Lauriane avait 24 ans
Lauriane a 24 ans. Elle veut devenir sapeur-pompier depuis son plus jeune âge. Originaire de Grazac en Haute-Loire, elle a traversé la France pour suivre la formation initiale du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Maine-et-Loire. Elle va intégrer une caserne à Angers dans les jours à venir. Nous sommes en avril 2016.
Ses rêves se brisent contre le mur d’un commandement pour lequel le principe d’humanité semble étranger. Elle est exclue de la formation juste avant son aboutissement, pour avoir changé de quelques jours la date d’un certificat médical authentique pour une blessure survenue lors d’un entraînement professionnel. Le 20 avril 2016, elle met fin à ses jours, en uniforme, sur son lieu de formation, après avoir pris le soin d’écrire une lettre pour expliquer cet acte.
Les sapeurs-pompiers du Maine-et-Loire combattent leur hiérarchie, qui s’enferme selon eux dans un déni de justice et de réalité. Ils demandent la reconnaissance du suicide de la jeune femme comme accident de service – c’est le terme consacré. Le 4 décembre 2018, lors de la traditionnelle et importante cérémonie de la Sainte-Barbe à Cholet, ils tournent le dos au directeur du SDIS et au maire de cette deuxième ville du département. De mémoire de pompier, un tel acte de défiance et de bravoure n’était encore jamais arrivé.
Les années passent, la bataille se poursuit. Le syndicat majoritaire des sapeurs-pompiers du Maine-et-Loire a une idée de fou : rebrousser le chemin autrefois traversé par la jeune femme et se rendre d’Angers à Grazac, à pied, en courant, en se relayant tous les dix ou quinze kilomètres. Le 2 juin 2021, à six heures pétantes du matin, ils se lancent dans l’aventure. De vallées en vallées, sur le versant des montagnes du massif central, ils remontent la Loire jusqu’à sa source. Ils demandent, non pas réparation, car rien ne pourra jamais réparer le préjudice commis contre la jeune femme, mais simplement une chose : la vérité.
Quatre journées plus tard, pleines de joie, de plaisanteries, de trop-plein d’émotions parfois, cinq cent quarante kilomètres d’efforts et d’abnégation plus loin, les sapeurs-pompiers sont arrivés au domicile de la famille de Lauriane. L’objectif est atteint. Tous sont heureux de cet accomplissement, mais personne ne voulait en arriver là.
Le mercredi 16 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes rend son verdict. Le suicide de Lauriane est reconnu officiellement comme accident de service. Le rapport de force construit par la mobilisation exceptionnelle de la CGT SDIS 49 a inversé le cours de l’histoire. Une étape cruciale est franchie, une étape seulement. Depuis le 1er janvier 2021, cinq soldats du feu ont mis fin à leurs jours.
Nos caméras ont suivi, un mois durant, les sapeurs-pompiers du Maine-et-Loire et leur traversée de la France pour en retranscrire la chronique dans un documentaire original, le deuxième épisode de la série Nous Sommes En Guerre. Si les principaux protagonistes de cette histoire ont éprouvé de rudes batailles, ils ont aussi su soulever des montagnes.