Pourquoi Silk Sonic est intemporel, alors que vous les connaissez à peine ?

Alors que l’été arrive, que l’on se prépare à partir en vacances, afin d’oublier que nous vivons dans la France d’Emmanuel Macron, nous allons – une fois n’est pas coutume – parler de sujets légers, à savoir de musique. 

 

Le groupe tendance du moment, Silk Sonic, a annoncé renoncer “sexuellement” à ses nominations aux prestigieux Grammy Awards, qui récompensent chaque année les meilleures compositions dans diverses catégories.

C’est la cérémonie musicale étasunienne – voire mondiale – la plus prestigieuse qui soit. Le vainqueur d’une catégorie reçoit en guise de prix un gramophone en or, d’où le nom de Grammy Awards. 

 

L’année dernière, le groupe avait déjà raflé 4 récompenses. Et pas dans des catégories secondaires: le single porteur de l’album an evening with Silk Sonic, “Leave the Door Open” a gagné le prix du meilleur enregistrement comme de la chanson de l’année.

Excusez du peu, mais ils ont raflé deux titres majeurs au nez et à la barbe d’artistes tels que Justin Bieber, Doja Cat, Billie Eilish ou Ed Sheeran, qui sont tous des pontes de la musique populaire outre-Atlantique. 

  

Si le directeur général de l’académie, Harvey Mason Jr. dit comprendre la raison de leur choix, c’est aussi parce qu’il n’a pas forcément besoin d’un OVNI pour faire prospérer l’institution. Preuve en est avec la couverture de l’événement, qui, fait inédit, fut diffusée sur la plateforme de streaming Paramount + (lien de l’article en anglais, NDR).

L’inverse est aussi vrai, Silk Sonic n’a aucunement besoin d’obtenir des récompenses et des certifications pour obtenir de la reconnaissance.

 

Pour le comprendre, tâchons de commencer par le commencement. Silk Sonic est un duo composé de l’excellent Anderson .Paak et du non moins délicieux Bruno Mars. Autant dire que le rythme groove à souhait, l’arrangement musical est somptueux et plongerait n’importe quel aigri dans une transe dansante. 

 

L’album a d’ailleurs connu un incontestable succès commercial international malgré une faible promotion hors du territoire étasunien. A l’heure où nous vous parlons, Silk Sonic a déjà obtenu le disque d’or en France, alors qu’il n’y a quasiment eu aucune couverture médiatique à la sortie du projet. 

 

Pourquoi un tel succès ? 

 

Ce n’est pas comme si le public français n’était pas amateur de funk. Pas dans le pays de Daft Punk, qui fêtent les 10 ans de la sortie de leur ultime album Random Access Memories dont personne ne niera encore l’impact.

Sans vouloir tirer une filiation directe entre les deux robots et Silk Sonic, on constate de larges similitudes dans les deux démarches. 

C’est carrément un album qu’aurait pû produit la légendaire Motown si elle avait les moyens d’aujourd’hui. 

Que ce soit pour Anderson .Paak ou pour Bruno Mars, ils n’y sont pas à leur coup d’essai. En ce qui concerne ce dernier, tout le monde a encore en tête son hit Uptown Funk, qu’il a interprété en featuring avec le producteur Mark Ronson.

Chaque sortie du chanteur hawaïen déchaîne les foules, Bruno Mars est un artiste international de renom, preuve en est sa performance à la mi-temps du Superbowl 2014, qui marque une consécration dans une carrière.

 

Pour l’autre compère, que Mars surnomme affectueusement “Andy”, il a fait une apparition remarquée dans une des musiques du très respecté Mac Miller, rappeur de Pittsburg dont le décès a provoqué l’émoi parmi les auditeurs. L’instrumentation de la chanson, du nom de Dang!, est décrite comme “addictivement funk” (addictive funk instrumental, article en anglais, NDR). 

 

Le collectif au coeur du processus créatif

 

Si Anderson .Paak et Bruno Mars sont incontestablement des stars, leur démarche aurait pû seulement se borner à l’addition de deux univers musicaux similaires. Il n’en est rien. 

La pandémie de coronavirus fait office d’incubateur pour l’émergence d’albums collectifs – nous en avons la preuve, en France, avec l’album du 13 Organisés – pensés comme une conséquence de la pratique des résidences, qui consiste à réunir plusieurs artistes pour faire de la musique ensemble, déjà généralisés dans le milieu. 

 

En ce sens, le point de départ de la réflexion de Silk Sonic n’est pas tant éloigné. Mais il ne saurait expliquer à lui seul la réussite d’un tel album. 

A titre de comparaison, les artistes français Kaaris et Kalash Criminel ont aussi réalisé un album commun mais l’accueil ne fut pas au rendez-vous: l’addition de deux univers musicaux déjà proche – ici le rap hardcore – n’a pas permis de créer “une troisième voie”, au contraire de Silk Sonic, alors que les deux artistes ne sont pas issus du même sérail. Bruno Mars étant le chouchou de la radio alors qu’Anderson .Paak est une jeune légende de l’underground. 

 

Et pourtant, c’est ici que la magie opère. Il faudrait imaginer les séances studios chez Silk Sonic, qui s’est enregistré dans les studios d’Aftermath, le label de Dr. Dre, dont est membre Anderson .Paak (à l’instar d’autres artistes comme Eminem ou Kendrick Lamar). 

Le fait de s’être confiné ensemble a permis de procéder à chacune des étapes de la création ensemble. 

 

Il ne faut pour autant pas imaginer une seule seconde qu’ils étaient seuls. Au contraire, ils s’accompagnent des pontes du genre, tel que Bootsy Collins, qui fut le bassiste de James Brown ou bien Thundercat, ancien membre du groupe de punk hardcore Suicidal Tendencies et producteur indépendant, reconnu dans le milieu underground, notamment via son label Brainfeeder, qui a notamment signé en 2014 Mr. Oizo, plus connu sous le nom de Quentin Dupieux.  

 

Un album politique

 

En ce sens et ce malgré le fait que les thèmes musicaux soient centrés sur des sujets légers, en particulier à propos de l’amour, c’est un album contenant une charge politique évidente. En réunissant tous les courants de la funk, dans un contexte de pandémie, on peut dire que Silk Sonic cherche à s’émanciper des canons de l’industrie musicale. 

C’est ainsi qu’on peut comprendre leur refus de participer aux Grammy Awards mais leur démarche va encore plus loin. La conception de l’album s’est réalisé alors que le pays souffrait encore du tragique assassinat de Georges Floyd par les forces de l’ordre étasuniennes.

L’oreille distraite ne remarquerait même pas l’engagement dans l’arrangement musical. C’est pourtant un épisode qui a marqué la sous-culture funk, elle même influencée par la communauté afro-américaine des Etats-Unis. 

 

Il semble pourtant évident que ni Bruno Mars, ni Anderson .Paak ne sauraient être le porte-parole d’une nouvelle conception de la musique. Pour autant, cette démarche, unique en son genre, basée sur un alignement totalement improbable des agendas, nous permet d’observer un véritable phénomène de renichage de la musique.

Alors que la saison des festivals commence, que les boîtes de musique cherchent déjà la prochaine pépite estivale, Silk Sonic nous propose un album intemporel, qui s’adresse à nous non pas comme de simples auditeurs. Ils nous invitent à nous plonger dans un univers cohérent. En d’autres termes, Silk Sonic, c’est une musique pour celles et ceux qui veulent s’impliquer, s’engager, bref, faire changer les choses. Voilà pourquoi an Evening with Silk Sonic est un album unique. 

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