Fadila Khattabi, la ministre condamnée aux prud’hommes chargée de mettre les handicapés au travail

Le remaniement gouvernemental du jeudi 20 juillet s’inscrit dans le cap de démantèlement du système social français fixé par Emmanuel Macron, fidèle serviteur de la classe capitaliste qui lui a offert son élection en 2017 [1]. La personnalité des « entrants » montre que la loyauté à l’entreprise présidentielle, de gommage du clivage gauche/droite pour mieux servir les intérêts des puissants et donner le beau rôle à l’extrême-droite nationaliste, se voit récompensée par des portefeuilles ministériels.

Une tempête dans un verre d’eau

Que la Première ministre Élisabeth Borne soit confirmée à Matignon est vu comme une déception, voire une « trahison » pour l’entourage de Gérald Darmanin [2], le très réactionnaire ministre de l’Intérieur qui se voyait diriger le gouvernement dès cet été. Pour les proches du « premier flic de France », ce n’est que partie remise.

L’entrée remarquée d’Aurore Bergé au ministère des Solidarités et des Familles, qui revient donc à celle qui aspirait tant à entrer au gouvernement qu’elle avait « fondu en larmes » en déclarant avoir « tout donné à la Macronie » lors de sa non-nomination à l’arrivée de Jean Castex à la tête de l’exécutif en juillet 2020 [3], démontre que l’aplaventrisme est considéré comme une vertu au sommet de l’État. Elle remplacera au pied levé la figure de la ménagère de moins de 50 ans béate devant le Jupitérisme, alors que Marlène Schiappa est débarquée après six ans de fonctions gouvernementales suite à la gestion opaque du fonds Marianne [4]. Ce dernier a tourné au « fiasco » selon le rapporteur Jean-François Husson de l’enquête au Sénat au sujet de cette dotation exceptionnelle lancée en 2021 après l’assassinat du professeur Samuel Paty, officiellement pour combattre l’extrémisme religieux et promouvoir la laïcité.

Des figures de la société civile, comme le médecin urgentiste François Braun au ministère de la Santé et Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation nationale, ont été poliment priés de quitter l’exécutif. Le premier est remplacé par Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de Madame Borne, énarque ayant notamment figuré parmi le cabinet des Premiers ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, ce qui pousse Public Sénat à se demander s’il faut « y voir un geste d’Emmanuel Macron vers sa gauche » (sic) [5]. Gabriel Attal, jusqu’alors ministre des Comptes publics et petit roquet dans l’hémicycle ayant défendu hargneusement la réforme des retraites, passant l’âge légal minimum de départ de 62 à 64 ans, est promu à la place du second, devenant à 34 ans le plus jeune ministre de l’Éducation nationale de la Vème République [6].

La quintessence de la Macronie

Parmi les autres changements procédés au sein de l’exécutif, la jeune commerciale de formation « influencée par Michel Rocard » [7] (encore une ouverture à gauche!) Bérangère Couillard prend la place de ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, malgré l’appel de plusieurs associations féministes, publié peu avant la révélation de la nouvelle composition du gouvernement, à maintenir la magistrate Isabelle Lonvis-Rome à ce poste [8].

Nous nous attarderons sur une nomination qui, si elle peut paraître anecdotique de prime abord, symbolise la quintessence de la Macronie. Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées, succédant à Damien Abad qui aura fait dans ce ministère un passage-éclair écourté par les accusations de viols par soumission chimique, le visant et formulées judiciairement et médiatiquement par quatre femmes [9], quitte elle aussi le gouvernement. Son maroquin revient à Fadila Khattabi, 61 ans, qui devient donc la première responsable politique des personnes en situation de handicap en France.

Dissidence et servitude

Bien qu’inconnue du grand public, l’engagement politique de Fadila Khattabi remonte à 2002 lorsqu’elle rejoint le Parti Socialiste (PS). Élue au conseil régional de Bourgogne en 2004, elle en devient vice-présidente en 2010. Macroniste avant l’heure, elle avait tenté en décembre 2015 de monter une liste socialiste dissidente en association avec le Mouvement Démocrate (Modem) de François Bayrou, une manœuvre qui tourne à la déconfiture, ce qui lui vaut de se mettre en retrait de la vie politique [10].

Qu’à cela ne tienne, elle fait partie des premiers soutiens à Emmanuel Macron quelques mois plus tard, et devient députée de la troisième circonscription de Côte-d’Or en juin 2017. C’est avec zèle qu’elle mène son travail parlementaire, devenant en 2020 présidente de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale [11], poste qu’elle occupera donc jusqu’au 20 juillet 2023 et sa nomination au gouvernement.

Au Parlement, dans l’hémicycle de la chambre basse ou dans la commission mixte paritaire, elle est de toutes les négociations pour conduire les parlementaires Les Républicains à adopter avec la majorité relative macroniste la réforme des retraites au printemps dernier, faisant le lien avec l’Élysée qui a toute sa confiance pour répondre aux exigences du parti de droite présidé par Éric Ciotti. Là encore, malgré son dévouement total, Madame Khattabi opère un ratage complet en ne parvenant pas à créer les conditions d’un vote favorable du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, un tiers de ses députés allant jusqu’à voter la motion de censure déposée par le groupe LIOT (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) [12], qui échoue à neuf voix près à faire tomber le gouvernement d’Élisabeth Borne.

L’incompétence manifeste à anticiper et planifier des « coups politiques » de Fadila Khattabi n’a pas raison de l’amitié que lui autorise le chef de l’État. Ce dernier voit surtout en Madame Khattabi une politicienne animée par la même volonté de servir la classe capitaliste, contre les salariés et l’ensemble des travailleurs toutes conditions confondues.

Condamnée aux prud’hommes il y a un mois

Du côté des patrons peu enclins à respecter le peu de droits qu’il reste aux salariés dans le Code du Travail, dont l’amplification en volume ne correspond qu’à la multitude de dérogations au droit commun dont bénéficient les employeurs, Fadila Khattabi l’est assurément. Au point d’avoir intégré le cercle, pas si fermé que cela au sein de la classe dominante, des employeurs condamnés aux prud’hommes, la juridiction française chargée de faire respecter le droit du travail.

En effet, le vendredi 23 juin 2023, soit un mois jour pour jour avant l’écriture de ces lignes, Madame Khattabi a été condamnée par le conseil de prud’hommes à verser la somme de 6.522,27 euros à titre de rappel de salaire pour des heures supplémentaires non rémunérées, ainsi que 300 euros de dommages et intérêts à Corrine Royer, l’une de ses anciennes collaboratrices parlementaires [13].

La ligne de défense de Fadila Khattabi, qu’elle a réitéré au micro de France Bleu Bourgogne vendredi 21 juillet, soit le lendemain de sa nomination au gouvernement, s’avère pour le moins fébrile [14]. Se déclarant « pas du genre à fliquer ses collaborateurs », l’ancienne députée et nouvelle ministre nie en bloc les conclusions du tribunal prud’homal. « J’octroyais vraiment des journées, je les libérais, je compensais sur le plan financier. Simplement quand je les libérais, je n’avais pas une pointeuse ni un papier signé pour dire que c’était des repos compensateurs » déclare-t-elle, refusant de voir où est le mal à ne pas fournir à ses propres salariés un emploi du temps précis.

Toujours sur France Bleu, Madame Khattabi évoque « une relation de confiance et d’amitié » au sein de laquelle « ça se faisait tout naturellement ». C’est bien là que le bât blesse : une relation hiérarchique de subordination, qualifiée comme telle par le droit du travail et la loi française, entre une employeuse et une employée, ce n’est pas « une relation d’amitié » où « ça se fait tout naturellement ». Des droits, acquis de haute lutte par la classe ouvrière au XXème siècle, protègent les salariés lorsqu’ils ont été lésés et que le préjudice est reconnu par une instance juridique indépendante – ce qui est exactement le cas dans cette affaire.

Qu’une députée, chargée de faire la loi, méconnaisse et méprise la part des lois qui protège les faibles contre les forts, tout en manœuvrant pour multiplier les lois favorisant les plus forts contre les plus faibles telles que la réforme des retraites, devrait valoir sanction en démocratie. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, cela vaut promotion.

Corinne Royer a réagi à la nomination de son ex-patronne condamnée, auprès de nos confrères de Mediapart [15], se disant « très déçue » et remarquant qu’ « avec ce gouvernement, les mauvais comportements sont récompensés ». Que Fadila Khattabi, une « macroniste forcenée », devienne ministre déléguée en charge des Personnes handicapées, constitue aux yeux de Madame Royer un « affront aux millions de travailleuses et de travailleurs » que compte notre pays [16].

« Ouvrir leurs chakras »

Comme relevé par Dijon Actualités [13], Fadila Khattabi en tant que présidente de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale avait invité ses collègues députés, au moment de l’examen du projet de loi visant à reporter de deux ans l’âge minimum de départ à la retraite, à « ouvrir leurs chakras ». Une expression déjà employée en 2019 par Muriel Pénicaud, quand elle était ministre du Travail, conseillant les entreprises à « ouvrir leurs chakras et se dire qu’il y a plein de compétences perdues chez les seniors » [17], et dont le haut-commissaire à l’Inclusion, à l’Emploi et à l’Engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, s’est fait une spécialité. Mardi 21 juin 2022, celui qui allait bientôt devenir le « Monsieur France Travail » du gouvernement déclarait à son tour vouloir ouvrir « le chakra des entreprises » [18], avant de récidiver le 13 mars 2023 dans les colonnes de Ouest-France.

Dans un article publié le 22 mars dernier sur notre site internet [19], en plein contexte de mobilisation générale contre la réforme des retraites, nous alertions sur ce qui attendait les travailleuses et travailleurs par la transformation de Pôle Emploi en France Travail. Monsieur Guilluy, écrivions-nous, entendait « insiste[r] beaucoup sur l’idée d’inscrire tout le monde à France Travail ». Tout le monde ? Tout le monde ! « Trop jeunes, trop vieux, trop handicapés… C’est non ! » lance-t-il, appelant les entreprises à « ouvrir leurs chakras » tout en rassurant d’emblée les employeurs : « France Travail doit devenir le meilleur ami RH [ressources humaines, NDLR] des chefs d’entreprise. »

La boucle est pour ainsi dire bouclée par le même usage d’une expression qui doit être considérée comme « disruptive » au sommet de l’État, mais qui relève d’une allusion crétine aux croyances bouddhiste et hindoue, dont même le site d’infotainment (information divertissante) Neonmag admet au détour d’une parenthèse que « la science n’atteste pas leur existence » [20].

Derrière le concept inepte d’ « ouvrir ses chakras », la Macronie masque la véritable nature de son action politique qui vise, d’un côté, à caresser dans le sens du poil les puissants capitalistes, de l’autre à sortir le fouet pour celles et ceux qui, au sein des classes exploitées, se montreraient un peu trop récalcitrants à accepter l’exploitation et l’aliénation avec le sourire. Désormais ministre déléguée chargée des Personnes handicapées, Fadila Khattabi prendra, à n’en pas douter, sa part dans le combat pour imposer à toutes les personnes ayant une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) un rendez-vous obligatoire à France Travail, organisme qui sera informé de toute délivrance d’une nouvelle RQTH [21]. Le ministère du Travail indiquait à l’AFP en mai 2023 qu’ « il faut que le service public de l’emploi, le droit commun, qui accompagne tout demandeur d’emploi, soit en capacité d’accompagner toute personne en situation de handicap » et que les conseillers France Travail recevront la personne reconnue handicapée « pour déterminer son projet, ses besoins et l’environnement de travail le plus adapté ».

Derrière les mots doux de la propagande néolibérale, se trouve en réalité l’intention de plier la part conséquente de la population française frappée de handicaps à l’exploitation salariale, au travail aliénant qui abîme les esprits et les corps – au point que de nombreux handicaps, justement, proviennent du travail lui-même. Madame Khattabi, en bonne patronne condamnée, s’est donc trouvé un défi à sa hauteur en prenant en charge, non pas les situations de handicap et leur prise en compte équitable dans la société, mais l’obligation pour les personnes handicapées de se fondre dans la masse de la main d’œuvre à la merci des exploiteurs, petits ou grands.

Références

1 : Voir notre long-métrage documentaire Un Pognon de Dingue : https://www.youtube.com/watch?v=pDgsQ3DwLMs

2 : https://www.leparisien.fr/politique/remaniement-il-se-sent-trahi-les-soutiens-de-darmanin-assurent-quil-na-pas-dit-son-dernier-mot-22-07-2023-F4VAM5VSJFDIVAJQXU6H3PXNHM.php

3 : https://www.ladepeche.fr/2020/07/30/aurore-berge-en-pleurs-jai-tout-donne-a-la-macronie-9000429.php

4 : https://www.ouest-france.fr/politique/marlene-schiappa/remaniement-marlene-schiappa-emportee-par-la-polemique-playboy-et-laffaire-du-fonds-marianne-da5f9e28-26d4-11ee-a917-916791448d86

5 : https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/aurelien-rousseau-au-ministere-de-la-sante-un-profil-de-haut-fonctionnaire-qui-laisse-sceptique-au-senat

6 : https://www.francetvinfo.fr/politique/remaniement/remaniement-ces-defis-qui-attentent-gabriel-attal-nouveau-ministre-de-l-education-nationale_5963033.html

7 : https://www.francebleu.fr/infos/elections/legislatives-qui-est-berangere-couillard-la-nouvelle-deputee-la-republique-en-marche-de-la-3e-circonscription-1497548394

8 : https://www.francetvinfo.fr/politique/remaniement/remaniement-des-associations-et-reseaux-feministes-appellent-a-conserver-isabelle-rome-au-poste-de-ministre-des-droits-des-femmes_5961086.html

9 : https://www.francetvinfo.fr/politique/accusations-de-viols-contre-damien-abad/accusations-de-viols-visant-damien-abad-on-vous-resume-l-affaire-pour-laquelle-l-immunite-parlementaire-du-depute-a-ete-levee_5840720.html

10 : https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/cote-fadila-khattabi-ex-conseillere-regionale-ps-ete-elue-deputee-1282015.html

11 : https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/deputee-cote-fadila-khattabi-presidente-commission-affaires-sociales-assemblee-1855956.html

12 : https://www.bfmtv.com/politique/les-republicains/19-deputes-sur-61-les-lr-divises-sur-le-vote-de-la-motion-de-censure-transpartisane_AV-202303200845.html

13 : https://dijon-actualites.fr/2023/07/13/fadila-khattabi-vient-detre-condamnee-par-le-conseil-des-prudhommes-limage-de-la-deputee-se-degrade-encore-un-peu-plus-avec-cette-condamnation/

14 : https://www.francetvinfo.fr/politique/remaniement/j-ai-toute-ma-conscience-pour-moi-se-defend-la-nouvelle-ministre-fadila-khattabi-condamnee-aux-prud-hommes-en-juin_5963834.html

15 : https://www.mediapart.fr/journal/france/200723/fadila-khattabi-la-nouvelle-ministre-qui-ne-payait-pas-les-heures-sup

16 : https://www.ladepeche.fr/2023/07/21/remaniement-fadila-khattabi-nouvelle-ministre-chargee-des-personnes-handicapees-deja-au-coeur-dune-polemique-11354553.php

17 : https://www.cadremploi.fr/editorial/actualites/edito/detail/article/finir-dignement-une-carriere-devient-aussi-difficile-que-de-la-commencer.html

18 : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/nantes-le-haut-commissaire-a-l-emploi-veut-ouvrir-le-chakra-des-entreprises-7ee6302c-f186-11ec-87d0-35a1f71d923f

19 : https://infoscope.live/2023/03/22/la-faute-aux-assistes-ce-qui-nous-attend-si-le-gouvernement-ne-bat-pas-en-retraite/

20 : https://www.neonmag.fr/comment-ouvrir-ses-chakras-531423.html

21 : https://informations.handicap.fr/a-france-travail-handicap-priorite-milieu-ordinaire-34965.php

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