Au lendemain de Nice : Le djihadiste croit mourir pour Allah, il meurt pour des industriels

Le terrorisme islamiste a de nouveau frappé la France jeudi 29 octobre. Pour la troisième fois en cinq ans, Nice est touchée au cœur, cœur déjà durement éprouvé par l’attentat de la promenade des Anglais du 14 juillet 2016 qui avait tué 86 hommes, femmes et enfants venus contempler le feu d’artifice de la Fête nationale.

L’assaillant de la Basilique Notre-Dame de l’Assomption hier, comme tous les djihadistes qui ont massacré en France et dans le monde, se voit en guerrier et en martyr. Au lendemain de l’atroce attaque au couteau, le temps est toujours à l’émotion mais peut aussi être consacré à la réflexion. Comment dans notre pays, en 2020, cela est-il rendu possible ?

Pas uniquement par une lecture rigoriste du Coran, le texte sacré de l’Islam écrit au VIIème siècle après Jésus-Christ. Les auteurs d’attentats en général et djihadistes en particulier se voient en guerriers parce qu’il y a dans leur esprit une situation de guerre aujourd’hui. Cette idée est moins véhiculées par le Coran ou par les imams officiant en France que par un entre-soi radicalisé, souvent sur internet avec l’influence des djihadistes de l’étranger, commettant leurs crimes en Syrie ou en d’autres théâtres de conflits militaires.

Force est de constater que dans l’hexagone, les discours martiaux de nos propres gouvernants alimentent l’idée que « nous sommes en guerre ». Cette formule est si marquante que nous en avons fait le titre de notre documentaire à venir pour sonder son sens profond, ses tenants et aboutissants. Or, même évoquée en référence à la lutte de l’humanité contre le coronavirus, dans tout esprit, toute guerre oppose des êtres humains les uns aux autres.

Hier jeudi 29 octobre au soir, cent cinquante identitaires habillés en noir ont manifesté aux abords de la Basilique Notre-Dame de l’Assomption de Nice aux cris de « On est chez nous ». Ce sont d’autres militants de la guerre de civilisation que la fraction la plus réactionnaire de la bourgeoisie dominante veut imposer aux travailleurs pour qu’ils s’agressent les uns les autres, pour qu’ils s’entretuent.

Prenons un peu de recul et revenons à 1996, année de sortie de l’essai Le Choc des Civilisations écrit par Samuel Huntington. Selon ce professeur étasunien, l’après-Guerre froide voit l’émergence d’une ère où ce ne sont plus les idéologies, capitalisme ou socialisme, qui matricent les guerres militaires, mais les différences culturelles et l’opposition entre religions. Il y a un quart de siècle, la grande bourgeoisie occidentale a théorisé cette guerre comme moteur de division des exploités, de détournement des regards et des esprits populaires de l’authentique ennemi du progrès humain qu’est le capital, de neutralisation des luttes sociales par l’exacerbation des distinctions de culture, de spiritualité ou plus récemment de consommation. Après l’avoir théorisée, elle l’a mis en pratique.

Parce que le profit capitaliste commande le monde, jusqu’aux institutions françaises, le commerce d’armes, de véhicules et d’équipements militaires aux financeurs directs du terrorisme islamiste se poursuit. Ainsi la France de Macron se félicite de ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite, suppléant ce pays du Golfe dans sa guerre contre le Yémen, où musulmans se massacrent au nom de leurs considérations religieuses différentes. L’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis qui sont des partenaires commerciaux privilégiés de la classe capitaliste française, tirent les ficelles du djihadisme à l’échelle mondiale. La guerre de civilisation frappe les travailleurs de toutes nations, pendant que ceux qui l’ont provoquée en profitent, font leurs affaires.

En somme, le terroriste islamiste croit mourir pour Allah, il meurt pour des industriels.

Dans nos frontières intérieures, la stigmatisation des musulmans ne peut excuser les actes terroristes mais s’avère loin d’être une vue de l’esprit. Quand le ministre de l’Intérieur se dit « choqué » par des « rayons communautaires », il se dit en réalité choqué par la liberté de chacun d’exercer son culte auprès de personnes exerçant d’autres cultes ou ne croyant pas ; par la liberté de pratiquer son culte. Par voie de conséquence, Gérald Darmanin, qui a une vision du droit pour le moins singulière, et qui préférerait certainement que les musulmans ou les juifs fréquentent d’autres magasins que les consommateurs de viande porcine, se dit choqué par la laïcité.

En effet, la laïcité est un principe fondateur de la République française depuis cent quinze ans, et elle est une force. Ce principe se décline en deux aspects principaux : liberté de croire, d’exercer, de pratiquer son culte quel qu’il soit, y compris dans l’espace public ; neutralité de la puissance publique. En ce sens, qui est précisément son sens originel si dévoyé aujourd’hui mais qui demeure son sens dans la Constitution et dans la loi françaises, la laïcité est une force de paix. Trois siècles et demi après le massacre de la Saint-Barthélémy, dans une France marquée par l’affaire Dreyfus, la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 a mis fin à la religion d’État, et grâce à elle et ses artisans, notre République n’oblige ni son Président, ni ses témoins à la barre d’un tribunal, à jurer sur la Bible ou tout autre texte sacré.

La laïcité, l’universalité de la République sont certes pratiquement uniques en France en comparaison avec le reste des nations, occidentales, du Nord, orientales ou du Sud, mais elles sont des outils à disposition des travailleurs pour revendiquer la citoyenneté de chacun et l’égalité sociale entre tous. Pour faire reculer l’obscurantisme, pour faire reculer toutes les forces réactionnaires – identitaires d’extrême-droite compris – qui défendent la loi quand elle les arrange et ne la respectent plus ou demandent sa modification quand elle ne les arrangent pas, pour faire reculer les divisions entre exploités, ce n’est pas de discours martiaux dont nous avons besoin. C’est de faire œuvre de paix entre nous, en combattant par la force du nombre et des principes universels les fauteurs de guerre de toutes sortes, tyrans et dictateurs en puissance.

Benoit Delrue, le 30 octobre 2020

Pour aller plus loin

Deux articles du Monde Diplomatique de décembre 2015 :

Génèse du djihadisme
L’argent du djihad

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