À Coriolis, la crise sanitaire se combine au management de la terreur
Il y a quelque chose de pourri dans la start-up nation. Chaque jour, l’épidémie de Covid-19 et surtout sa gestion par les autorités politiques ou économiques, que nous pouvons qualifier d’affaire du XXIème siècle, nous livre son lot de mauvaises surprises.
Au cœur de la tourmente aujourd’hui, le centre d’appels Coriolis, sous-traitant d’EDF, de la Macif, autrefois de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et désormais de la branche assistance de la Société Générale. L’entreprise, qui emploie quatre cents personnes dont la moitié sur le site du 35, rue du Château d’Orgemont à Angers, depuis l’inauguration en grandes pompes des locaux en janvier 2019 en présence du maire Christophe Béchu, attire les feux des projecteurs médiatiques après un rapport accablant de l’Inspection du travail. Cette dernière assure que la direction met en danger la vie des salariés et de leurs familles, tandis que des salariés envisagent de porter l’affaire aux prud’hommes et devant la justice pénale.
« On assiste à un copier-coller de l’incompétence gouvernementale au niveau de l’entreprise »
Au moins huit salariés ont été testés positifs au Covid, dans une entreprise où la direction fait peu de cas de la protection de ses employés. Ce vendredi 16 avril, le taux d’absentéisme chez les 200 salariés du site angevin atteint 57%. Outre le représentant du personnel Maurice Voisin, avec qui nous avons pu nous entretenir (vidéo ci-après), nous avons recueilli les témoignages convergents de plusieurs salariés souhaitant garder l’anonymat.
Au moins une quinzaine de salariés ont exercé leur droit de retrait depuis une semaine, malgré les menaces de la direction d’opérer une retenue sur salaire – une mesure illégale, tranche l’inspection du travail.
« Concrètement pour nous, on nous a donné des masques, mais on n’a pas pour autant des places attribuées pour travailler. Parfois ton pc est utilisé avant ou après toi, sans que tu puisses le savoir« , précise un téléconseiller recruté fin février, toujours en période de formation. « Les syndicats sont discrédités par la direction qui fait sa propagande en disant que tout va bien… Sauf que de toute évidence, non ! On assiste à un copier-coller de l’incompétence gouvernementale au niveau de l’entreprise.«
Si ce salarié motivé par la signature d’un contrat à durée indéterminée garde un certain enthousiasme, malgré une « entrée en matière pour le moins désagréable« , de l’autre côté des ressources humaines, c’est une résignation froide qui domine. Pour 300 postes à pourvoir, ce ne sont pas moins de 1200 intégrations qui ont été effectuées ces deux dernières années, preuve s’il en est que le turn-over est très soutenu dans ce métier exigeant.
« Nous n’aurons jamais de reconnaissance financière, ni même verbale »
« Déjà avant le Covid, ce n’était pas un travail où on allait en courant le matin » relate un membre des fonctions encadrantes, qui fait état de « clients qui te hurlent dessus plusieurs fois par jour« , « ce qui pourrait être tolérable en serrant les dents dans une bonne boîte« . Mais chez Coriolis, la direction ne s’avère pas franchement prompte à soutenir ses salariés.
« La pression a toujours existé, mais elle était pondérable dans la mesure où on l’assumait pour nous et nos équipes, pas pour la direction » détaille ce salarié, qui se considère comme « simple exécutant » car n’ayant « aucun pouvoir de décision, aucune marge de manœuvre ni de prise d’initiative possible« . Cependant, comme ses collègues, il a « vite pris conscience que la reconnaissance, financière ou même verbale, nous ne l’aurions jamais.«
Depuis un an et le début de l’épidémie de Covid-19, la situation a largement empiré. Les situations où les salariés doivent se relayer sur un même poste de travail s’accumulent autant que les tests positifs des collègues. Les syndicats, notamment Solidaires et la CGT, tentent d’alerter mais font face à de nombreuses entraves à leur droit d’informer – y compris en la présence de l’inspection du travail, qui ne manquera pas de le faire remarquer dans son rapport.
Roue-challenge et roulette russe
Dans une des parties communes de l’entreprise, une « roue-challenge » permet aux salariés « performants » de gagner, « en fonction de la qualité de production mais surtout de la quantité, un café ou 10 minutes de pause« , d’après le téléconseiller en formation. Si des objets électroménagers sont aussi à gagner, « tout le monde est un peu gêné » par cette seule marque de reconnaissance, à défaut de salaire et de considération à la mesure des tâches accomplies.
Mais c’est plutôt à la roulette russe que les employés du centre d’appels craignent de jouer en se rendant, la boule au ventre, sur les plateaux d’appels pour travailler au risque d’être eux-mêmes contaminés par un virus dont les dernières mutations touchent plus sévèrement des patients plus jeunes.
Le membre de l’encadrement, qui nous a confié être sur le départ, en atteste : « Lors de mes entretiens d’embauche pour trouver un poste similaire à celui que j’occupe, à trois reprises, les entreprises m’ont dit clairement qu’elles ne donnaient pas suite à ma candidature puisqu’elles ne voulaient jamais retrouver chez elles le management opéré chez nous. » Pour un nombre grandissant d’observateurs, Coriolis est à fuir comme la peste.