De la qualité du travail révolutionnaire (et de son impact aujourd’hui pour demain)
Le présent article est une préface à la brochure Unir et Vaincre. Écrit en 2021, nous le publions pour la première fois, dans une version actualisée.
La crise du coronavirus a propulsé l’humanité au cœur d’un siècle nouveau.
La pandémie de Covid-19, qui focalisait l’attention de tous, s’est vue reléguée au second rang des préoccupations mondiales avec la Guerre en Ukraine ; laquelle laissera bientôt place à la plus grande crise économique de l’ère contemporaine, une lame de fond à même de broyer des millions d’emplois et de petites entreprises.
Ce séisme des infrastructures économiques, sous-tendant complètement la société, aura des conséquences protéiformes et, évidemment, politiques.
A l’échelle planétaire, l’effet de vases communicants de l’économie mondiale fonctionne à plein. Le krach boursier de 2008 a vu, pour la première fois depuis 1913, la part des Etats-Unis dans le PIB mondial passer en-dessous de 20% ; l’année 2020 a vu, pour la première fois depuis la moitié du XIXème siècle, la Chine passer au-dessus de 20% du PIB nominal mondial.
Si les situations diffèrent selon les pays et les continents, c’est la France qui nous intéresse au premier chef. Le président Macron, entré à l’Élysée « par effraction » (selon ses propres mots) et par sidération des autres forces politiques, entend répondre à la crise économique par le bâton des réformes anti- sociales et le fouet de la répression. Son impopularité jusque dans les couches supérieures de la bourgeoisie est telle qu’il pourrait être battu au second tour de l’élection présidentielle par Madame Le Pen.
Les travailleurs de France sont acculés entre le mur du néolibéralisme et le précipice du nationalisme. La Ve République est mûre, à force d’autoritarisme de ceux qui la gouvernent, pour être cueillie par les forces les plus réactionnaires qui soient. La faillite des institutions, la débâcle de services publics démantelés depuis un demi- siècle, la course à la radicalité laissent entrevoir le fascisme à son stade germinal.
L’Histoire humaine est celle des luttes de classes, et ses soubresauts permanents résultent du rapport de forces entre exploiteurs et exploités. L’antagonisme entre forces conservatrices et forces émancipatrices demeure la principale cause des événements politiques et sociaux français, et ce malgré la faiblesse historique des secondes.
Ce qui nous préoccupe réside dans les moyens de développer les forces d’émancipation, dans l’humilité de la considération pour le travail révolutionnaire fourni par les générations qui nous ont précédés. L’émancipation des travailleurs viendra de leur propre organisation, dont le développement dépend des degrés de conscience de classe et de mobilisation de classe.
Les progrès nécessaires pour que les classes exploitées prennent leur destin en main ne se réaliseront pas par des incantations, mais par la pratique quotidienne de la défense des intérêts populaires, de la solidarité sur le terrain et par la préparation de l’inévitable contre-attaque des travailleurs face aux dirigeants, politiques notamment, qui les auront plongés dans la misère.
Si la contre-attaque populaire est inévitable au cours du siècle qui s’est ouvert, se pose la question primordiale des meneurs de cette offensive. Le poison du fascisme se niche dans sa prétention à représenter les travailleurs et à orchestrer une révolution nationale, qui plongerait en réalité le pays dans une guerre civile avec pour seule finalité le maintien de la domination bourgeoise sous sa forme politique la plus brutale, la plus destructrice.
S’il nous est indispensable de démasquer l’extrême-droite aux yeux des exploités et des opprimés, il l’est tout autant de leur proposer une perspective révolutionnaire, en mesure d’incarner un avenir pour lequel se battre. Prendre notre part dans ce combat commun entre générations et secteurs de la lutte révolutionnaire, relève d’une responsabilité de premier plan qui nous incombe.
L’économie planifiée pour développer les forces productives, puiser dans les ressources sans épuiser la nature et satisfaire les besoins élémentaires et sociaux de tous – ce monde de justice et de paix mérite d’être nommé. D’autres que nous, dans des conditions et une adversité autrement plus éprouvantes, ont bataillé pour l’avènement de cette ère nouvelle pour l’humanité.
Quelle est cette perspective, si ce n’est le socialisme ? Non celui des sociaux-démocrates, mais le socialisme authentique, révolutionnaire, scientifique. Tel est l’héritage que nous avons reçu, tel est le mot d’ordre depuis près de deux siècles du mouvement réel d’abolition de la domination capitaliste.
Sans verser dans le pronostic ni le prophétique, ni dans le « y’a qu’à » ni dans le « à quoi bon », des tâches concrètes et pratiques nous échoient. Parmi elles, la définition d’une boussole à la précision chirurgicale, sans quoi à travers la tempête les travailleurs n’arriveront pas à bon port ; et d’une méthode qui, vu la gravité d’aujourd’hui et les périls de demain, se doit de refuser tout sectarisme, entre exploités d’une part et entre représentants du mouvement social d’autre part.
Nos principes se doivent d’être conformes aux progrès techniques et scientifiques, fruit des efforts intellectuels et physiques de l’ensemble des travailleurs passés et présents, à mesure que s’opposent colonisation et exploration, disparition et découverte.
Le rapport de forces nous étant globalement défavorable, les forces émancipatrices se trouvent parfois démunies face à l’arsenal de guerre de classe à disposition de la grande bourgeoisie.
Parce que la quantité de travail révolutionnaire est aujourd’hui bien moindre que celle du travail de maintien de la domination capitaliste, chaque heure de production militante se doit d’être à forte valeur ajoutée, par un travail hautement qualifié. Le travail de nos aînés et prédécesseurs, engagés pour le dépassement du capitalisme, fournit au mouvement révolutionnaire ses moyens de production théorique et pratique.
Ce travail antérieur n’est pas un travail mort, mais une agglomération d’outils issus de la lutte sociale, de la philosophie matérialiste et dialectique, de la production scientifique, de l’expérience éprouvée des combats contre l’exploitation, l’exclusion et l’oppression. De tels outils ne demandent qu’à vivre à travers la production révolutionnaire actuelle, afin que foisonnent le débat théorique, dont il ne faut craindre ni la polémique ni le caractère public, ainsi que de nouvelles expériences de luttes.
Nos camarades d’hier ont creusé le sillon du torrent de nos actes révolutionnaires de l’instant présent, jusqu’à ce que nous, ou nos successeurs, soient en mesure de faire céder de toutes parts le barrage de la domination bourgeoise devant l’inexorable mouvement de l’Histoire.
La crise sanitaire, économique et géostratégique, avant de prendre une dimension politique concrète en France, renforce nos responsabilités. Il dépend de chacun que nous en soyons collectivement à la hauteur.
En ce sens, la période que nous avons traversée ces derniers mois, ces dernières années, rebat les cartes : à la fois moment de politisation et d’individualisation des membres des classes exploitées, l’élan de solidarité vis-à-vis des soignants comme d’autres secteurs mobilisés face à la pandémie a démontré, si besoin était, les vents contraires de la séquence actuelle. La conscience de classe se développe malgré la défiance à l’encontre des organisations historiques du mouvement social.
Si le confinement et les couvre-feux nous ont obligés à revoir notre orientation, entre revendications immédiates (l’augmentation du RSA et son accessibilité aux moins de 25 ans, à l’inverse de son conditionnement à un travail obligatoire) et mesures transitoires entre capitalisme et socialisme (gratuité d’accès aux services publics, financés par la cotisation sur la valeur ajoutée), ils ont exigé surtout une adaptabilité en termes de pratiques militantes.
Plus que jamais, l’édition de journaux et de brochures aux lignes éditoriales révolutionnaires prennent leur sens, qu’ils soient lus en imprimés ou en version numérique.
Loin de la gestion à la petite semaine, nous nous devons d’analyser avec justesse le présent pour conjuguer la conquête au futur. De la qualité de nos travaux révolutionnaires actuels dépendra la transformation du monde à venir.