Le Capital communiste 7/10 – Le poison du sectarisme

Le Capital communiste est une brochure écrite en juin 2023 par Benoit Delrue, journaliste et directeur de publication d’Infoscope.
Un an plus tard, à l’heure où le pays plonge dans la mécanique nationaliste, nous interrogeons les faillites de la gauche de transformation sociale, politique et révolutionnaire. Ce présent ouvrage, publié sur notre site en une série d’articles, y contribue.

Cette deuxième des dix parties du document, que nous publions en exclusivité et en accès libre, en intégralité du lundi 1er au vendredi 5 juillet 2024, comporte le Chapitre 18 : Travail militant et valeur révolutionnaire, le Chapitre 19 : Le poison du sectarisme et le Chapitre 20 : Transformer le capital communiste.

Retrouvez la table des matières

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XVIII. Travail militant et valeur révolutionnaire

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L’engagement révolutionnaire de la classe ouvrière est ce qui fera basculer le déroulement de l’histoire humaine vers la société de justice, de paix et d’harmonie à laquelle la plupart des femmes et des hommes aspirent. Le chemin est long et il est pratiquement certain que nous n’en verrons pas le bout de notre vivant ; pour autant, chaque génération de militants a sa part de responsabilité dans l’apport révolutionnaire à la victoire finale, comme autant de maillons d’une longue chaîne chronologique qui aboutira immanquablement au triomphe de l’humanisme – dans le cas contraire, c’est à sa propre extinction que sera confrontée l’humanité.

Nous pouvons et devons apprendre des enseignements du passé. De la même manière que l’Ancien régime comportait les ferments du capitalisme par l’accumulation inouïe des richesses entre les mains de la bourgeoisie, aboutissant à l’anéantissement des pouvoirs de la noblesse, la société française et mondiale actuelle inclut un certain nombre d’éléments révolutionnaires divers et variés, depuis la Sécurité sociale jusqu’aux logiciels libres, en passant par l’expérience agglomérée de siècles de lutte pour l’émancipation du prolétariat.

Ces ferments révolutionnaires déjà présents dans notre société, traduits autant en droits institutionnalisés qu’en phénomènes à la marge des marchés et de l’État, peuvent être utilisés à bon escient comme exemples à suivre et efforts à poursuivre vers la coopération, le partage et la solidarité entre exploités et producteurs de toutes conditions. Dans le régime capitaliste comme dans la lutte communiste, il n’y a pas un, mais deux nerfs de la guerre.

Le premier, le plus connu, est l’argent. Le financement de notre activité ne dépend que de notre propre travail militant, nous ne pouvons et nous ne devons pas compter sur l’argent public et l’attribution de subventions étatiques pour développer notre activité. Or, le travail militant, comme le travail social, est générateur de valeur. Il existe justement une profonde différence entre le marché capitaliste et le produit du travail militant : quand le premier mise essentiellement sur la valeur d’échange de la marchandise, l’essentiel de la richesse du second se manifeste dans sa valeur d’usage. Fabriquer une banderole, une bannière, un drapeau, une pancarte ou une affiche demandera un certain temps de travail militant, mais l’apport effectif de ce travail se jugera non à l’aune de la valeur monétaire du produit militant, mais à celle de sa valeur d’usage, en l’occurrence, faire passer un message auprès d’un certain milieu, dans un espace et un temps donnés, pour convaincre peut-être une personne sur cent, une personne sur cinq cents qui ont vu ce message de franchir le seuil du local militant et rejoindre le combat.

Le deuxième nerf de la guerre, moins connu – et pour cause – réside dans l’information. Cela peut sembler anecdotique à l’heure où la Révolution numérique a accru de manière exponentielle les échanges et les communications, mais c’est justement dans ce flot ininterrompu de contenus publiés qu’il s’agit de prendre les bons renseignements et de hiérarchiser les données afin de les rendre utiles. Cela se vérifie chez les investisseurs sur les marchés financiers, où les bons placements dépendent d’une intuition en réalité basée sur la connaissance des annonces et des mouvements qui seront opérés par les principaux acteurs économiques ; cela se confirme au sein de la classe ouvrière, qu’elle soit étudiante, salariée, privée d’emploi ou retraitée, car dans la lutte sociale les militants peuvent et doivent constamment informer leurs milieux, leurs collègues, leurs camarades des derniers déroulements économiques et politiques, pour mieux préparer la contre-attaque populaire.

Disposer du financement, développé par nos moyens propres que sont les cotisations, les reversements d’indemnités de nos élus et l’animation d’initiatives populaires, déterminant pour l’acquisition de tissus et de peintures, ou pour l’accès à des moyens d’impression conséquents, s’avère nécessaire si nous voulons produire une banderole. Disposer des bonnes informations sur ce que nous préparent nos ennemis de classe, ce qui dominera l’actualité et ce sur quoi il faudra nous battre en priorité, nous indiquera ce qu’il faut écrire sur notre banderole. Nous ne pouvons pas nous contenter de slogans publicitaires répétés à l’envi pour transmettre la conscience et la combativité révolutionnaires ; si quelques mots peuvent être accrocheurs, c’est pour que puisse se produire un temps de dialogue, de discussion avec des personnes non-militantes mais curieuses et intéressées par le message mis en avant.

De même que l’économie nationale et mondiale repose sur une division scientifique du travail, le travail militant pour l’élaboration d’une campagne donnée ne peut pas être intégralement effectué par le même individu, d’une part parce que cela lui prendrait un temps phénoménal, d’autre part parce que le résultat, que nous pourrons juger par sa valeur d’usage et le renforcement objectif des forces émancipatrices, risque de ne pas être à la hauteur des efforts fournis. C’est pourquoi certains militants se spécialisent dans la rédaction de textes longs, d’autres dans la création de slogans, certains dans l’élaboration graphique de visuels, de tracts et d’affiches, d’autres étant plus à l’aise et plus efficaces pour partager sur les réseaux sociaux ces visuels, procéder à l’impression des flyers (tracts en petit format) et des affiches ou procéder à la distribution et au collage de ces moyens de communication publique.

Cette division du travail révolutionnaire ne peut être poussée à son maximum, comme l’ont fait les capitalistes dans des usines où un ouvrier ne fera qu’un ou deux gestes sur le produit manufacturé qui passe sur la chaîne. Il est de l’intérêt de chaque militant comme du mouvement tout entier que toute personne engagée dans la lutte puisse sereinement exprimer son opinion lors d’une réunion interne, apprendre à intervenir dans une réunion publique telle qu’une Assemblée Générale ou un meeting militant, repérer les erreurs de maquettage ou d’orthographe qui se nichent dans un tract ou un visuel destiné à être diffusé, chanter au mégaphone pour motiver les troupes réunies au sein d’un cortège de manifestation ou encore savoir tirer les enseignements individuellement et collectivement d’une séquence de lutte quand celle-ci se clôt.

Le travail militant conservera toujours un côté artisanal et authentique tout en étant contraint de se perfectionner avec l’arrivée de nouvelles exigences, par exemple en produisant des vidéos de qualité et suffisamment accrocheuses pour être regardées et partagées un grand nombre de fois. Un juste équilibre existe pour que chaque militante, chaque militant puisse participer à chaque étape de l’élaboration d’un matériel et d’une campagne et se spécialiser dans une tâche particulière qui lui semble abordable et réalisable.

Si nous recourons à des logiciels de type tableur pour créer et mettre à jour nos listes d’adhérents, de sympathisants et de contacts, ce que nous appelons traditionnellement le fichier, les militants ne considéreront jamais leurs camarades ni les personnes qu’ils croiseront comme de simples matricules. De la même manière, la valeur révolutionnaire correspondant à la valeur d’usage contenue dans le produit d’un travail militant ne pourra jamais être exactement chiffrée quantitativement. C’est en faisant, en travaillant bénévolement, en ne comptant pas leurs heures tout en se réservant des temps de repos et de vie privée que les personnes impliquées pour la cause révolutionnaire pourront éprouver l’efficacité de tel message, de telle initiative et de telle campagne.

Parce que la quantité de travail révolutionnaire, au service du renversement de la grande bourgeoisie et de la rupture des chaînes qui soumettent l’humanité au diktat du capital, n’égalera jamais la quantité de travail déployé pour maintenir l’ordre établi et permettre à la classe capitaliste de s’arrimer à sa domination, à l’exception de séquences de révolte extrêmement profonde voire pré-révolutionnaire, il est du devoir des communistes de prendre soin de la force de travail militante et surtout, de la rentabiliser par une production de valeur ajoutée, de valeur d’usage révolutionnaire, la plus haute possible sur chaque heure consacrée à la cause.

Notre temps n’est pas illimité et nos efforts sont précieux pour développer les forces des exploités, car personne d’autre ne s’y attellera. C’est pourquoi le travail militant doit être le plus possible reconnu et valorisé, non pas par la classe dominante – c’est un écueil qui conduirait inévitablement à la compromission de nos objectifs – mais par nos camarades de lutte, et par le milieu dans lequel nous évoluons, qu’il s’agisse d’un quartier, d’une université ou d’une entreprise.

Les trois facteurs que nous avons vus dans le chapitre précédent, à savoir la conscience de classe, l’action collective et la conviction que nous vaincrons, doivent agir en boussole pour notre communication et notre travail militant. Si notre activité révolutionnaire dépend de l’argent, son aboutissement final relève de l’information militante, coïncide avec le partage de nos convictions au sein d’un espace et dans une séquence donnés. Les Fêtes de l’Humanité, nationale ou départementales, comme l’immense majorité de nos actions et initiatives, ont d’abord pour but d’échanger entre militants et plus encore de convaincre les non-militants. Il nous faut, pour cela, employer tous les outils de communication pour propager nos idées et appuyer l’invitation à rejoindre la bataille, afin justement que de plus en plus d’exploités et d’opprimés s’approprient le travail militant de demain.

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XIX. Le poison du sectarisme

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S’il est un piège dans lequel nous pourrions tomber, dans notre sociabilité militante, dans nos rapports entre camarades, courants et organisations se réclamant du mouvement ouvrier et plus généralement dans nos relations sociales, et que nous devons à tout prix éviter, c’est celui du sectarisme.

Le mouvement communiste n’est pas une religion, et encore moins une secte. Il ne suit pas des préceptes à la lettre parce qu’ils auraient été écrits dans des textes sacrés, mais il prend en compte les enseignements du passé pour ne pas produire deux fois la même erreur, sous peine de commettre une faute. Il ne se renferme pas sur lui-même mais a, au contraire, vocation à s’ouvrir sur l’ensemble de son milieu, l’ensemble de sa classe sociale, l’ensemble de la société pour donner à voir son empathie, sa sympathie, son humanité malgré des convictions et des programmes que d’aucuns jugeront radicaux.

S’il n’est ni aisé, ni naturel d’aller se présenter devant des personnes étrangères au mouvement social, a fortiori au mouvement révolutionnaire, pour présenter nos travaux, nos analyses, nos réflexions et entamer le dialogue, c’est pourtant un effort auquel nous devons consentir car ce ne sont pas ces mêmes personnes, non familières de la discussion politique, qui viendront spontanément converser avec nous. L’ancrage dans un milieu donné, la reconnaissance par nos collègues, notre famille, nos amis de notre qualité de militants, peut permettre que lorsqu’un problème déterminé se présente à notre entourage, ce dernier se tourne vers nous pour connaître notre avis et, au besoin, solliciter notre aide. Auquel cas, la résolution du problème ou du moins l’accompagnement de la personne en difficulté doivent figurer en tête de nos priorités militantes, car c’est dans une situation complexe d’adversité que nous pouvons, aux yeux de notre environnement social, prouver notre valeur et démontrer toute l’utilité et l’importance d’avoir rejoint, un moment donné dans notre vie, le combat révolutionnaire.

Bien entendu, les militants de différentes organisations s’affublent entre eux de noms d’oiseaux. Aux yeux des communistes, les anarchistes et les trotskistes sont des gauchistes, les socialistes sont des soc-dem (sociaux-démocrates), certains dirigeants syndicaux ou politiques se réclamant de la gauche mais définitivement trop timorés dans leurs prises de position peuvent être nommés sociaux-traîtres. C’est de bonne guerre, car aux yeux de l’ensemble du mouvement social hors communistes, les militants du PCF sont des stal (staliniens), enfermés dans des considérations passéistes et aux contradictions trop nombreuses pour être résolues.

Tourner en dérision nos contradicteurs et détracteurs, même en public, n’est pas un signe de sectarisme. Par contre, refuser d’emblée de nous unir dans un combat commun ou de nous rallier à une initiative au seul prétexte qu’y seraient présentes des forces politiques adverses, relève du non-sens. Chaque initiative est un cas particulier et concret à analyser objectivement pour considérer s’il est utile, judicieux et profitable de nous y joindre.

Il en est ainsi des mobilisations syndicales ou populaires, tout comme des campagnes politiques de terrain ou encore des alliances électorales nouées à l’approche d’une échéance de ce type. Il n’est pas dans l’ADN (l’identité génétique, si l’on peut dire) des communistes de refuser d’emblée le travail commun avec une force ou un représentant sous prétexte qu’il serait trop à droite ou trop à gauche. Évidemment, aucun travail ni initiative commune avec l’extrême-droite et ses dirigeants n’est envisageable, il s’agit là d’une ligne rouge qui nous compromettrait définitivement ; il est question bien sûr ici des forces politiques, les simples électeurs lepénistes souhaitant participer à nos manifestations ne seront pas refoulés par un quelconque service d’ordre, mais s’ils viennent à partager des préjugés xénophobes ou participant d’une quelconque manière à la division de la classe ouvrière, une discussion sera entamée par un camarade consciencieux pour tenter de faire tomber ces préjugés dans la tête de l’électeur.

La frontière entre compromis utile à la classe ouvrière et compromission utile à la classe capitaliste est parfois floue, voire poreuse. La participation des ministres communistes au gouvernement de « gauche plurielle » de Lionel Jospin, entre 1997 et 2002, qui permit d’un côté le passage aux 35 heures hebdomadaires pour la plupart des salariés et le travail remarquable de Marie-George Buffet au ministère de la Jeunesse et des Sports, de l’autre une privatisation massive des entreprises publiques comme la Cinquième République n’en avait jamais connu en un seul mandat législatif, est à la fois discutable et discuté par les communistes. C’est d’ailleurs la critique de cette expérience qui aboutit, au début des années 2010, au renversement d’alliance avec le Front de Gauche, à partir duquel le Parti Socialiste (PS) n’était plus le partenaire forcément privilégié lors des élections intermédiaires, et qui conduisit à ce qu’il n’y a pratiquement eu aucun débat entre communistes sur la participation ou non au gouvernement de François Hollande après l’élection présidentielle de ce dernier en mai 2012.

Capable de travailler localement avec la quasi-totalité des forces politiques, et pleinement inscrit dans l’alliance électorale de la NUPES lors des élections législatives de 2022, le PCF ne s’interroge pas moins sur l’opportunité d’adapter ses alliances, ou de prendre des initiatives seul, en fonction de la composition politique, des forces en présence et du rapport de force sous-jacent entre capitalistes et travailleurs. Néanmoins, parmi ses dizaines de milliers de militants, un certain nombre peuvent être tentés par le fonctionnement en vase clos, garantissant de ne pas sortir de leur zone de confort, nourrissant parfois jusqu’à une haine viscérale – et pas toujours imméritée – vis-à-vis de certaines forces politiques concurrentes ou de certains de leurs représentants.

L’expérience réussie d’une intersyndicale soudée en 2023 lors de la lutte contre la réforme des retraites, même si la mobilisation populaire n’a pas abouti au retrait de la loi, a envoyé un message fort à la classe ouvrière : ses représentants sont dignes d’elle. Nous pouvons nous en inspirer pour travailler, lorsque le jeu en vaut la chandelle, avec un panel de forces associatives et partisanes élargi si cela permet de développer les forces inhérentes au mouvement révolutionnaire.

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XX. Transformer le capital communiste

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La présente brochure donne un abrégé de l’idéologie communiste, de la façon dont nous analysons et appréhendons le monde et la société humaine sous le prisme du socialisme scientifique. Ce qui doit être un patrimoine révolutionnaire approprié par l’ensemble de la classe ouvrière en mesure de consacrer du temps de réflexion et d’action à la cause commune, s’avère trop souvent un capital culturel qui peut sembler, vu de l’extérieur, jalousement gardé par quelques érudits, quelques experts en histoire révolutionnaire qui n’accepteraient de dialoguer et de partager leurs réflexions qu’avec des interlocuteurs avertis.

Il est de notre devoir de partager nos connaissances, nos savoir-faire, nos chants et les enseignements tirés de nos propres expériences avec le quidam moyen, la personne lambda – tels que peuvent les appeler, sans quelque mépris que ce soit, les communistes pour désigner des individus en-dehors du sérail militant. Il nous faut donner à voir au plus grand nombre la pratique révolutionnaire, dans ce qu’elle a de logique, d’humain, de presque naturel dans l’élaboration théorique et l’exécution concrète de nos objectifs sur une séquence et un territoire donnés.

Les communistes n’ont aucun secret à cacher et ne peuvent limiter, à l’heure de la communication instantanée et des réseaux sociaux, leurs débats aux seuls cadres internes. « Liberté totale des débats à l’intérieur du Parti, unité totale d’action des communistes à l’extérieur », peut-on souvent entendre chez les camarades sur leur ligne de conduite ; si certains débats à bâtons rompus n’ont pas vocation à sortir des réunions de sections, des assemblées fédérales ou des Congrès du PCF, il n’est pas inutile de montrer au public, et nous entendons par là l’ensemble de la classe ouvrière qui a intérêt à rejoindre nos rangs, un aperçu de nos points de désaccord et de nos points de convergence forte.

Nous ne pouvons que trop souvent entendre, de la bouche de nos collègues ou de nos proches, que rejoindre un collectif tel qu’un syndicat ou un parti politique revient à se priver de la liberté de penser, de parler, d’agir librement. Nous savons que la réalité est absolument inverse : plus nous confrontons notre pensée, nos paroles et nos actions à la contradiction de nos camarades et de notre milieu, plus nous progressons vers la résolution de nos contradictions les plus handicapantes, et plus nous nous libérons objectivement de toutes formes de préjugés et d’idées reçues, plus nous nous prouvons que nous sommes capables de réaliser ce que nous pensions hors de portée hier encore.

Parmi les fondamentaux de la culture communiste, nous retrouvons les principes d’égalité, de justice sociales, de paix universelle entre tous les êtres humains, de libre coopération entre travailleurs, la volonté de créer les infrastructures permettant l’accès effectif de toutes et tous à une éducation de qualité débarrassée des obscurantismes, à des soins, à un logement, à la mobilité, à la culture populaire et métissée, au droit de travailler sans avoir à être ni exploité ni aliéné et d’être reconnu et rémunéré à la hauteur de la valeur ajoutée produite, au droit au repos et aux loisirs, à une vie familiale et amicale pleinement épanouissante. L’émancipation par le travail ne signifie pas que nous devrons tous travailler comme des damnés à l’image d’Alekseï Stakhanov, qui donna son nom au stakhanovisme pour créer une émulation productiviste en URSS, mais bien au contraire de prendre le pouvoir sur notre propre temps d’efforts intellectuels et physiques pour lui donner un maximum de sens, tout en profitant d’horaires de travail largement réduits par le partage des formidables gains de productivité. Ceux-ci continueront à se développer par un progrès technique et scientifique enfin libéré des principes de concurrence, de commercialisation, de compétition qui aujourd’hui le dominent et l’enserrent, et auxquels la classe ouvrière substituera la licence libre, la distribution, la communication, la diffusion et l’échange effectifs des données scientifiques et des moyens techniques pour que l’humanité toute entière progresse, loin des petits calculs égoïstes des profiteurs capitalistes.

Condition sine qua non à l’établissement d’une société fondée sur l’égalité et la justice sociales, l’économie et l’ensemble des forces productives devront être soumises, non plus au diktat du profit à court terme, mais à la libre délibération entre travailleurs concernés et citoyens pour qu’elles soient enfin planifiées, avec des objectifs de production discutés et décidés collectivement. Le droit au logement chauffé l’hiver et frais l’été, à l’alimentation équilibrée, à l’instruction, à l’éducation musicale et culturelle, à la mobilité, aux soins et à la sociabilité physique et humaine ne sont pas négociables. L’espèce humaine produit suffisamment de richesses pour édifier les infrastructures nécessaires à la satisfaction des besoins élémentaires et sociaux de l’ensemble de la population planétaire, et ne plus laisser personne, ni un enfant, ni une femme, ni un homme en situation d’exclusion de ces droits fondamentaux. « De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins », résumait Karl Marx en une formule.

Si les communistes sont généralement désignés comme des sanguinaires voire des génocidaires, la réalité est bien éloignée de la propagande bourgeoise qui en dit, finalement, beaucoup plus sur la fébrilité de la classe dominante à l’idée d’une société communiste que sur notre mouvement lui-même. Inscrit dans la gauche parlementaire, le PCF n’est même pas radical dans ses propositions et ses visées révolutionnaires ; au contraire, ceux qui se parent de l’étiquette de la bienséance et de la modération pour mieux ne pas toucher, ne rien changer à l’ordre établi, ceux-là sont des défenseurs radicaux de la bourgeoisie capitaliste qui, cela mérite d’être rappelé, concentre entre les mains d’une dizaine d’individus la même fortune que se partagent quatre milliards d’êtres humains, c’est-à-dire la moitié de l’humanité.

Pour paraphraser la philosophe française Simone de Beauvoir, on ne naît pas communiste : on le devient. Comme la plupart de nos identités et de nos fonctions humaines, devenir communiste est à la fois l’aboutissement et le départ d’une construction sociale qui est d’ailleurs constamment questionnée, remise en cause, interrogée à mesure que notre vie personnelle évolue, que le panorama politique se décompose et se recompose. Le mouvement communiste n’est pas une secte, en revanche y adhérer transforme la vision que l’on se fait du monde et de sa propre existence. Comme en science, les théories communistes établies sont faites pour être renouvelées, adaptées, dépassées par la confrontation permanente au réel, et partagées, réparties entre toutes celles et tous ceux qui en auront l’utilité.

Dans l’histoire contemporaine de notre pays, jamais la classe ouvrière n’a été aussi forte, notamment de 1945 jusqu’aux années 1970, et s’est faite autant respecter que lorsque le mouvement ouvrier était à son apogée. Quant au mouvement ouvrier, jamais il n’a été aussi fort que lorsque le PCF triomphait dans les urnes, tant aux élections nationales que locales, et sur le terrain, agissant en véritable colonne vertébrale idéologique d’un mouvement social plus ample, plus influent encore dans l’ensemble du prolétariat. Enfin, jamais le PCF n’a été aussi fort que lorsqu’il était à la fois ferme sur ses convictions et visées révolutionnaires et souple sur ses alliances, électorales ou non, avec des forces apparemment adverses mais dont la conclusion momentanée faisait progresser la défense, les intérêts et les droits des travailleuses et des travailleurs.

Bien sûr, cette même période d’Après-Guerre, celle des fameuses Trente Glorieuses en France, était également dominée, au niveau international, par l’opposition entre le modèle capitaliste, incarné par les États-Unis d’Amérique (USA), et le modèle socialiste, mené par l’Union soviétique. L’URSS et la Chine Populaire agissaient surtout, dans les années 1950 et pour une vingtaine d’années, comme un puissant contre-pouvoir à l’hégémonie capitaliste. Les guerres d’indépendance des nations colonisées, qu’elles eurent lieu en Algérie ou au Vietnam, ont également participé à donner sens à l’internationalisme prôné par le mouvement communiste. Néanmoins, le délitement du système soviétique jusqu’à son implosion en 1991 fut accompagné par celui du mouvement ouvrier français, l’échec du contre-modèle aux USA étant difficile à digérer pour les communistes de notre pays et de notre continent.

La classe ouvrière est aujourd’hui orpheline autant d’une solidarité populaire forte en son sein que d’une véritable conscience de classe, ne trouvant que bien peu de sens à revendiquer sa fierté d’appartenir aux concepts fourre-tout que sont les « classes populaires » ou les « classes moyennes ». Il en faut pourtant peu pour que l’étincelle révolutionnaire puisse mettre le feu aux poudres de la contestation sociale, comme nous avons pu nous en rendre compte avec le mouvement des Gilets Jaunes puis celui, intersyndical, contre la retraite à 64 ans.

Il appartient à nous toutes et tous de saisir ces occasions où les questions dites sociales, qui concernent en réalité l’économie des travailleurs, reviennent sur le devant de la scène, pour développer la conscience de classe et la combativité des masses laborieuses. Parmi elles, tant ont manifesté en 2018 sur les ronds-points ou en 2023 dans les villes périurbaines pour la première fois de leurs vies ! Cela marque à la fois un retour de la question de l’opposition de classe et un refus des deux options politiques présentées aux travailleurs que sont le néolibéralisme et le nationalisme.

Par le maillage associatif et syndical dans notre pays, les moyens de s’engager au quotidien, dans des temps plus combatifs ou des séquences plus festives, ne manquent pas. Chacun d’entre nous a dans son entourage des personnes en questionnement, en proie à certaines interrogations sur leurs propres vies ou les moyens par lesquels nous pourrions éviter la grande catastrophe écologique à laquelle est exposée l’humanité du fait d’un système fou dirigé par des capitalistes qui vivent déjà sur une autre planète.

Le mouvement communiste, ses théories issues d’un socialisme scientifique en constante adaptation et ses pratiques révolutionnaires n’apportent pas des réponses toutes faites, ni faciles à entendre. Surtout, lorsqu’ils apportent une réponse, elle s’avère souvent complexe même lorsque la question initiale était simple. Mais il n’y aurait pire scénario que celui de l’autocensure face aux périls que nous courons, de la retenue face à n’importe quelle injustice constatée, de la tentative démagogique de plier l’exigence intellectuelle de notre mouvement au niveau où l’idéologie dominante tente d’abaisser les préoccupations de la classe ouvrière. Ne laissons pas notre patrimoine commun devenir un capital froid, grossissant sans but par quelque expérience ou quelque littérature sans articulation entre elles, ayant perdu sa fougue révolutionnaire, neutralisant son actualité et liquidant son avenir.

Nous pouvons avoir confiance en notre intelligence collective, non pas seulement entre communistes ou entre militants, mais entre prolétaires. Nous savons ce qu’est une vie abîmée par le travail, certains d’entre nous savent ce qu’est une vie abîmée par l’exil, d’autres savent ce qu’est une vie abîmée par la perte d’un être cher, la moitié d’entre nous sait ce qu’est une vie abîmée par le patriarcat.

Nous n’avons pas vocation à nous lamenter ni à nous enfermer dans la condition objective de victimes du système. Nous avons vocation à prendre le pouvoir, et avec nous, l’ensemble des masses exploitées qui forment la grande majorité sociale de notre nation et de notre espèce vivante.

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