L’expérience aboutie de la démocratie

L’un des avantages du numérique,  c’est de pouvoir  vivre l’actualité sans en être acteur. C’est ainsi que nous avons suivi, en direct, le congrès de la Confédération Générale du Travail, sur sa page YouTube.

L’une des externalités des plus positives pour l’observateur cynique qui écrit ces lignes, c’est la dramaturgie issue des débats qui a permis de regarder ce temps politique comme n’importe quelle télénovela : on y retrouve du mélodramatique, des coups de théâtre, de secrets jeux de pouvoirs et bien sûr un happy end qui rassure tous les cœurs tendres dont j’avoue faire partie.

Si on reste quand même sérieux, on peut se rassurer d’avoir frôlé la correctionnelle, mais seulement frôlé ! La tension qui régnait au sein de ce congrès national, à Clermont-Ferrand, laissait présager une rupture durable entre les militants et la direction, d’autant plus que le bilan d’activité a été pour la première fois de l’histoire de la confédération rejeté par une très courte majorité de congressistes, donnant un signal des plus négatifs vis-à-vis des autres travailleurs, en particulier celles et ceux qui sont en lutte contre la réforme des retraites.

Pour autant, l’issue heureuse d’un bureau élu à hauteur de 72% des mille délégués, représentant 560.206 syndiqués à jour de leur cotisation (1% du salaire net), organisés à la fois en secteurs d’activité (les fédérations) et territorialement (les unions départementales), ne devrait pas nous empêcher de faire le bilan de ce temps fort.

En réalité, ce n’est pas la première fois que la CGT, en particulier dans son histoire récente, a connu des révolutions de palais. Ce fut  déjà le cas pour le prédécesseur de la nouvellement élue Secrétaire Générale, Sophie Binet, à savoir Philippe Martinez, quand il prend la direction de la centrale après l’éviction spectaculaire de M. Thierry Lepaon, en 2015.

Il semble que pour les plus célèbres moustaches de France, la leçon ne semble pas avoir été correctement assimilée. Il aurait dû savoir qu’il pouvait être désavoué de la même manière.

Ce n’est pas comme si le torchon brûlait au sein de la CGT et ce depuis un certain temps. Sans vouloir revenir sur le fond,il s’agit, selon nous, plutôt d’une querelle bureaucratique que d’un changement radical dans la ligne confédérale.

Il nous apparaît évident que la direction s’est peu à peu déconnectée de sa base, au point d’en être totalement détachée la semaine dernière, empêchant toute continuité dans le travail entrepris, qui devait s’incarner autour de Marie Buisson, la successeure désignée de M. Martinez.

Itinéraire d’une militante syndicale

Soyons honnêtes, même pour celles et ceux qui connaissent la carrière de Mme Binet, elle n’a jamais eu la tête de l’emploi pour assurer le rôle de patronne des cégétistes.

Déjà parce qu’elle est cadre et dans une organisation très attachée à sa tradition ouvrière, l’on peut imaginer qu’un profil aussi différent puisse heurter l’imaginaire collectif des syndicalistes.

Aussi parce que Mme Binet a pu, en interne de l’organisation, représenter tout ce qu’il y avait de pire dans l’organisation. Au point que son tout premier mandat de dirigeante confédérale n’a pas été renouvelé en 2016.

N’oublions pas qu’elle a été cadre nationale de l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) à une époque où l’on reprochait au syndicat étudiant d’être une succursale du PS en plus d’avoir des pratiques syndicales au mieux opaque, au pire mafieuse. Voir quelqu’un venir de cet univers doit être déconcertant pour un ouvrier syndicaliste issu d’une toute autre école militante. Non pas que la CGT soit une organisation parfaite, mais son centralisme l’a souvent protégée de querelles intestines rédhibitoires, ce qui ne fut pas toujours le cas dans le syndicat étudiant…

A Infoscope, nous croyons à la rédemption, en particulier pour une militante qui s’est illustrée par son travail syndical reconnu de toutes et tous.

Déjà à l’UNEF, elle fut la cheville ouvrière de l’organisation pendant la bataille du Contrat Première Embauche (CPE) mais c’est réellement à partir de 2016, en parallèle de sa mise à l’écart de la direction de la CGT, qu’elle va devenir une figure de la lutte contre la Loi El Khomri en étant à l’initiative de la pétition “Loi Travail: Non Merci !”.

La promesse d’un retour aux sources

Ne résumons pas l’irruption de Mme Binet à la tête de la CGT à  un simple changement cosmétique. Elle ne saurait être l’arbre qui cache la forêt et ne peut pas être là pour assurer un équilibre bureaucratique.

A ce titre, la composition du nouveau bureau dirigeant, acceptée par toutes les instances du congrès de Clermont-Ferrand, montre plus qu’une volonté de synthèse. L’idée est de ressortir de ce congrès plus forts qu’à son entame.

En élisant de M. Laurent Brun, issu de la très puissante fédération des cheminots, au poste d’administrateur de la CGT, le congrès envoie autant un signal à la frange contestataire de l’organisation  : il remet, en exergue, la pratique militante de terrain, celle qui a fait le succès d’estime de la mobilisation à la SNCF en 2018, à défaut d’obtenir une réelle victoire syndicale.

En témoigne, la première position publique de la nouvelle secrétaire générale, au micro de France Inter. Sophie Binet veut  relancer une campagne de syndicalisation, afin de “renforcer dans la durée le rapport de force”.

Si cette annonce est suivie d’effets, il n’y a aucune raison de s’inquiéter de ce changement de direction. Au contraire, nous sommes en droit d’être enthousiasmé de voir en France, une institution aussi importante que la CGT, faire la preuve que la démocratie est un régime politique efficace et utile.

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