Le plan de Macron pour faire gagner Bardella et Le Pen, en trois points

En organisant des élections législatives anticipées sur les 577 circonscriptions françaises dans les conditions qu’il a choisi d’imposer, le Président Macron a bafoué les deux règles les plus élémentaires garantissant la démocratie représentative : l’égalité civique et le vote éclairé des électeurs.

Cette basse manœuvre participe d’un plan pour donner les clés du pouvoir législatif et exécutif au Rassemblement National (RN), en cas de déroute électorale du bloc macroniste – déjà assurée aujourd’hui, ne laissant la victoire possible qu’à deux camps : celui de la gauche rassemblée dans le nouveau Front populaire ou celui de la droite autoritaire et nationaliste.

1/ L’égalité civique balayée

Non-inscrits, mal-inscrits : plus de 10 millions de Français en droit de voter ne pourront pas exercer leur devoir civique. L’assignation à un bureau de vote pour les élections officielles organisées par le ministère de l’Intérieur dépend de l’adresse renseignée sur les listes électorales.

Des personnes qui se sont rendues en mairie dès lundi matin, quelques heures après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, se sont vues refuser l’inscription sur les listes électorales au prétexte qu’il était « trop tard ».

En cause, la précipitation totale de M. Macron qui a voulu dissoudre dès le 9 juin, jour où l’extrême-droite faisait son plus haut score depuis 80 ans, et qui a choisi la date du 30 juin alors que le premier tour du scrutin doit être compris entre vingt jours et six semaines (pour les nuls en mathématiques : 42 jours) après l’annonce de la dissolution. Le Président a donc opté pour vingt-et-un jours exactement.

A qui profite le crime antidémocratique du refus d’inscription sur les listes électorales ? Au RN, à n’en pas douter, qui a fait le plein d’inscrits et de votants pour les élections européennes du 9 juin que Jordan Bardella ciblait dès le mois de janvier comme « des élections de mi-mandat ».

Beaucoup de citoyens qui pourraient voter pour le nouveau Front populaire n’ont pas mis à jour leur inscription sur les listes électorales depuis 2022, dans un contexte où le scrutin pour le Parlement européen connaît une participation historiquement plus faible que lors des élections locales ou nationales et où la division des listes de gauche a agi comme un repoussoir chez les personnes qui se retrouvent dans cette famille politique. Que leur répondent, en substance, MM. Macron et Bardella ? « Bien fait pour vous ! »

En cas de déménagement, par exemple, l’impossibilité pratique de participer au vote est un obstacle majeur à l’égalité civique et à la démocratie républicaine. C’est une part énorme de la population en droit de voter en France qui se retrouve empêchée dans son expression civique à un moment charnière de notre histoire.

2/ L’obscurité démocratique

La deuxième condition à la démocratie est le vote éclairé par une information juste, factuelle, analytique pour voir ce qui se trouve dans les programmes de gouvernement derrière les discours et les phrases toutes faites. Nous savons que le diable se cache dans les détails et il ne suffit pas de dire qu’on « donne la parole aux Français » pour garantir un processus démocratique.

Comment avoir une connaissance juste du programme législatif des forces en présence en moins de vingt jours de campagne ? Dimanche 16 juin, les candidatures seront déposées et rendues publiques le soir même ou le lendemain. Vendredi 28 juin, la campagne devra officiellement se terminer.

Est-ce sérieux de ne pas donner toutes les clés de compréhension des enjeux pour engager l’avenir de notre pays et nous inviter à trancher l’un des choix les plus importants auxquels les Français ont été confrontés depuis la Seconde Guerre mondiale ?

Sans information claire, sans débat rationnel et sans possibilité de réflexion approfondie, ce sont les partis de désinformation, de satisfaction des préjugés les plus décalés de la réalité, de la démagogie la plus vile qui risquent de l’emporter – et là, les mieux placés sont évidemment Jordan Bardella et Marine Le Pen.

Le nouveau Front populaire a bien publié son programme législatif et gouvernemental vendredi matin, détaillant la rupture avec le macronisme dès les quinze premiers jours de cohabitation en 20 propositions plus 13 mesures internationales d’urgence autour de la paix ; l’été des bifurcations en 32 propositions ; et les transformations des mois suivants en 122 propositions.

Au total, ce sont 187 propositions, toutes des mesures concrètes, qui forment un ensemble de renouvellement radical de la puissance publique, avec une augmentation assumée des dépenses publiques permise par la taxation forte des grandes fortunes et des super-profits. Adopté après quelques jours et nuits de travail des représentants de la gauche parlementaire, mais bâti autour d’une certaine cohérence, ce programme est massivement diffusé par l’alliance de la gauche, notamment sur Internet.

Mais quelle autre coalition, quel autre parti présentant des candidats à ces législatives anticipées se plie au même effort pédagogique ?

Les candidats du RN, comme les médias centristes, libéraux, de droite ou d’extrême-droite se focaliseront sur des faits annexes à la campagne, des postures et des personnalités secondaires, là où les Français méritent d’être éclairés sur le fond des politiques à mener, projet contre projet.

Et nous sommes face à une confrontation de deux projets qui vont bouleverser la France : soit s’attaquer franchement à l’accumulation capitaliste pour la première fois depuis plus de 40 ans et amorcer un véritable partage des richesses ; soit fracturer les classes populaires selon leurs différences culturelles, cultuelles, ethniques ou identitaires.

Nous risquons de vivre le triomphe de l’ignorance des programmes, des intentions réelles et des politiques à venir au moment du vote. C’est précisément ce qu’a voulu le chef de l’État, qui espère plonger dans l’obscurité les citoyens au moment d’élire leurs représentants à l’Assemblée nationale.

3/ Des élections insincères en 2027

Si nous pouvons légitimement douter de la sincérité du scrutin des 30 juin et 7 juillet, étant donné que les deux conditions primordiales à la démocratie ne sont pas réunies pleinement, nous pouvons aussi être certains que si d’aventure un gouvernement autoritaire, nationaliste et anti-populaire venait au pouvoir, ce seront peut-être les élections les plus honnêtes qu’on aura eu tant que l’extrême-droite dominera.

Qui peut croire que l’égalité civique entre toutes et tous et la mise à disposition de tous les citoyens d’une information à même d’éclairer leurs choix seront garanties par un gouvernement du Rassemblement National ?

D’une part, un ministère de l’Intérieur, aux obsessions sécuritaires et appliquant l’exclusion arbitraire des droits civiques de telle ou telle catégorie des classes populaires, organisera les campagnes électorales officielles. De l’autre, le RN promet d’opérer, dès sa prise de pouvoir gouvernementale, la privatisation de l’ensemble du service public de l’audiovisuel – qui, quoi qu’on en dise, n’a jamais été, depuis la fin de l’ORTF, l’organe central du gouvernement – et l’extinction des radios associatives par la disparition du fonds de soutien à l’expression radiophonique.

Seuls des médias commerciaux, aux ordres du capital, seront censés apporter la contradiction face à un pouvoir politique, exécutif et législatif, verrouillé par l’extrême-droite.

N’oublions pas que si Marine Le Pen et Vladimir Poutine se sont affichés ensemble, ce n’est pas que pour une histoire de prêt au RN concédé par une banque d’État russe, mais bien parce que ces deux personnes et leurs partis respectifs ont une conception similaire de l’exercice du pouvoir.

Il sera difficile d’envisager l’organisation d’élections « libres » avec l’extrême-droite nationaliste aux manettes de l’État. Un RN qui prend le pouvoir en 2024, c’est un RN qui garde le pouvoir en 2027 quoi qu’il se passe.

Au fait, pourquoi Macron veut faire gagner le RN ?

Si le Président de la République a posé les jalons de ce qui ressemble à un tapis rouge pour faire entrer le RN au gouvernement, c’est pour une raison simple : tenter de vaincre la gauche de transformation sociale.

Il suffit de voir les résultats de la Bourse de Paris, incontestable baromètre de l’opinion de la grande bourgeoisie financière qu’Emmanuel Macron a servie toute sa vie, en tant que haut-fonctionnaire, banquier d’affaires puis homme politique.

Reprenons le fil du CAC40, l’indice de référence – basé sur le cours des titres des quarante plus grandes entreprises françaises – pour analyser comme se portent les marchés financiers et se comportent les propriétaires des gros portefeuilles d’actions.

Lundi 10 juin, le CAC40 perd ainsi 1,35% à 7.893 points en raison de l’incertitude provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale. Mardi, le CAC40 perd encore 1,3% à 7.791 points en clôture. Mercredi, le CAC40 reprend 0,97% à 7.864 points, préparé à l’idée qu’en cas d’échec de la prétendue « Majorité présidentielle », les meubles financiers seront sauvés par l’arrivée au pouvoir du RN.

Jeudi, les discussions pour un accord à gauche avancent et le CAC40 subit de nouveaux « dégagements », selon les termes des traders, et retombe de 1,99% à 7.708 points. C’est alors, en une séance de la Bourse de Paris, la baisse la plus nette enregistrée depuis la convocation d’élections législatives anticipées.

Vendredi, le nouveau Front populaire a scellé son accord entre des forces de gauche très diverses et présente publiquement son programme de gouvernement le matin même. Panique boursière : cette fois, le CAC 40 s’enfonce de 2,66% à 7.503 points en clôture de semaine.

En envoyant de pareils signaux, la classe capitaliste a non seulement déjà enterré la Macronie, mais a de surcroît fait son choix, fidèle à sa position historique en temps de crise de régime majeure : « plutôt Hitler que le Front populaire ». Il faut s’attendre, au gré des sondages et de l’évolution dans la campagne législative, à de nombreux autres messages de la bourgeoisie financière indiquant de plus en plus clairement sa préférence.

Péril pour les riches ou pour les pauvres

Nous sommes dans un temps d’accélération de l’Histoire où le rythme politique, d’ordinaire plus lent, épouse le rythme frénétique de l’économie financiarisée et du commerce mondialisé. Or, le monde de la finance n’a pas l’intention de baisser les armes face à ce qu’il considère comme le plus grave péril pour ses « libres » exploitation et spéculation.

Véritables accros à la drogue dure de l’accumulation de richesses, les ultra-riches feront tout pour ne pas être privés de leur jouissance suprême. Cela les amènera à prendre toujours plus nettement position en faveur de l’extrême-droite chauvine et xénophobe plutôt que de la gauche authentique cherchant à réguler, voire dépasser le système capitaliste.

C’est en sabotant le respect des principes républicains que le Président des riches veut un gouvernement des riches, quitte à ce que ce dernier soit dominé par le parti, faussement populaire et indubitablement pro-bourgeois, dirigé par la châtelaine de Montretout.

La démocratie survivrait largement à la fin du capitalisme. Nous sommes plus proches de l’inverse, qui s’avère tout aussi exact : le capitalisme survivrait sans encombre à la fin de la démocratie.

Manifestation contre l’extrême-droite à Angers, 15 juin 2024. (Photo : Benoit Delrue)

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