Le mirage de la gentrification

Bien qu’il n’en soit plus l’édile, il n’y a pas figure plus andégave que l’ancien maire d’Angers, M. Christophe Béchu, aujourd’hui ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. 

Même s’il est diplômé de Sciences-Po à Paris, il a grandi, fait une partie de ses études et la plupart de sa carrière dans le Maine-et-Loire, en briguant tous les mandats qui pouvaient être honorés par un politicien local.  

Il a connu la consécration, en 2014, quand il remporte l’élection municipale face à la majorité sortante, socialiste, au pouvoir pendant quasiment quarante ans. Ce qui a été un tremblement de terre – certes très attendu par les suiveurs – semble aujourd’hui le dernier soubresaut d’une époque révolue. 

Jadis, quand on qualifiait Angers de ville “à taille humaine” , elle n’avait pas la même attractivité que sa voisine nantaise, l’incontestable capitale de la région Pays de Loire. 

Il est vrai que vit à Nantes trois fois plus de personnes, sur un territoire deux fois plus grand. Située à l’estuaire de la Loire, le plus grand fleuve du pays, cela lui donne une position économique plus évidente. 

Qu’on ne s’y trompe pas, Angers ne manquait ni d’atouts ni de charme. Il ne fallait pas s’arrêter à l’image d’Epinal d’une carte postale du château surplombant la Maine. 

Le caractère festif de la cité des Ducs pouvait faire la fierté de ses habitants: à chaque saison son événement culturel ou sportif et quoiqu’on fasse, quand on traînait dans les bars, même seul, on avait toujours l’occasion de retrouver une connaissance faite en soirée.

Du reste, la vie des quartiers était tonique. Si les décennies 1990 et 2000 ont vu les entreprises historiques fermer, que ce soit Thomson à Monplaisir ou bien Bull à Belle-Beille, les lieux gardaient un certain dynamisme, grâce au marché, situé place de l’Europe pour l’un et à la vie étudiante, en particulier dans la très contestataire fac de lettres, dans l’autre quartier.  

Angers, ville centriste par excellence

A la lecture de ces lignes, on comprend que cette caractéristique qui est devenue une véritable critique pour le détracteur des sociabilités en troquet, ne date pas d’hier. Ce qui pouvait paraître pénible avant, l’est tout autant aujourd’hui: tout le monde se côtoie, se connaît et les ragots peuvent aller bon train dans les bars. 

En prenant un peu de recul, on constate même que le processus de gentrification, pourtant si symbolique de la politique de la majorité actuelle, aussi libérale que les tendances politiques de leur chef de file, est elle-même dûment constatée depuis au moins trente ans.

La Doutre, par exemple, historiquement le quartier populaire de la ville, est ciblé depuis les années 1960 par une politique de patrimonialisation et de rénovation qui vise l’attraction de couches sociales plus aisées. 

Réputée à l’époque mal famée, avec des logements vétustes, elle est devenue un lieu huppé sur le front de Maine et assez étudiant à l’intérieur du quartier. Le cœur populaire de la ville a été lentement mais sûrement déplacé en périphérie, à Verneau par exemple, où se trouve la communauté des gens du voyage. 

Sur un autre plan, on observait bien que la vie culturelle, toute dynamique et riche de sa diversité qu’elle soit, commençait à s’adresser à une clientèle plutôt qu’à un public, en témoigne le festival Tempo Rives qui remplaçait Angers l’été, en s’installant justement à la cale de la Savate, dans la Doutre, afin d’investir un front de Maine désormais entourés de logements haut de gamme.

C’est tout d’abord un motif de satisfaction: Angers l’été accueillait 12.000 spectateurs, ils étaient 38.000 en 2016 pour Tempo Rives. Mais cette réussite, appuyée par le budget culture solide de la municipalité à l’époque, a été le champ des cygnes. Depuis la crise du Covid-19 entamée en 2020, les événements culturels peinent à réunir de nouveau les angevins…

Le VRP d’Angers

Si les yeux de M. Béchu sont aujourd’hui tournés vers Paris, est-ce parce qu’il est devenu une sorte de VRP de la ville, qui se transforme en lieu de villégiature pour habitants de la capitale ?

Là encore, la pandémie a opéré un tournant certain sur la vision que l’on se fait d’Angers, bien aidée par la mise en place de la Ligne Grande Vitesse par la SNCF. Une communication, pour le moins agressive, a emporté l’opinion publique, surtout celle encline à trouver un pied à terre loin de l’ambiance frénétique de Paris. 

Depuis le changement de majorité, des événements monumentaux ont été organisés à Angers, invitant patrons et représentants politiques de premier rang. Facile, quand on est, comme le dit la chanson, membre de l’opaque groupe Bilderberg.   

Malgré son réseau cosmopolite, il faut quand même dire qu’il n’y a pas plus typiquement angevin que la carrière du nouveau ministre. Il a tout de même commencé en étant le bras droit de l’ancien maire d’Avrillé, Marc Laffineur. Comme son poulain, lui qui faisait la pluie et le beau temps au sein de la droite angevine, a connu un destin ministériel sous le mandat de Nicolas Sarkozy, même s’il n’était que secrétaire d’Etat. 

Quand il était le président du département, Christophe Béchu était le visage de Terra Botanica. Encore aujourd’hui, en tant que ministre, il ne manque pas de rendre visite à “son” pari.

Si l’éco-parc, présenté comme le premier dans ce genre, a eu une vie tumultueuse, il est devenu la vitrine d’Angers. L’édition printemps du festival les Z’éclectiques, habituellement situé à Chemillé, en banlieue choletaise, a connu une date là-bas.

Depuis, les projets se sont multipliés et même si les travaux pour le tramway ont connu leur lot de rebondissements – c’est le moins qu’on puisse dire – c’est bien deux nouvelles lignes qui devraient voir le jour en juillet 2023.

Côté centre-ville, le cœur de Maine a changé de fond en comble, en témoignent les futures halles marchandes à la place du parking place de la Poissonnerie. Ce qui ne devrait pas lui faire de mal, tant ce lieu est investi par l’insécurité. Sans comparer l’esplanade du cœur de Maine à la place du Commerce à Nantes, il faut tout de même admettre qu’il n’est pas conseillé d’y rester pour faire une soirée chill. 

Crédit photo: Adam Fourage

En une phrase comme en cent, Christophe Béchu est le pur produit de son environnement. Alors que la désormais bien installée majorité a cherché à se démarquer dans ses choix politiques, en témoigne le nouveau tracé du tramway, cela reste néanmoins la continuité du destin d’une ville typiquement centriste, où l’on se gargarise de son climat social apaisé. 

Alors comment expliquer cette impression nette et bien réelle, que la ville devient la Jérusalem des bobos ? 

Dorénavant, les lieux de culture sont vandalisés par des militants fascistes, chose inconcevable il y a encore à peine 10 ans…

C’est que la méthode a été au mieux cavalière, au pire brutale. Il n’y a rien de plus symbolique d’avoir vu le centre d’hébergement d’urgence, avenue de la Constitution, à la frontière du quartier Saint-Serge, se transformer en une immense patinoire. 

C’est un projet qui a eu des répercussions durables, dans une ville où l’immobilier est en flux tendu.

Ce qui est sûr c’est qu’on ne pourra jamais accuser M. Béchu d’immobilisme. Son programme, c’est la transformation envers et contre tous. Alors il multiplie la politique des grands travaux tout en vantant un cadre de vie idéal… 

Le constat que les habitants ont été dépossédés de leur ville, se ressent surtout sur le porte-monnaie. Alors qu’Angers était une ville moyenne, elle est devenue une agglomération d’ampleur nationale, avec les inconvénients que cela comporte. 

Au-delà de la sur-inflation de l’immobilier, ce sont les prix qui ont connu généralement une hausse et cela n’est pas uniquement dû à la guerre en Ukraine. 

Le réseau très développé de Carrefour City a remplacé dans les quartiers les acteurs traditionnels comme les commerces de proximité.

En parlant de proximité, le marché de Monplaisir, surnommé “Marrakech” par les habitants, situé cocassement place de l’Europe (le lieu le plus pauvre d’Angers) est aujourd’hui délocalisé dans la zone commerciale de Saint-Serge, à quelques encablures du Carrefour… Comme le destin peut être taquin…   

Crédit photo: Adam Fourage

S’il y a une population qui montre les failles du système, ce sont bien les étudiants. 

Angers attire largement les futures élites de la nation. Son large éventail de formation est victime de son propre succès, puisque l’université publique n’est même pas capable d’accueillir tout le monde. 

A l’initiative du syndicat étudiant UNEF, le conseil d’administration a dû ajourner la question de la réduction des places dans les formations.

Les locaux de Belle-Beille – tellement vétustes – sont fermés administrativement le 20 décembre. 

Pas de panique, l’université prend en charge le salaire des agents ! Mais cela ne concerne pas uniquement un campus en fin fond de banlieue, puisqu’il n’y a pas plus de chauffage dans la fac de Saint-Serge, où l’on suit des études de droit, d’économie et de tourisme.

L’université publique enregistre un déficit budgétaire de 4 millions d’euros, un fait inédit pour ses 50 ans. 

Une date anniversaire que l’antenne communication de la présidence à voulu célébrer par une cuvée de pétillant. L’idée de valoriser le patrimoine – le vin est après tout une spécialité de l’Anjou – fut louable. Le résultat n’était cependant pas au rendez-vous. 

Non seulement la cuvée ne s’est pas vendue mais les bouches les plus sévères vont même faire l’affront de critiquer la qualité du vin, et on connaît l’attachement d’un angevin à son nectar…

Crédit photo: Adam Fourage

Jean-Marc Verchère est maintenant le premier des citoyens de la ville du roi René. Il a remplacé au pied levé Christophe Béchu. 

Avouons-le toutefois, personne n’aimerait être à sa place, tant sa prise de fonction traduisait un certain essoufflement de l’exercice du pouvoir par la droite.

Ce n’est pas tant lui que les contestations auxquelles il fait face qui nous le montrent.  

La mobilisation des agents municipaux, que nous avons déjà couvert, montre bien que l’équilibre si efficacement présenté par l’actuel ministre de la transition écologique, reposait sur des bases finalement fragiles. 

La ville s’est transformée manu militari, au détriment de sa population, et sans emporter avec elle ses propres salariés. 

Finalement, Angers est devenue une vitrine du capitalisme libéral, dans ce qu’il a de plus hypocrite: ville ouverte sur les panneaux publicitaires, le quotidien d’un angevin pèse de plus en plus.

Le temps sera juge de paix, mais il semble que M. Verchère ne soit pas aussi charismatique que M. Béchu même s’ils sont tous les deux aussi doctrinaires. 

S’ils veulent mener leur projet à temps, ce sera impossible sans l’adhésion des citoyens.

Il est temps de rendre Angers aux angevins.

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