Unedic – dont les dirigeants sont clairement à la solde des gouvernements en place – estime le nombre d’impactés à 1,2 million de chômeurs ; c’est une estimation bien basse et, en réalité, la population des privés d’emploi concernée par cette régression, dans un contexte de précarisation et de périodes de travail hachées de tous les salariés, ne fera que croître d’années en années.

La vraie cible des décideurs politiques et économiques n’est autre que la Sécurité sociale. L’assurance chômage en est un des piliers, au même titre que la retraite, elle aussi gravement attaquée par l’instauration d’un système par points. C’est le principe même de la Sécu, la socialisation d’une partie des richesses créées par les salariés allant vers les travailleurs malades, retraités ou privés d’emploi, qui est insupportable aux yeux de la grande bourgeoisie industrielle et financière : c’est une part de la richesse nationale qui échappe totalement à sa rapacité. Après les complémentaires-retraites, les complémentaires-santé, pourquoi pas les complémentaires-chômage ?

Macron et son gouvernement sont au service exclusif de cette classe capitaliste, et après les mots du Président sur le « pognon de dingue » des minima sociaux, les actes arrivent – et ils seront ravageurs pour ceux qui vivent de leur travail. « De nouvelles règles qui favorisent le retour à l’emploi » ? Le seul phénomène qui favoriserait vraiment le retour à l’emploi, c’est la création d’emplois. Pourrir la vie des chômeurs ne favorise rien, mais satisfait grandement les milliardaires de notre pays, bien loin de la réalité et bien proches de leurs capitaux, qui comptent sur la division des travailleurs pour baisser leurs revenus à tous. Ils peuvent se féliciter de la baisse de leurs « charges », en fait nos cotisations, qui assuraient jusqu’à présent un minimum de sécurité économique dans nos vies. Notre insécurité, c’est leurs profits.

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