Le Capital communiste 6/10 – Contradictions et dépassements

Le Capital communiste est une brochure écrite en juin 2023 par Benoit Delrue, journaliste et directeur de publication d’Infoscope.
Un an plus tard, à l’heure où le pays plonge dans la mécanique nationaliste, nous interrogeons les faillites de la gauche de transformation sociale, politique et révolutionnaire. Ce présent ouvrage, publié sur notre site en une série d’articles, y contribue.

Cette deuxième des dix parties du document, que nous publions en exclusivité et en accès libre, en intégralité du lundi 1er au vendredi 5 juillet 2024, comporte le Chapitre 15 : L’idéologie communiste, le Chapitre 16 : Contradictions et dépassements et le Chapitre 17 : Les trois facteurs de l’engagement.

Retrouvez la table des matières

*

**

XV. L’idéologie communiste

*

Ce qui paraît troublant s’avère, en réalité, tout à fait théorisé par les communistes. Ce n’est pas en vivant en marge de la société que nous la transformerons, mais en y étant, tout au contraire, particulièrement ancré. Ce n’est pas tant notre consommation, c’est-à-dire notre rapport aux marchandises de toutes façons produites et vendues dans la masse de valeur déjà existante, qui nous permettra de poser les jalons de la voie révolutionnaire, mais bien davantage notre production, que nous pouvons cesser dans le cadre du travail socialement reconnu, généralement salarié, pour faire pression sur les dirigeants de l’entreprise qui nous emploient en raison du manque à gagner que représente une telle grève, ou que nous pouvons fournir bénévolement au mouvement social et révolutionnaire pour créer une valeur militante qui aura un impact dans le réel, par exemple en concevant, en imprimant et en collant sur les panneaux publics une affiche diffusant nos slogans ou appelant à telle manifestation, telle initiative populaire.

Quant au compromis, il est toujours absolument nécessaire de le chercher et, si possible, de le trouver. C’est pourquoi les scores aux élections internes du PCF, depuis les cellules et les sections locales jusqu’au Congrès national, semblent presque toujours l’emporter à une large majorité, provoquant la moquerie des observateurs mal avisés : le vote, en soi, apparaît bien moins important que la discussion qui a abouti à l’élaboration d’un texte, d’un programme, d’un communiqué ou d’un slogan. Chacune et chacun, dans nos rangs, est invité à donner son avis, à exprimer ses enthousiasmes et ses réserves sur les options présentées aux camarades invités à délibérer. Pour les personnes ayant l’expérience de la vie collective d’un groupe associatif, syndical, d’une Assemblée Générale de grévistes ou a fortiori d’un parti politique, il apparaît clairement qu’un vote manifestant une opposition frontale entre deux options nettement divergentes relève d’un échec à ce que les discussions aient abouti à un compromis large. Mais il ne faut pas oublier que l’expérience du collectif est de moins en moins vécue par celles et ceux qui appartiennent aux classes exploitées, et que cette expérience repose le plus souvent sur l’autorité presque naturelle d’un meneur charismatique.

Contrairement aux anarchistes, dont la culture est un peu mieux connue des novices en politique du fait de la récupération bien plus aisée de cet idéal par l’idéologie bourgeoise, qui partage avec lui le culte de l’individualité et un certain mépris pour les travailleurs, et donc de sa diffusion à plus large échelle, l’idéologie communiste, comprise comme un socle de principes et de convictions commun à tous les camarades, estime qu’il ne sert à rien de rechercher l’adrénaline dans les manifestations en allant au contact des forces de l’ordre ou en cassant des vitrines, d’une part parce que c’est alourdir la charge de travail de personnes qui appartiennent à notre classe sociale, d’autre part parce que cela s’avère contre-productif. Au contraire, les manifestations bon enfant où l’on partage une bière et un sandwich merguez, si souvent moquées comme des « manifs à la papa » ou « trop gentilles », sont pour nous la garantie que tout un chacun peut se rendre sans danger, même avec ses enfants, dans les cortèges syndicaux et partisans, ce qui viendra grossir les rangs de ces derniers et créera les conditions d’un développement de nos forces de classe par l’appropriation la plus large possible de nos actions, qui ne sont pas réservées aux seuls initiés.

Pour autant, les militants communistes ne versent ni dans l’angélisme, ni dans le légalisme. Lorsqu’il s’agit d’enfreindre les limites légales ou d’organiser des actions « coup de poing », pour empêcher l’expulsion du territoire d’un travailleur sans-papier ou l’expulsion locative d’une famille qui ne peut plus payer son loyer, les communistes et la force de frappe que représentent leur nombre et leur expérience savent barrer le chemin d’une loi dépourvue d’humanité.

L’idéologie communiste n’est pas binaire, ni manichéenne. Elle se fonde sur la complexité du réel, s’inspire de la symbiose observée dans la nature, se veut plus souple qu’une accumulation de positions de principes auxquels il ne faudrait pas déroger, assez fluide pour être en capacité d’agir et réagir rapidement tout en comptant toujours sur la force du collectif démocratiquement organisé.

Un autre point de désaccord avec les libertaires concerne l’usage d’une hiérarchie en interne de notre organisation. Là où les anarchistes estiment que toute hiérarchie est mauvaise, et que seule compte l’horizontalité absolue au niveau local, ce qui revient de fait à laisser décider pour les autres les plus charismatiques ou les plus « grandes gueules », les communistes s’efforcent à établir une hiérarchie verticale non pour recevoir des ordres du haut, mais en revanche pour élire des représentants et responsables sur des mandats précis fixés par la base militante dans les cellules, les sections, les fédérations et nationalement, les représentants conservant une capacité d’initiative dans le cadre de leurs mandats, et se portant garants de l’unité de l’organisation.

*

**

XVI. Contradictions et dépassements

*

Contrairement à l’extrême-gauche, qu’elle soit d’obédience trotskiste ou libertaire et qui se caractérise historiquement par le refus de la participation aux assemblées bourgeoises, c’est-à-dire aux conseils municipaux, d’agglomération, départementaux, régionaux, à l’Assemblée nationale et au Sénat, les communistes considèrent qu’il est de leur devoir de siéger dans ces conseils à la fois pour y obtenir les informations utiles à la lutte de terrain, à la fois pour y relayer la voix des exploités et des opprimés, parfois, lorsque les rapports de forces sont favorables, pour y nouer des alliances et administrer autant que faire se peut une commune, une collectivité territoriale, jusqu’à un ministère. Si les conquêtes sociales sont le fruit du travail militant sur le territoire, par la mise en dynamique d’un milieu social vers l’obtention de droits nouveaux, il est toujours plus aisé de les concrétiser avec des communistes aux postes-clé qu’avec, face à nous, des responsables conservateurs ou réactionnaires.

Enfin, la lutte contre l’extrême-droite ne souffre d’aucune hésitation chez les communistes. Parce que notre mouvement, notre Parti et nos anciens sont marqués dans leur chair par l’expérience fasciste et l’Occupation nazie, faire barrage par un vote à tout candidat d’extrême-droite, même si c’est une chèvre qui se présente face à lui, même si c’est Emmanuel Macron qui se présente pour la seconde fois face à Marine Le Pen, malgré tout le mal causé par le néolibéralisme et les tentations réactionnaires de la droite conservatrice, le bulletin adverse à l’extrême-droite sera glissé dans l’urne sans fausse pudeur.

Bien sûr, cela expose à une nouvelle contradiction : participer à l’élection d’un ennemi de classe. Mais entre un ennemi de classe et un ennemi de l’humanité, le choix est pour ainsi dire vite résolu. Il sera assumé, même lors des mouvements sociaux où d’un côté les militants d’extrême-gauche, que nous qualifions de gauchistes, nous renvoient à notre vote – comme si laisser, les bras ballants, accéder un dirigeant d’extrême-droite à l’Élysée ou, ne serait-ce que laisser se dessiner un score de 45% de suffrages exprimés en sa faveur, offrait un rapport de forces plus intéressant pour la classe ouvrière – et d’un autre côté, les électeurs lepénistes vociférer qu’ils « espèrent que tous ceux qui manifestent contre Macron n’ont pas voté pour lui ». Comme si l’alpha et l’omega de l’engagement civique se limitait à un bulletin dans une urne tous les cinq ans, alors que nous pourrions tout à fait retourner l’argument en « espérant » que tous ceux qui n’ont pas voté Emmanuel Macron se mettront en grève, ce qui ferait objectivement plier la classe dominante de notre pays en vingt-quatre heures.

L’idéologie communiste, terme assumé comme une doctrine commune ne se limitant pas à un dogmatisme mécanique mais puisant tout au contraire dans les ressources illimitées du socialisme scientifique, est ainsi faite de contradictions. La vraie différence avec les autres idéologies, libertaire, trotskiste, libérale, conservatrice ou nationaliste, ce n’est pas que nos réflexions connaissent des contradictions – mais que nous assumons ces contradictions ! Chose surprenante pour l’extérieur, nous ne voyons pas nos contradictions individuelles et collectives comme une faiblesse, mais comme un reflet de notre humanité et si nous pouvons les dépasser par un état de fait, théorique ou pratique, nouveau résultant de cette opposition entre deux contraires apparents, alors nous saurons apprécier cette petite victoire.

En réalité, puisque la nature a horreur du vide et que toute chose existante trouve son contraire, son inverse ou son antithèse, nous n’avons pas peur des contradictions parce qu’elles nous entourent et sont le carburant même des phénomènes physiques, chimiques, biologiques de notre environnement et de nos propres personnes. Le tout est de trouver l’équilibre permettant le développement des forces révolutionnaires. Logiquement, même s’il y a une part de subjectivité dans ces considérations, certaines contradictions sont mineures quand d’autres deviennent lourdes à porter. Les contradictions majeures doivent être dépassées, et ce dépassement nécessaire mérite d’y mettre toutes nos forces intellectuelles et matérielles.

Ce fut le cas, notamment, de l’opposition entre pacifistes et bellicistes à la veille de la Grande Guerre. C’est d’ailleurs, en France et en Allemagne, le vote des crédits de guerre en 1914 qui a conduit au schisme entre communistes et socialistes, ces derniers ayant soutenu l’Union sacrée pour leurs nations respectives dans la guerre impérialiste qui opposait les puissances coloniales d’Europe. Les communistes, farouchement attachés à la paix entre les peuples et opposés au conflit impérialiste, avaient pour habitude de diffuser le slogan « Guerre à la guerre ! » pour marquer leur refus de l’engrenage meurtrier préalable à la Première Guerre mondiale. Quand celle-ci a éclaté, les communistes se sont réunis en délégations de diverses nations à Zimmerwald, en septembre 1915, où Lénine propose la résolution consistant à « Transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs, en une guerre pour l’expropriation de la classe des capitalistes, pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, pour la réalisation du socialisme ».

Ce dépassement de deux contraires – la guerre impérialiste d’un côté, le pacifisme de l’autre – qui n’étaient pas mis sur le même plan par les communistes, mais dont l’opposition simpliste ne permettait pas de trouver une issue pour les masses laborieuses enrôlées de force dans la guerre, est un exemple parmi d’autres. Bien plus près de nous, au début des années 2010 en France, Jean-Luc Mélenchon – alors candidat des communistes et n’ayant pas encore fondé la France insoumise – réussit le tour de force de résoudre le dépassement de la contradiction entre l’écologie politique et l’économie administrée communiste par la formule de la « planification écologique », faisant coup double : d’une part il dépoussière le principe alors archaïque des plans pluriannuels de production nationale, d’autre part il donne à l’écologie politique la clé pour s’émanciper du marché capitaliste, sur lequel ce courant de la gauche comptait un peu trop naïvement pour mettre en place les grandes transformations nécessaires à la « bifurcation ». La qualité de cette résolution d’une contradiction ancienne a été reconnue à juste titre, et sans surprise, récupérée par nos adversaires politiques, Emmanuel Macron reprenant à son compte, dix ans plus tard, la « planification écologique » dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2022.

Bien d’autres contradictions majeures freinent l’expression révolutionnaire tant qu’elles semblent irrésolues, voire irrésolubles. Expression directe de l’affrontement entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen aux seconds tours des deux dernières élections présidentielles françaises, l’opposition entre le néolibéralisme et le nationalisme se voit amplement mise en scène par la bourgeoisie et son arsenal médiatique, car cette dernière sait qu’elle en sortira forcément gagnante quelle que soit l’issue du scrutin. Ici, l’émancipation individuelle, le cosmopolitisme capitaliste, l’adhésion zélée à l’Union Européenne (UE) et le démantèlement libéral de nos services publics au profit du marché privé se trouvent opposés à un « bloc national » soi-disant défenseur des valeurs de la France, incarnation de l’autorité des parents, des professeurs et des fonctionnaires en uniformes, garantie de la sécurité physique des « bons Français » face à la recrudescence des trafics illégaux, de la délinquance, du crime et du terrorisme qu’il entend lier systématiquement aux questions de nationalité, de religion voire d’ethnie, et l’exaltation de la France forte et glorieuse d’un passé révolu avec lequel il prétend renouer. Chez des travailleurs qui voient un parallèle entre leur propre « déclassement » social – en réalité un simple appauvrissement, nous avons vu que la classe moyenne était un mythe – et le déclassement de la France dans le concert des nations, le discours nationaliste est particulièrement porteur chez ces exploités orphelins d’une conscience de classe et qui trouvent dans le sentiment d’appartenance à la nationalité française, qu’il s’agit de défendre car elle est « attaquée dans ses valeurs », un collectif, une cause commune.

Les communistes proposent de longue date le dépassement de cette contradiction, qui existe en réalité depuis le XIXème siècle, entre fervents nationalistes aux relents chauvins et bonapartistes d’une part et promoteurs du libéralisme économique, du recours au marché privé lucratif pour subvenir à tous les besoins sociaux de la population, de l’individualisme comme idéologie centrale où chacun est courtoisement invité à s’en sortir « par lui-même » égoïstement, d’autre part. Ces apparents contraires s’inscrivent tous deux dans la défense des intérêts capitalistes, entre repli autour d’une identité nationale collective mais xénophobe, divisant les travailleurs entre leurs nationalités, leurs statuts et leurs conditions pour mieux faire triompher le capitalisme par le respect du patron et des forces policières garantes de l’ordre établi bourgeois, et inscription dans la mondialisation néolibérale, dans la financiarisation de l’économie et « l’américanisation » de notre culture, dont les récits prétendument anti-conformistes hissent l’individualisme en vertu cardinale. Ce dépassement consiste en la solidarité de classe entre toutes les travailleuses et tous les travailleurs, quelle que soient leurs nationalités, leurs statuts, leurs cultures, parce qu’également confrontés aux mêmes phénomènes d’exploitation, d’aliénation et d’exclusion, aux mêmes périls de la misère et de la guerre, aux mêmes ennemis de classe, non le bénéficiaire des allocations sociales ni l’étranger venu trouver l’exil en France au terme d’un périple redoutable, que l’on croise dans les transports en commun, mais le milliardaire qui ne sort de chez lui qu’en berline avec chauffeur, qui ne crée aucune richesse ni par sa tête ni par ses mains et qui se rend coupable des catastrophes économiques, sociales, écologiques de notre temps.

*

**

XVII. Les trois facteurs de l’engagement

*

Dans l’opposition entre la classe capitaliste et la classe ouvrière, c’est le rapport entre les forces en présence qui déterminera l’issue victorieuse d’un camp. Il ne faut s’attendre ni à une spontanéité révolutionnaire, ni à un dénouement rapide ; la victoire finale des exploités ne pourra être que l’aboutissement d’une série de victoires intermédiaires.

Nous nous trouvons actuellement presque le dos au mur. Les attaques de la bourgeoisie capitaliste et de ses avatars politiques parviennent, peu à peu, à démanteler les principales conquêtes ouvrières du XXème siècle et les services publics dont la proximité des infrastructures est la seule garantie de rendre effectif le droit aux soins de qualité, à l’éducation, à la justice ou à la culture.

Seul le travail militant, pris sur les heures de temps libre des membres de la classe ouvrière, ne se limitant pas à quelques salariés bénéficiant de décharges syndicales ni à quelques permanents (salariés) des structures partisanes et associatives, fera triompher les intérêts des masses exploitées. Pour créer les conditions de l’engagement, jusqu’à ce qu’un travailleur passe enfin le pas des Bourses du Travail ou des locaux fédéraux du PCF, trois facteurs s’avèrent déterminants.

Premièrement, la conscience de classe est absolument nécessaire. Elle peut ne pas prendre ce nom-là, mais il s’agit toujours d’un sentiment d’appartenance aux démunis, aux privés de droits, à celles et ceux à qui sont déniées la valeur humaine et la légitime reconnaissance des efforts produits pour la communauté. Elle peut venir d’une lecture, d’un cheminement intellectuel, mais elle n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle provient de l’expérience du travail, de la connaissance de ce que signifie être exploité, de l’observation que les heures de travail sont un temps contraint d’aliénation, où l’on n’est plus soi-même, qui abîme physiquement et mentalement. Généralement, la prise de conscience de classe exploitée intervient en même temps qu’est constatée l’existence d’une classe exploiteuse, qui se gave sur le dos de nos efforts par l’aspiration de la valeur ajoutée produite, destinée à grossir la liasse de billets d’un membre de la bourgeoisie. Il y a « eux » et « nous ». L’ennemi commun fait partie des meilleurs liens sociaux, de ceux qui soudent un collectif d’individus contre un autre. Cela se vérifie dans le sport, dans le nationalisme xénophobe de l’extrême-droite, et aussi dans la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière majoritaire contre la fraction de pillards cherchant à la rabaisser, la détruire en tant que classe.

C’est justement parce que la classe ouvrière a disparu des concepts employés, jusque dans les rangs d’un certain nombre de communistes eux-mêmes, qu’il semble si difficile de susciter à nouveau la conviction d’y appartenir. Les plus timorés lui préfèrent les termes de « défavorisés », de « classes populaires » ou de « classe moyenne basse », ce qui vide de sa substance révolutionnaire le concept d’une classe qui, par définition, œuvre à la richesse nationale et mondiale et peut donc légitimement aspirer à devenir maîtresse de l’économie nationale et mondiale, reprenant le pouvoir sur une poignée d’exploiteurs.

Le deuxième facteur déterminant dans l’engagement révolutionnaire est la conviction que nous avons des intérêts communs à notre classe sociale et que le meilleur moyen de les défendre est de nous organiser collectivement. Oubliez les belles histoires sur les causes désintéressées : si un travailleur milite pour défendre ses collègues, ses voisins ou ses camarades, c’est aussi parce que c’est dans son intérêt propre. Chacune et chacun d’entre nous voit ses intérêts particuliers se conjuguer à ces intérêts communs. Un collectif est plus fort à cent individus qu’à dix ; chacune de ces personnes sera plus forte, individuellement, si elle appartient à un collectif de cent plutôt qu’à un collectif de dix. Cela se confirme dans le syndicalisme particulièrement, mais c’est tout aussi vrai dans l’engagement partisan révolutionnaire.

Chaque membre de la classe ouvrière a des intérêts propres : manger correctement, se reposer suffisamment, faire face aux aléas de la vie et prendre soin de sa famille. Chaque membre de la classe ouvrière a tout à gagner à prendre conscience qu’en s’organisant collectivement, non seulement il prendra part au commun combat pour l’émancipation de tous les travailleurs et la libération des griffes capitalistes, mais il sera aussi mieux préparé à affronter les accidents de l’existence. Certes, l’implication dans la lutte se fait souvent au détriment d’une alimentation équilibrée, d’un sommeil réparateur et de la vie amicale ou familiale. Il est d’ailleurs important, à ce propos, que chacun conserve des liens amicaux et familiaux en-dehors de l’engagement : les camarades sont plus que des connaissances, mais pas nécessairement des amis, et il faut éviter de tomber dans la confusion des genres. Mais l’engagement révolutionnaire est aussi un formidable moyen d’apprendre l’histoire populaire de l’humanité, de comprendre les enjeux d’actualité et la manière dont ils sont traités médiatiquement, de connaître les dirigeants politiques et les coups fourrés qu’ils nous préparent, de savoir dans quelle situation financière se trouve notre propre entreprise et ce à quoi il faut s’attendre. Militer, c’est pouvoir mieux appréhender sa vie toute entière, ne pas subir mais agir en citoyen épanoui, d’autant que le mouvement communiste propose à la fois l’engagement politique et révolutionnaire, sans compromission mais avec un apprentissage approfondi des différentes situations à laquelle peuvent être confrontés les exploités et les opprimés, ainsi que de la vie en collectif démocratique pour rendre plus fortes et notre équipe militante, et chaque personne de l’équipe.

Le troisième et dernier facteur déterminant dans la participation à la lutte révolutionnaire est la conviction que celle-ci finira par être victorieuse. Si tous les combats menés étaient perdus d’avance, ce que peut suggérer l’histoire récente du mouvement social français, il vaudrait mieux enlever les gants et sortir du ring sans plus attendre. Il faut non seulement partager et se laisser gagner par la certitude que nous finirons par vaincre la bourgeoisie, pour nous extraire collectivement de la condition d’exploités et atteindre la condition d’acteurs majeurs des développements politiques et économiques de la civilisation humaine, et aussi être convaincu que nous connaîtrons de notre vivant des victoires intermédiaires importantes, en particulier pour faire échec à des plans gouvernementaux visant à l’anéantissement de nos droits sociaux, ou pour aller chercher des droits nouveaux rendus nécessaires et possibles par le développement des forces productives et l’accroissement des besoins sociaux.

Si nous ne sommes pas, nous-mêmes en tant que militants révolutionnaires, convaincus que ce à quoi nous travaillons s’avérera décisif pour l’avenir de notre nation et de l’humanité entière, alors nos réunions et nos initiatives se transformeront en bureaux des plaintes et des lamentations. Même après avoir reçu un coup sur la tête suite à un échec social, à une défaite de notre camp, par exemple sur l’application de la réforme des retraites vers le report de l’âge légal à 64 ans dès l’automne 2023, il nous faut faire preuve d’enthousiasme, nous féliciter d’avoir su mener une lutte aussi longue et puissante, mesurer le chemin parcouru et le développement des forces du prolétariat permis par une telle expérience, garder la tête haute et confiance en la suite des événements. La bourgeoisie gagne des batailles mais nous remporterons la guerre, pour la simple et bonne raison qu’elle ne peut pas vivre sans cette guerre de classe et sans la perfusion de la plus-value sur la valeur ajoutée que nous produisons, tandis que notre victoire mettra un terme définitif et historique à la guerre entre les classes.

*

Retrouvez la table des matières

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *