Mega-bassines: solutions de coin de table pour un problème global
Sainte-Soline, capitale du mouvement social
Sainte-Soline, bourgade anonyme de 350 habitants perdue dans les Deux-Sèvres est devenue, l’espace d’un week-end, la capitale du mouvement social. En effet, des milliers de militants écologistes se sont rassemblées le week-end des 25 et 26 mars contre l’installation de méga-bassines, dont la construction a commencé en septembre 2022 et qui, dès le départ, la cristallisation des tensions, preuve en est le premier rassemblement au mois d’octobre déjà réprimé par la force.
Le mouvement, porté par le collectif d’habitants “Bassines, Non Merci !”, fondé en 2017, s’oppose aux projets de retenues d’eaux en Charente-Maritime, Vendée et donc les Deux-Sèvres.
Malgré l’aspect de prime abord citoyen, il capitalise sur un fort élan de sympathie d’une partie du mouvement social, en particulier parmi les militants écologistes. Si les méga-bassines de Sainte-Soline cristallisent les tensions, c’est parce qu’elles sont devenues le nouveau symbole de la lutte contre les grands projets, dans l’esprit de la Zone À Défendre de Notre-Dame-Des-Landes.
Un débat occulté
Lors du dernier rassemblement, un important dispositif policier a été déployé entraînant dans son sillon un déferlement de violences dont les médias se sont fait les colporteurs. Pendant presque 48h, on a parlé de la situation alarmante à Sainte-Soline: des camionnettes de gendarmerie en flammes aux policiers chassant vaillamment ce qui est désormais convenu d’appeler les factieux (sic) à dos de quad… Quelle image pour la police nationale !
De manière plus globale, on a pu, une nouvelle fois, constaté la déconnexion durable entre les forces de l’ordre et les manifestants, ces premiers chargeant brutalement ces derniers.
A moins de vivre dans une grotte, on sait très bien que ces affrontements violents sont l’une des conséquences de la radicalisation de la mobilisation contre la réforme des retraites.
Depuis la proclamation de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, le 16 mars 2023, par la première ministre Mme Elisabeth Borne, la France s’est littéralement embrasée.
Point notable: même si cela n’a rien à voir avec les caisses de retraites, la réponse de la part du ministère de l’Intérieur est invariable: la répression policière.
Rien qu’à Sainte-Soline, c’est pas moins de 3200 policiers pour 6000 manifestants, soit 1 policier pour deux manifestants ! Rendez-vous compte, on aurait tiré une grenade toutes les deux secondes…
Il faut dire que M. Darmanin, ministre de l’Intérieur et donc “premier flic de France”, malgré des résultats contrastés, est particulièrement friand de la méthode coué, héritage de ces jeunes années sarkozystes.
On constate encore une fois l’aveuglement arbitraire de l’exécutif qui, en partant du postulat de la porosité entre militants écologistes et sociaux, répond uniformément par la violence, sans être passé par une quelconque concertation diplomatique ou au pire une tentative de médiation avec les opposants au projet…
Même si cela ne surprend plus, cela montre encore une fois le virage autoritaire du gouvernement qui parie, comme à ce qui est devenu son habitude, sur le pourrissement afin d’opposer les bons des mauvais manifestants et ainsi créer un clivage dans l’audimat.
Mais au juste, c’est quoi une méga-bassine ?
Maintenant qu’on a dit ça, le lecteur de ces lignes pourrait répondre qu’on n’a rien dit.
On ne sait toujours pas pourquoi il y a des gens qui se battent contre l’installation de méga-bassines. Peut-être d’ailleurs qu’on ne sait pas pourquoi on installe des méga-bassines et même pire, on ne sait pas ce qu’est une méga-bassine !
Sans vouloir faire offense à nos confrères, et sans oser parler de nombrilisme, il faut admettre qu’il est difficile pour les rédactions de sortir de la capitale afin de voir ce qu’il se passe ailleurs que dans les salons parisiens.
Malgré la volonté affichée de couvrir l’actualité au plus près afin d’apporter l’information juste et éclairée, on a quand même failli passer à côté d’un détail de taille et on ne va pas mentir: rares sont les médias qui ont expliqué l’enjeu.
Sans prétendre à une enquête exhaustive et complète, à défaut d’avoir une connaissance érudite, nous allons surtout chercher à comprendre pourquoi la question des méga-bassines illustre, là encore, une contradiction politique fondamentale entre une solution apportée à un problème pour notre environnement.
En d’autres termes, nous allons nous demander pourquoi il apparaît impossible, dans le capitalisme, de s’adapter efficacement au changement climatique.
Une solution libérale
Les méga-bassines en général et celles de Sainte-Soline en particulier doivent répondre à un enjeu fondamental pour l’agriculture, à savoir s’adapter à la raréfaction de l’accès à l’eau.
Par exemple, nous avons connu un hiver 2023 particulièrement doux où les épisodes de pluies se sont faits rares et les agriculteurs ne peuvent guère compter que sur les giboulées de mars ainsi que les quelques épisodes pluvieux d’avril pour nourrir les terres.
Ainsi, certains exploitants agricoles, afin d’anticiper de futurs et récurrents épisodes de sécheresses, cherchent à maximiser la collecte en installant de grandes retenues d’eau: des méga-bassines.
Le principe est simple, il s’agit de collecteurs d’eau de pluie, qui sont alimentés au besoin par les cours d’eau voisins.
Dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit de la Sèvre Nantaise. A Sainte-Solines, c’est la société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres – qui s’appelle la Coop de l’eau 79 et qui est présidée par Thierry Boudaud, un businessman de l’agro-alimentaire – qui s’occupe du projet. Elle espère donc avoir un retour sur investissement, bien que ce soit l’Etat qui, comme souvent, ait pris en charge le coût des travaux.
On remarque ici un mode de fonctionnement devenu structurel dans nos politiques publiques, qui s’occupent de l’investissement, normalement inatteignable pour n’importe quel acteur privé mais en délègue sa gestion, empêchant un quelconque retour pour l’organisme.
Le parti pris initial est assez élaboré: la collecte d’eau est aujourd’hui non optimale, et ceci pour plusieurs raisons.
Il existe, naturellement, de grands réservoirs: ce sont les nappes phréatiques cependant, il n’est pas aisé d’en récupérer de l’eau. C’est une opération très coûteuse, qui demande un haut niveau de maîtrise et est très polluante, donc pas très populaire.
Mais ce n’est qu’une facette d’un problème plus important. Les nappes phréatiques sont appauvries par les dégâts de l’activité agricole intensive.
De plus, l’artificialisation des terres, à cause des installations en béton, empêche l’incorporation de l’eau dans les nappes. C’est autant de pertes de ressources pour les agriculteurs qui ont des besoins constants en eau. Ainsi, avoir des méga-bassines, c’est permettre à quelques acteurs privés, particulièrement les promoteurs de l’agriculture intensive, de privatiser définitivement l’eau.
Un investissement scandaleux et inutile
Là réside le principal scandale: personne n’a acté la privatisation d’un tel bien, qui est d’ailleurs bien trop essentiel pour l’unique activité agricole.
De là à dire que le problème disparaîtrait si les méga-bassines étaient gérées parce qu’elles étaient nationalisées ? Rien n’est moins sûr…
Faisons un tour chez nos voisins espagnols, en particulier dans sa région méridionale, en Andalousie, qui est devenue, avec la révolution agraire menée sous le général Francisco Franco, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, un territoire d’innovation pour l’industrialisation agricole. C’est ainsi qu’on a mis en place des retenues d’eau, afin de pallier la sécheresse propre au climat semi-aride du territoire.
Non seulement, en intégrant l’Union Européenne, l’Espagne n’a pas abandonné un modèle économique tout de même hérité du fascisme mais l’a surtout démocratisé, amplifié, massifié bref, standardisé à toute l’Europe, devenant leader dans “l’innovation” libérale, aujourd’hui très décriée tant dans son impact écologique (raréfaction des sols) que par son traitement assez indigne de sa principale main d’oeuvre, à savoir les saisonniers, en particulier ceux qui viennent d’Afrique et qui sont payés une misère.
Le bilan n’est guère plus reluisant quand on s’intéresse au sujet strict des méga-bassines espagnoles: la demande est devenue trop forte, il n’y a pas assez d’eau disponible, soit parce qu’il n’y a pas assez de pluie (ce pourquoi on a mis en place ces retenues d’eau) soit parce qu’on a, afin de maintenir artificiellement des réserves, pompés directement de l’eau dans les cours d’eau et les nappes phréatiques. La conséquence est notamment visible sur le Tage, fleuve qui prend sa source en Espagne et qui se jette à Lisbonne, appauvrissant par voie de fait les réserves d’eau du Portugal… Comble de l’ironie, les sécheresses, parfois violentes, font évaporer l’eau dans ces retenues, limitant encore son accès.
Préserver le système ne sauvera pas la planète
Cette solution n’a rien d’écologique ni d’efficace. En fait, les méga-bassines semblent surtout répondre à une énième lubie dogmatique des capitaines d’industrie, encore et toujours convaincus que l’innovation pourrait sauver à la fois la croissance et la planète.
Mais dans la croissance, point de salut. En repoussant la transition agricole vers un modèle raisonné et soutenable, en bâtissant des méga-structures dont le seul effet bénéfique est celui de l’annonce, on précipite encore plus nos paysans vers une crise inévitable.