Les héritages très actuels du député républicain Bobby Sands, mort il y a 40 ans, et de Margaret Thatcher

Il ne fait pas officiellement partie du “club des 27”, nom donné par la légende urbaine à cette série de rock stars décédées à l’âge de 27 ans (Jimi Hendrix, Janis Joplin, Kurt Cobain, Amy Winehouse…) mais Bobby Sands demeure, quarante ans jour pour jour après sa mort, une icône de la classe ouvrière.

Face à lui, Margaret Thatcher, Première ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990, éteinte tranquillement dans son lit à Londres à l’âge de 87 ans en 2013, et qui laissa Robert Gerard dit Bobby Sands mourir, au 66ème jour de sa grève de la faim, à l’hôpital de la prison de Maze, dans le comté d’Ulster qui l’avait vu naître vingt-sept années plus tôt.

Quarante ans nous séparent de ce terrible 5 mai 1981 et pourtant, les héritages croisés de ces deux protagonistes sont d’une actualité vivace.

D’un côté, un nationalisme progressiste et anti-impérialiste, principale épine dans le pied du Royaume-Uni, qui se réaffirme à l’occasion d’un Brexit dont ne voulaient ni l’Écosse, ni l’Irlande du Nord.

De l’autre, un néolibéralisme autoritaire et intransigeant, moins incarné par le fantasque Boris Johnson, tory (conservateur) à sa manière, que par le chef de l’État outre-Manche, Emmanuel Macron.

L’autoritarisme féroce des dirigeants néolibéraux

L’héritage de Madame Thatcher, s’il n’est pas fièrement revendiqué par le Président de la République française devant ses concitoyens, s’est néanmoins confirmé dans son esprit à deux reprises : en 2014, dans une interview à la BBC à l’occasion de laquelle il vantait les “réformes menées dans les années 1980 au Royaume-Uni ; et durant son mandat à l’Élysée, par la brutalité avec laquelle il a cherché à mater les révoltes populaires, tant celle des Gilets jaunes que le grand mouvement contre la réforme des retraites de 2019-2020.

Or la férocité de Monsieur Macron vis-à-vis de celles et ceux qui contestent son autoritarisme n’est pas sans rappeler celle dont a fait montre Margaret Thatcher, notamment face à la grande grève des mineurs britanniques de 1984-1985, comptant 80.000 grévistes dans les rangs de l’Union Nationale des Mineurs (NUM, alors la plus puissante organisation ouvrière d’Europe) lâchés en rase campagne par la direction de leurs entreprises non seulement soutenue par le gouvernement de Londres, mais poussée à ne faire aucun compromis prétendument “avantageux” pour les employés.

Destins mêlés

Le 5 mai 1981, cela fait deux ans et un jour exactement que Madame Thatcher occupe le 10 Downing Street, résidence officielle du Premier ministre du Royaume-Uni. Elle s’est forgé le surnom de “Dame de fer de l’Occident” par son anticommunisme viscéral théorisé et mis en œuvre à la tête du parti tory. Elle a déjà entamé les principales réformes ultra-libérales, de réduction massive de la force industrielle publique et de remise en cause des droits sociaux, avant de lancer un programme de privatisations et de restriction des pouvoirs des syndicats.

Bobby Sands est emprisonné depuis 1977 à Long Kesh, surnom donné par les républicains à la prison de Maze, arrêté pour avoir participé à un attentat – une accusation abandonnée à son procès, faute de preuves – et condamné pour le port d’une arme qui a servi, selon les procureurs, à une fusillade entre membres de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et la Police royale de l’Ulster (RUC).

Le conflit ouvert en Irlande du Nord

Robert Sands n’a jamais caché s’être engagé dans les rangs de l’IRA en 1972, ce qui lui valu un premier emprisonnement pour détention d’armes jusqu’en 1976. De ses dix-huit ans à sa mort, Bobby aura vécu moins d’une année en liberté, consacrée à la lutte républicaine par tous les moyens – y compris la guérilla urbaine.

Le conflit ouvert en Irlande du Nord oppose depuis le milieu des années 1960 nationalistes républicains et unionistes loyalistes. Aux considérations géopolitiques s’ajoute la question religieuse : face à la ségrégation confessionnelle subie par la minorité catholique, un mouvement pour les droits civiques se développe en opposition à la couronne britannique.

Contre l’IRA, qui entend tout mettre en œuvre pour l’unification de l’Irlande, se trouvent notamment la RUC ainsi que l’Ulster Volonteer Force (Force volontaire d’Ulster), une milice paramilitaire créée en 1966 et responsable dans les années suivantes de 428 morts selon les chercheurs historiens du conflit nord-irlandais.

Officier Commandant et député à la Chambre des Communes

C’est dans ce contexte que Bobby Sands grandit puis, dès sa majorité civile, est jeté en prison. Officier Commandant des quelque 300 membres de l’IRA et de l’INLA (Irish National Liberation Army, organisation marxiste et républicaine d’Irlande) emprisonnés à Long Kesh à partir de 1980, Sands refuse de s’alimenter à compter du 1er mars 1981 pour protester contre ce qu’il dénonce comme un emprisonnement politique visant ses compagnons et lui-même.

Sous la bannière de l’Anti H-Block, étiquette montée de toutes pièces par les grévistes de la faim, Bobby Sands est élu en avril 1981 à l’occasion de l’élection législative partielle de la circonscription de Fermanagh and South Tyrone, durant son deuxième mois de grève de la faim, et devient député à la Chambre des Communes du Royaume-Uni.

De l’Assemblée de Westminster, Robert Gerard Sands n’en verra pas les ors, puisqu’il succombera de sa grève de la faim le 5 mai 1981, ainsi que six autres membres de l’IRA et trois de l’INLA entre mai et août de la même année.

L’icône Bobby Sands est une arme contre l’impérialisme

Après la victoire et la mort de Bobby Sands, le pouvoir britannique adopte une loi, le Representation of the People Act 1981, pour empêcher les prisonniers purgeant une peine de plus d’un an de briguer un mandat électoral. Lors du scrutin législatif partiel de la circonscription de Sands, suivant le décès de ce dernier, c’est son propre agent, Owen Carron, qui représente en liberté l’Anti H-Block et remporte l’élection.

Logiquement, Margaret Thatcher ne fit même pas semblant d’exprimer la moindre empathie pour le sort du représentant Bobby Sands et de ses compagnons de Long Kesh. Elle déclara à la Chambre des Communes : “Monsieur Sands était un délinquant condamné. Il a fait le choix de s’enlever la vie. C’est un choix que l’organisation à laquelle il appartenait n’a pas laissé à beaucoup de ses victimes.

Il n’empêche que l’icône de la cause républicaine et des droits civiques des prisonniers politiques, qu’est devenu Bobby Sands, continue d’agir comme un poison sur l’impérialisme, britannique en particulier. L’homme laissera en héritage des écrits, carnets et poèmes secrètement écrits dans sa cellule et transmis à l’extérieur.

Les enfants de la classe ouvrière

« J’étais seulement un enfant de la classe ouvrière d’un ghetto nationaliste, mais c’est la répression qui a créé l’esprit révolutionnaire de liberté. Je ne me résoudrai qu’à la libération de mon pays, jusqu’à ce que l’Irlande devienne une république souveraine, indépendante et socialiste. »

« Notre vengeance sera le rire de nos enfants. »

En 2021, quarante ans plus tard, soit vingt années de moins que l’écart d’âge séparant Bobby Sands et Margaret Thatcher à leurs décès, puissent ces mots résonner avec plus de force et d’intensité que tous les canons de l’impérialisme tournés contre les peuples privés de république et de nation libres.

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