Les maux et les morts en bleu et rouge

Depuis la pandémie de coronavirus, en 2020, les hôpitaux de France tentent toujours de panser leurs plaies. En effet, ces derniers sont en tension. En passant par le manque cruel de lits et de personnel soignant jusqu’à la dette salée : le constat alarmant.    

           

Hémorragie financière

Le 10 février 2025 restera une date clé pour le système hospitalier français. Alors que l’Assemblée nationale rejette une troisième motion de censure contre le gouvernement Bayrou, le déficit de la Sécurité sociale, serait, selon le gouvernement, de 22 milliards d’euros, en 2025

Pour donner un ordre d’idée, ce dernier équivaut au budget annuel cumulé des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) de Lyon, Marseille et Lille réunis. Malgré le milliard d’euros supplémentaire annoncé par ce même gouvernement, les directeurs d’hôpitaux tirent la sonnette d’alarme : depuis 2013, 43 000 lits ont été supprimés, dont 1 200 en psychiatrie en 2024. Les délais d’attente aux urgences ont augmenté de plus de 35 % dans 68 % des CHU, tandis que le taux de recours au SAMU (Service d’aide médicale urgente) a bondi de 19 % à 33 % dans certains départements depuis 2014. Paradoxalement, un patient sur trois renonce à des soins essentiels, alors même que les passages aux urgences ont chuté de 17 % en 2024.1

Le symbole le plus frappant de cette crise financière dans les hôpitaux est sans doute l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui cambre sous un déficit de près de 460 millions d’euros en 2024, malgré une hausse de 5 % de l’activité aux urgences à Paris. Nicolas Revel, directeur général du service, alerte : “La compensation étatique des mesures salariales post-Covid-19 reste sous-évaluée de 20 %, et l’inflation n’est couverte qu’à 30 %”.

Face à l’urgence, la Loi Jomier a été proposée fin décembre, votée et promulguée en janvier, puis instaurée en février 2025. Cette loi vise à garantir un nombre minimal de soignants par patient dans les hôpitaux, afin d’assurer une prise en charge de qualité des malades tout en améliorant les conditions de travail du personnel. Il s’agit d’une première réponse concrète proposée par le gouvernement à la crise des effectifs.

Parallèlement à cette loi, le gouvernement met en place plusieurs mesures complémentaires :

  • Un plan psychiatrie de 200 millions d’euros, dédié à la compréhension, au diagnostic, à la prévention et au traitement des maladies mentales.
  • 50 centres de chirurgie lourde régionaux.
  • Un investissement de 4 milliards d’euros sur 5 ans pour l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.

Mais les syndicats, comme la Confédération Générale du Travail (CGT) Santé, dénoncent l’insuffisance de ces mesures et appellent à une grève nationale des urgentistes le 15 mars 2024, première mobilisation d’ampleur depuis la crise du Covid-19 en 2020. 

L’urgence de la situation

Alors que le temps médian d’accès aux hôpitaux est estimé à 23 minutes dans les Pays de la Loire, il n’est que de 18 minutes en Hauts-de-France, soit un écart de 5 minutes. Une différence qui en dit long sur l’attractivité contrastée des hôpitaux en France

L’hôpital public français souffre du vieillissement de ses structures et de dysfonctionnements chroniques. Le secteur public hospitalier et médico-social compte près de 1,2 millions de professionnels selon les données de l’INSEE en 2022. Et selon cette même source, il est à noter qu’ “au 1er janvier 2019, le répertoire Adéli (Automatisation des listes) recense 722 600 infirmiers en activité en France.” 

C’est la première profession de santé en termes d’effectifs, devant celle des médecins. Cette profession est largement féminisée : près de neuf infirmiers sur dix sont des femmes soit 87% (en comparaison, les femmes représentent 81% du personnels hospitaliers dans le Maine-et-Loire au 31 décembre 2021.

Les infirmiers, comme les ergothérapeutes, ou encore les psychomotriciens, exercent essentiellement leur profession en tant que salarié, dans les hôpitaux ou dans d’autres structures de santé (Samu/Smur, centres de santé, clinique etc…),(respectivement 82 %, 87 % et 76 %).

En 2022, un agent de la Fonction Publique Hospitalière (FPH) perçoit en moyenne 2 734 euros net par mois en équivalent temps plein, selon la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, NDR); cette moyenne prend en compte tous les salariés des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics de la FPH, qu’ils soient fonctionnaires, contractuels ou personnels médicaux, même si celui diminue

Cette baisse traduit une dégradation du pouvoir d’achat pour les infirmiers et aides-soignants. Concrètement, un cadre de santé perd l’équivalent de 109 euros de pouvoir d’achat par an, tandis qu’un infirmier libéral perçoit en moyenne 37 % de plus que son homologue hospitalier. Par ailleurs, l’écart de rémunération avec le secteur privé atteint 23 % pour les métiers techniques, tels que celui de technicien biomédical , chargé de l’entretien et de la réparation des équipements médicaux, ou d’ingénieur biomédical, responsable de la gestion des technologies médicales et de l’innovation.

Dans une société où l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, la reconnaissance individuelle et les conditions de travail sont de plus en plus valorisés, la fonction publique hospitalière (FPH) rencontre des difficultés de recrutement. De nombreux postes restent vacants, aussi bien à l’hôpital que dans les Ehpad, touchant aussi bien les médecins que le personnel paramédical.

Les tensions sont encore plus marquées pour les métiers d’infirmiers spécialisés comme les infirmiers de bloc opératoire et infirmiers anesthésistes notamment mais aussi dans la filière de la rééducation, en manque de masseurs-kinésithérapeutes. 

Bien que l’organisation en journée de 12 heures se soit largement généralisée, les effectifs infirmiers restent insuffisants pour répondre à la demande d’assistance. Par ailleurs, le secteur du grand âge demeure peu attractif, que ce soit en gériatrie aiguë ou en EHPAD, ces derniers étant des établissements médicalisés accueillant des seniors en perte d’autonomie et nécessitant une prise en charge quotidienne.

Il est important de souligner que les besoins sont particulièrement forts dans les territoires ruraux ou les territoires éloignés des métropoles. Ces difficultés peuvent trouver multiples raisons dans les causes suivantes : la moindre accessibilité en transports en commun, notamment les week-end, l’éloignement des lieux de formation… 

Pourtant, les besoins de soins et d’accompagnements n’ont jamais été aussi importants en France, sous l’effet de la hausse des maladies chroniques ou du vieillissement de la population. Des besoins en personnels qui pressent pour maintenir une qualité de soins pour les citoyens mais en face une direction qui fait le choix de «  suppressions de postes ». Ainsi, à Angers, le mardi 15 octobre 2024, une cinquantaine d’agents des services hospitaliers (ASH) se sont rassemblés à un comité social d’établissement pour dénoncer des « suppressions de postes ». En effet, les salariés étaient en grève, pour s’indigner de la suppression de postes à taille humaine alors que les responsabilités d’accueil et de soins dans les meilleures conditions possibles pèsent de plus en plus sur un personnel épuisé et laissé à l’abandon et avec une situation économique difficile.

Les hôpitaux sont tellement en tension que la ville d’Angers sur leur compte officiel Instagram face à leur 47 000 abonnés met une story pour annoncer aux angevins que l’hôpital est en tension et que les délais d’attente aux urgences sont allongés notamment dans les urgences pour adultes, pour marteler un rappel de vérification à effectuer avant tout déplacement aux urgences.

Tués par l’attente à l’hôpital

Les récits de familles endeuillées par des décès inexpliqués ou suspectés de négligences médicales dans les hôpitaux français se multiplient. 

Dans les Vosges par exemple, une douzaine de familles ont déposé plainte après avoir perdu un proche au centre hospitalier de Remiremont[France 3]. Les motifs évoqués sont divers. Les proches dénoncent des traitements inadaptés, des diagnostics tardifs, ou encore des défauts de surveillance qui auraient pu mener à ces drames.

Si la médecine n’est pas une science infaillible, ces cas successifs interrogent sur la qualité des soins et la gestion des patients, notamment dans des établissements confrontés aujourd’hui plus que jamais à un manque de personnel et de moyens. Les procédures judiciaires en cours chercheront à déterminer s’il y a eu des manquements ou des fautes médicales ayant conduit à ces décès. De nombreux avocats spécialisés en droit de la santé contactés par des familles endeuillées constatent une hausse des litiges impliquant des hôpitaux.

Face à ces accusations, les 32 hôpitaux de France affirment respecter les protocoles et rappellent la complexité des soins médicaux. Toutefois, ces drames malheureux soulignent l’urgence d’améliorer la prise en charge et la mise en place de moyens pour les personnels soignants. Derrière ces drames, il ne faut pas oublier ceux qui, chaque jour, luttent dans des conditions très précaires pour sauver des vies. Les soignants de toutes spécialités sont en première ligne, épuisés par des cadences infernales et un manque criant de ressources.

Le racisme dans les hôpitaux

Quand on lit les déclarations (depuis démenties), sur les “Mamadous” qui seraient responsable de la saturation des urgences, attribuées au président de la république française, M. Emmanuel Macron, dire que ce sont les “Mamadous” qui sont responsables de la saturation des urgences, on se dit que le racisme dans les hôpitaux français est autant un fléau qu’un écho étouffé. 

Par définition le racisme est une idéologie qui repose sur l’idée qu’il existe des races humaines supérieures ou inférieures à d’autres. Selon le Musée de l’Histoire de l’immigration, le racisme cherche à porter atteinte à la dignité et à l’honneur de la personne, à susciter la haine et à encourager la violence verbale ou physique. Il tend à répandre des idées fausses pour dresser les êtres humains les uns contre les autres. Le racisme et les discriminations gangrènent le système de santé français, affectant aussi bien les patients que le personnel soignant. Malgré les principes d’égalité et d’universalité qui devraient régir le milieu hospitalier, de nombreux cas de comportements discriminatoires sont régulièrement rapportés.

Au Centre Hospitalier Universitaire de Montpellier, une recherche a révélé qu’un homme blanc avait 50% de chances supplémentaires d’être considéré comme une urgence vitale par rapport à une femme noire présentant les mêmes symptômes. Ces biais dans l’évaluation de la gravité des cas peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la santé des patients issus de minorités. Ainsi, non seulement il peut y avoir une dégradation de la relation soignant-patient, car le racisme compromet forcément la confiance essentielle à une bonne prise en charge médicale, mais il peut aussi entraîner des erreurs médicales dues à des préjugés raciaux et conduire à une sous-utilisation des services de santé par les patients victimes de discrimination, donc les patients victimes de racisme peuvent éviter de consulter, ce qui aggrave les disparités de santé. 

Le personnel hospitalier n’est pas épargné par ces comportements inacceptables. De nombreux professionnels de santé issus de minorités subissent quotidiennement des remises en cause de leurs compétences ou des refus de soins de la part de patients en raison de leur origine réelle ou supposée. 

Par exemple, en 2016, à l’hôpital de Pontoise, une agente a été victime d’insultes racistes et de moqueries de la part de ses collègues, illustrant ainsi la gravité de la situation. Par ailleurs, le caractère permanent de ces discriminations rend leur déracinement complexe. Les victimes hésitent souvent à dénoncer ces agissements par crainte de représailles ou par manque de confiance dans les institutions. Le 6 Novembre 2024, le Défenseur des droits avait lancé un appel à témoignages jusqu’au 6 janvier 2025 pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène et proposer des solutions concrètes autant pour les patients que pour les professionnels. 

Combattre efficacement ce fléau en va de la dignité des patients et du personnel soignant, mais aussi de la qualité des soins prodigués à l’ensemble de la population.

Un modèle à repenser 

L’engagement du personnel hospitalier mérite un soutien renforcé des pouvoirs publics. Face à l’ampleur des défis auxquels les hôpitaux français sont confrontés, de la saturation des lits aux pénuries de personnel soignant. 

Il devient urgent de repenser en profondeur le modèle de santé publique. Les solutions ne sauraient se limiter à des mesures ponctuelles, mais nécessitent une révision globale de l’organisation des soins, de la gestion des ressources humaines et du financement du système de santé. La situation actuelle pourrait, paradoxalement, devenir un point de départ pour repenser un système plus équitable, durable et résilient, à même de répondre aux enjeux de demain. Il faut en toute urgence offrir des conditions de travail dignes à ceux qui consacrent leur vie aux soins des autres.

  1. Pour aller plus loin, un article de Mediapart. ↩︎

Laisser un commentaire