Violence policière partout, justice nulle part
Le 8 avril dernier, le tribunal de Versailles a prononcé un non-lieu dans l’enquête sur les conditions d’interpellation des 151 lycéens de Mantes-la-Jolie. Les faits remontent à 2018 : en pleine mobilisation contre Parcoursup et la réforme du baccalauréat, 151 lycéens avaient été arrêtés, forcés de s’agenouiller, certains menottés, les mains placées au-dessus de la tête. Une vidéo, largement relayée à l’époque, montrait la scène. En fond, un policier ironisait : « Voilà une classe qui se tient sage. »

Malgré l’indignation suscitée par les images, la décision de justice est passée presque inaperçue dans les médias. Ce silence est révélateur : premièrement d’un désintérêt croissant pour les violences policières, deuxièmement d’une accoutumance collective à ces pratiques, et troisièmement d’un système judiciaire qui les sanctionne rarement.
À force de banalisation, rares sont celles et ceux qui osent critiquer la police. Plus aucun responsable politique ne remet en cause son existence, et encore moins ne propose son abolition. La police est violente mais si violence il y a, elle n’est plus que légitime1 et Weber se retourne dans sa tombe en entendant Gérald Darmanin, ministre de l’interieur en 2020 dévoyait sa thèse en parlant de « une violence, certes, mais une violence légitime » pour évoquer le meurtre de Cédric Chouviat étranglé et etouffé au sol par des policiers.
Les violences envers les gilets jaunes, puis les manifestants ont permis de créer un certain espace de visibilisation et dénonciation. Mais face à ces violences, les jeunes hommes racisés de quartier populaire rigolent, cela fait des années qu’ils subissent les mêmes, dans un silence assourdissant.
Il faut désormais des actes extrêmes pour que ces violences fassent la une. En 2005 Zyed Benna et Bouna Traoré2 meurent électrocutés dans un transformateur électrique en fuyant un contrôle de police. En 2016, Adama Traoré meurt asphyxié par des gendarmes3. En 2017, Théo est violé par un policier à l’aide d’une matraque télescopique4, provoquant une déchirure de 10 cm du sphincter anal. En 2023, la mort de Nahel Merzouk, abattu à bout portant par le policier Florien M.5, est filmée et provoque plusieurs jours d’émeutes en banlieue parisienne.
Aucune réponse satisfaisante n’a été apporté à ses affaires.
En 2015, relaxe définitive pour les policiers dans l’affaire de Zyed Benna et Bouna Traoré.
Pour Adama Traoré, le tumulte judiciaire est plus connu : en 2023, une ordonnance de non-lieu est rendue6, puis confirmée en appel en mai 2024. L’affaire fait actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation. Là encore, la Défenseure des droits rend une décision en 2023 dans laquelle elle demande des poursuites disciplinaires à l’encontre des quatre gendarmes concernés.
Pour Théo Luhaka, l’histoire est archétypale des dysfonctionnements au sein de la police. La Défenseure des droits, Claire Hédon, a même publié une décision sur le comportement des agents de la brigade spécialisée de terrain7. Dans ce rapport, les événements du contrôle sont relatés ainsi : à la suite d’un contrôle, un des agents donne une gifle à Théo Luhaka ; la situation dégénère, Théo est violé, maintenu au sol par un policier qui place son genou sur sa nuque, tandis que du gaz et une grenade lacrymogène sont lancés en direction du groupe qui filme la scène. Plus tard, les agents mentent sur l’usage de leurs armes, prennent une photo Snapchat de Théo — photo qui disparaîtra le jour du procès — et menottent la victime à un banc, alors même qu’ils ont constaté des saignements de « son fion ». Les agents ne sont placés en garde à vue que neuf heures après les faits, après avoir eu le temps de rédiger ensemble le procès-verbal d’intervention. En janvier 2024, trois des quatre policiers sont condamnés à des peines de prison avec sursis pour violences volontaires, l’infirmité permanente dont souffre Théo n’ayant pas été retenue.
Pour Nahel Merzouk, le parquet de Nanterre requiert un procès pour meurtre à l’encontre du policier qui l’a tué8. Ce dernier a pourtant bénéficié d’un soutien inédit : 85 063 personnes lui ont versé un total de 1,6 million d’euros via une cagnotte ouverte par Jean Messiha après les événements. La Défenseure des droits a également ouvert une enquête sur ce meurtre.
Suite à ces affaires l’ONU appelle la France à s’attaquer « aux profonds problèmes de racisme au sein des forces de l’ordre »9.
Et ce même si le président de la république Emmanuel Macron nie cette idéologie, comme en 2021, lors d’une interview au Figaro : « il n’y a pas de racisme systémique de la police, c’est faux, pas plus qu’il n’y en a dans la gendarmerie ou au sein de l’État. »
Toutes ces affaires ont un point commun : toutes les victimes fuyaient la police. Fuir un contrôle, une interpellation, fuir ces outils légaux qui permettent à la police d’exercer une violence arbitraire, en particulier sur les jeunes hommes racisés.
C’est ce que documente en profondeur le rapport « Amendes, évictions, contrôles : la gestion des “indésirables” par la police en région parisienne »10, soutenu par le Défenseur des droits et mené par Aline Daillère (CRIS, CESDIP) et Magda Boutros (CRIS, Sciences Po).
Les résultats démontrent qu’il existe, au sein de la police nationale, une politique institutionnelle qui vise à évincer de l’espace public parisien des catégories de population définies par l’institution policière comme “indésirables”, sur la base de leur âge, genre, assignation ethno-raciale et précarité économique.
Les deux outils clés étudiés sont le contrôle d’identité et la verbalisation. Cette politique d’éviction, appliquée de manière arbitraire, est soutenue par l’administration, la justice et le législateur, qui ne prennent ensemble aucune mesure pour limiter ces pratiques. Résultat : les amendes se multiplient, sans aucun effet dissuasif.
Au contraire, ce harcèlement policier produit deux effets majeurs : un sentiment profond de défiance, et une stratégie d’évitement du monde du travail (travail non déclarée, disparition du système bancaire) les personnes ciblées sachant que leurs salaires risquent d’être saisis pour rembourser leurs amendes.
« Par exemple, la dette d’Amadou a atteint 32 000 euros, ce qui représente plus de 22 mois de salaire à temps plein au SMIC, soit près de 2 ans de travail consacré uniquement à régler ses amendes. »
Les recours judiciaires à ses amendes sont rares : « Concernant les amendes multiples dont ils contestent souvent la véracité ou la légalité, nombre d’enquêtés se sont heurtés à de grandes difficultés pour saisir le juge. Pensé dès l’origine comme un moyen de décharger les tribunaux des contentieux de masse et éviter leur engorgement, le système d’amende forfaitaire fut élaboré de manière à restreindre l’accès au juge et rend de facto complexe –quand il ne le rend pas impossible –, toute forme de recours en justice »
Ces pratiques posent avant tout la question du racisme structurel (qui dépasse des comportements individuels mais touchent l’ensemble de la corporation) au sein de la police nationale. Dans une enquête du défenseur des droits intitulée : « Contrôles d’identités : que dit le droit et comment mettre fin au contrôle discriminatoire ? »11, de nombreux chiffres renseignent ses agissement racistes « Les jeunes hommes perçus comme noir ou arabe » ont donc vingt fois plus de probabilités d’être contrôlés, par rapport à l’ensemble de la population. Ces jeunes témoignent également de relations plus dégradées avec les forces de l’ordre : ils rapportent être davantage tutoyés (40 % contre 16 % de l’ensemble), insultés (21 % contre 7 % de l’ensemble), ou brutalisés (20 % contre 8 % de l’ensemble). »
C’est aussi ce que soutient le premier rapport à l’échelle de l’UE sur le racisme au sein des services de police rédigé par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA). Le rapport est introduit par ses mots « Commentaires racistes, contrôles plus fréquents, voire violences, voilà comment les personnes d’origines ethniques différentes vivent le maintien de l’ordre en Europe. Pour autant, du fait du manque de données au niveau national, il est difficile d’évalue »12 Le rapport s’y attelle pourtant et propose différentes pistes :
- recueillir des données sur le mauvais traitement de la police
- dispenser des formations et accroitre la diversité dans les services policiers.
- assurer la surveillance et protéger les lanceurs d’alertes
- faire respecter et appliquer la législation nationale.
Cette dernière proposition interroge puisque si les policiers utilisent la multi-verbalisation et le contrôle d’identité ce sont justement car ce sont des moyens légaux mis à leur disposition ainsi. Même si les raisons de l’effectivité d’un contrôle d’identité sont encadrés par la loi13. Ces instruments sont utilisés et transformés idéologiquement par l’institution par essence oppressive que représente la police.
La chercheuse Gwendola Ricordeau, elle soutient l’idée que le racisme, sexisme, transphobie, classisme, et autres oppressions en isme, ne sont pas des dysfonctionnements de la police, mais bien des mécanismes naturels de transmission du pouvoir étatique. La police fonctionne telle qu’on lui demande de fonctionner. Elle remplit son rôle : « La police ne peut être qu’au service de l’État, elle sert à maintenir l’ordre raciste, patriarcal, capitaliste »14.
C’est pour cette raison que la chercheuse défend dans son ouvrage « 1312 raisons d’abolir la police »15, les raisons qui la pousse à défendre cette idée.
Abolition ou non, à l’heure actuelle, aucun des contres pouvoirs ne permet de lutter utilement contre les violences policières et le racisme structurel qui prolifèrent dans cette institution.
Footnotes
- Le monopole de la violence légitime – Max Weber : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/max-weber-violence-legitime-illegitime-etat
- Affaire Zyed Benna et Bouna Traoré : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mort_de_Zyed_Benna_et_Bouna_Traor%C3%A9
- Affaire Adama Traoré : https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Adama_Traor%C3%A9
- Affaire Théo Luhaka : https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Th%C3%A9o_Luhaka
- Mort de Nahel Merzouk : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mort_de_Nahel_Merzouk#Nahel_Merzouk
- Non-lieu dans l’affaire d’Adama Traoré : https://www.liberation.fr/societe/police-justice/mort-dadama-traore-non-lieu-pour-les-trois-gendarmes-layant-interpelle-20230901_BIPIV6IBG5EMPPKG4ULWHBTAJI/
- Une décision sur le comportement des agents dans l’affaire Théo Luhaka : https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=20245
- Procès pour meutre a l’encontre du policier suite a la mort de Nahel Merzouk : https://www.liberation.fr/societe/police-justice/mort-de-nahel-le-parquet-de-nanterre-requiert-un-proces-pour-meurtre-contre-le-policier-auteur-du-tir-20250304_3BFMCPDWZZFBZKDTZ3N2YVKDX4/
- L’ONU interpelle la France sur la violence policière : https://news.un.org/fr/story/2023/06/1136572
- Contrôle de police sur les « indésirables » : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/2025-04/ddd_eclairages_amendes-evictions-controles_gestion-des-indesirables_20250327.pdf
- Enquête sur les contrôles d’identités : https://www.defenseurdesdroits.fr/controles-didentite-que-dit-le-droit-et-comment-mettre-fin-aux-controles-discriminatoires-565#content-nav-target-8
- Source : https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra_press_release_-_racism_in_policing_fr_0.pdf
- Texte de loi sur les contrôles d’identités : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037399447/
- Article de Gwenola Ricordeau « Une autre police est impossible » : https://regards.fr/gwenola-ricordeau-une-autre-police-est-impossible/
- 1312 raisons d’abolir la police – Gwenola Ricordeau : https://luxediteur.com/catalogue/1312-raisons-dabolir-la-police/