Les premiers enseignements de la bataille contre la réforme des retraites

Depuis le début de la bataille de la réforme des retraites et en particulier depuis le lancement des joutes parlementaires, l’arsenal médiatique s’abat sur la France Insoumise comme la vérole s’abat sur le bas clergé. 

Une fois n’est pas coutume, nous serions presque tentés de leur donner raison. Leur stratégie est tout de même décriée par l’ensemble de l’intersyndicale, à la manœuvre dans l’affrontement avec le gouvernement.

On ne le dira jamais assez mais le premier responsable de cette immense pagaille reste le président de la République lui-même. Emmanuel Macron le sait: cette réforme, si elle doit passer, passera dans la douleur. 

Réformer le système des retraites n’a certes jamais été une partie de plaisir pour aucun des gouvernements depuis 1995, on peut quand même dire qu’en 2023, cela s’apparente à une mission suicide. A ce titre, l’alliance entre le groupe parlementaire présidentiel, Renaissance, et les Républicains apparaît de plus en plus contre-nature, quand on voit qu’une partie des alliés de circonstances du gouvernement ne votent pas l’article 2 de ladite réforme. 

En conséquence, et parce que la gauche se doit aussi d’incarner cette colère au sein de l’Hémicycle, il serait sage que le Rassemblement National fasse profil bas durant cette séquence. 

Il fait même mieux puisque le parti de Mme Le Pen se place au-dessus de la mêlée, affichant son refus de principe de la réforme afin de mieux capitaliser sur la colère populaire. 

Cette posture, paradoxalement jupitérienne, lui permet de ne pas perdre en crédibilité aux yeux de l’opinion publique. 

A l’issue de cette séquence, le parti d’extrême-droite pourrait se positionner comme l’unique mouvement en capacité de gouverner le pays.

Pendant ce temps-là, l’intergroupe parlementaire de la Nouvelle Union Populaire et Sociale (NUPES) et plus singulièrement la France Insoumise a cherché à adopter une posture d’obstruction parlementaire. En effet, cette stratégie fut couronnée de succès il y a trois ans lors de la bataille contre la précédente réforme des retraites, en permettant aux syndicats de maintenir la pression sur le temps long.

Si le mouvement social a été dur, en particulier pendant le mois de décembre 2019, c’est surtout avec la pandémie de coronavirus à l’orée du printemps 2020 que la réforme a été d’abord ajournée puis abandonnée. 

Alors que le mouvement syndical est intégralement uni, on constate qu’il existe une divergence dans l’approche de mener la bataille contre la réforme des retraites, au point de voir l’intersyndicale condamner l’obstruction parlementaire.

S’il est certain que la NUPES ne sort pour l’instant pas grandi de ce premier acte de la réforme, un ajustement stratégique doit s’opérer, en prenant compte des objectifs, certes différents mais tout de même complémentaires, des syndicats.

Différents d’abord puisque si l’intersyndicale se bat pour le rejet de la réforme, elle n’a pas nécessairement intérêt à l’instabilité institutionnelle, bien au contraire. Si les syndicats devaient retrouver la table des négociations, il serait tout de même préférable de s’adresser à un interlocuteur identifié. 

Pour autant, le chaos n’est pas dans le désintérêt de la gauche. Au-delà du retrait de la réforme, ce qu’elle doit chercher, c’est la dissolution de l’Assemblée Nationale et donc la convocation d’une nouvelle élection législative, dans l’optique d’imposer une cohabitation au Président de la République. 

Mais les stratégies restent tout de même complémentaires: seule la rue est capable de créer les conditions pour qu’une nouvelle élection ait lieu.

Dans le cas contraire, sans appui parlementaire, la contestation sociale, si forte et légitime qu’elle soit, ne pourrait trouver de débouché politique à l’endroit où la réforme se décide. 

Qui dit nouvelle réforme, dit donc nouvelle méthode. Le camp présidentiel a décidé d’appuyer là où ça fait mal. Sans dialogue entre les directions politiques et syndicales, il n’y aura pas de salut possible. Le gouvernement n’a ni intérêt à dissoudre maintenant l’Assemblée Nationale, ni intérêt à reculer sur la mesure phare du programme de M. Macron.

Quand bien même cela signifierait l’anarchie, le gouvernement ne peut laisser échapper le pouvoir et s’il atrophie réellement ses chances pour 2027, rappelons tout de même qu’Emmanuel Macron ne pourra pas se présenter une troisième fois. De ce fait, il apparaîtrait plus profitable pour le milieu des affaires de travailler avec l’extrême-droite plutôt que contre la gauche si l’un ou l’autre finissait par arriver au pouvoir. 

Ainsi, on comprend pourquoi le Rassemblement National, dans ce contexte précis, part avec une longueur d’avance mais ce n’est pas dans son opposition de façade qu’il a quelque chose à tirer de cette séquence. C’est dans cet environnement délétère qu’il va pouvoir sortir du bois.

Nous observons dans cette bataille que la stratégie syndicale est bien meilleure que celle de la gauche dans l’hémicycle mais que si elles n’opèrent pas un réajustement, les chances de victoire se retrouveront très fortement diminuées, pour ne pas dire inexistantes.

Il existe un rapport de force non négligeable chez l’intersyndicale pour infléchir les objectifs partisans vers quelque chose de plus atteignable, sans voir cette idée de dissolution de l’Assemblée Nationale disparaître.
En effet, puisqu’il s’agit de configurer le mandat du Président et du gouvernement qu’il nomme, la réforme des retraites peut être le symbole d’un dialogue social renouvelé avec des pratiques plus respectueuses des partenaires sociaux et en particulier des représentants des travailleurs.  

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