Effondrement

Du jamais-vu dans l’épicentre mondial du capitalisme financier. Le baril de brut américain, dont le standard est le West Texas Intermediate (WTI), un type de pétrole extrait dans le plus vaste État de la première puissance économique mondiale, s’est effondré lundi 20 avril. Il est passé, sur le New York Mercantile Exchange, la bourse des matières premières, de 18,27 dollars en début de séance à -37,63 dollars le soir. Une chute de plus de 300% en une journée, explosant le plancher de 10 dollars sous lequel le WTI n’était jamais descendu de son histoire.

Pour être plus clair, les détenteurs de brut américain ont payé 37,63 dollars pour donner un baril de 159 litres de pétrole au premier venu. Une aberration sous le joug du trading à très court terme, dans un contexte immédiat où la consommation et la demande se sont écroulées avec les mesures de confinement prises pour endiguer la pandémie de Covid-19.

Malgré les signes annonciateurs de dévissage de la demande, les puits de pétrole texans ont tourné à plein régime, si bien que les stocks de brut américain ont augmenté de 19,25 millions de barils sur la semaine du 6 au 12 avril. Jamais l’or noir n’a aussi mal porté son nom.

Cette crise de surproduction, qui servira bientôt de cas d’école aux économistes, est typique et inhérente au système capitaliste. Quelle que soit l’évolution de la demande, l’appétit insatiable des grands propriétaires pour les profits les pousse à exiger de produire toujours davantage, même lorsque lesdits profits se trouvent compromis.

Les crises de surproduction ne sont pas un phénomène nouveau ; elles existent depuis l’essor du capitalisme, au XVIIIème puis XIXème siècles. Ainsi, Karl Marx et Friedrich Engels écrivaient, dans le Manifeste du parti communiste, en 1847 : « Ces crises détruisent régulièrement une grande partie non seulement des produits fabriqués, mais même des forces productives déjà créées. Au cours des crises, une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société – l’épidémie de la surproduction. »

Que deviendront les barils acquis par les investisseurs appâtés par les 37,63 dollars de bonus, alors que les investisseurs ordinaires avaient vu leurs capacités de stockage réelles et sûres arriver à saturation ? Marché du très court terme oblige, ils seront livrés en mai. Des millions de litres de pétrole brut pourraient être déversés, faute de moyens pour les stocker et d’acheteurs pour les acquérir, dans la nature – une « destruction de produits fabriqués » synonyme de destruction de l’environnement, aggravant d’autant plus le péril écologique.

La folie du capitalisme apparaît au grand jour. La domination du capital financier sur l’ensemble des marchés et de l’économie réelle provoque des absurdités titanesques : plutôt qu’investir dans des capacités de stockage, un placement pas assez rentable, les grands propriétaires et les traders à leurs ordres font frénétiquement et littéralement flamber les marchandises et la planète.

Hier, l’état de décomposition du vieux monde a franchi un nouveau pallier. Ses maîtres ne lâcheront jamais facilement leur emprise dévastatrice sur nos vies. Gardons cela à l’esprit pour inventer le jour d’après.

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