Guerre et Paix

Monsieur Macron devient un habitué des discours martiaux. Répétant six fois « Nous sommes en guerre » dans son discours annonçant le confinement le 16 mars dernier, le Président français a insisté le même soir sur « l’ennemi » et la « première ligne », appelant à la « mobilisation générale ». Un mois plus tôt, le 18 février 2020, il avait nommé « notre ennemi », « le séparatisme ». Une autre guerre dont « les actions s’intensifieront », a-t-il promis mardi 20 octobre, suite à l’assassinat de Samuel Paty, un événement qui ébranle l’ensemble des travailleurs de France et le corps enseignant en particulier.

Comme dans toute guerre, les morts s’accumulent. Des dizaines de milliers sur le front Covid-19, des centaines sur le front du terrorisme ces dernières années et – nous avons tendance à l’oublier – des dizaines sur le front militaire, notamment l’opération Barkhane au Sahel, durant laquelle quarante soldats français sont tombés. S’il n’est pas apparent de prime abord, le lien existe bien entre ces conflits, et il se révèle quand on déroule le fil des intérêts des différentes classes sociales composant et divisant notre nation.

Il s’agit de voir en quoi nos vies se trouvent peu à peu transformées par les mouvements sourds du pays, de la géopolitique mondiale jusqu’à la vie dans la cité et l’entreprise. Le XXIème siècle, advenu huit ans après la chute de l’Union soviétique, devait voir le triomphe de l’intérêt général par la somme des intérêts particuliers, dans une concurrence saine et non faussée, où chacun profiterait de l’égalité des chances. Les enfants de la classe ouvrière profiteraient des possibilités infinies du capitalisme, où il suffirait de vouloir pour pouvoir.

Vingt ans après, nous pouvons mesurer ce triomphe. Ce monde, avec le capital pour centre de gravité à la masse exponentielle, marche sur la tête. En Occident, où les aînés désormais n’ont pas subi de leurs vies de conflits militaires sur leurs sols nationaux, les jeunes générations désabusées ont intégré l’inversion de la roue de l’Histoire et digéré l’idée de vivre moins bien que leurs parents. Le bond en avant technologique apparaît incapable d’endiguer la disparition massive des espèces vivantes, l’extinction de l’Holocène. En somme, une entrée fracassante dans l’univers des possibles.

A l’heure où tout devient une course, quand l’urgence est invoquée chaque matin, la rapidité devient la qualité majeure pour juger la valeur de toute entreprise. La tête dans le guidon, chacun sprinte pour se sortir de l’enfer du présent, poursuivant le lièvre de la réussite, entretenant avec énergie ce qui précisément entraîne sa propre perte. Les conceptions de la réussite s’avèrent à géométrie variable selon les individus, mais les modèles dominants demeurent l’empereur et le martyr. Empereur d’une industrie, martyr d’une cause ; réussir ici-bas, être sauvé dans l’au-delà ; être couronné et vivre riche, servir d’exemple à suivre ; connaître le confort et l’opulence dans un monde déchiré, déchirer davantage le monde pour le marquer à jamais ; en tout cas, entrer dans la postérité.

L’idéologie dominante, capitaliste, s’immisce partout et par tous les moyens. Cette hiérarchie des idées domine à ce point qu’elle crée sans cesse de fausses issues, l’autre surgissant une fois l’une démasquée comme impasse ; qu’elle récupère les moyens de subversion alignés contre elle, et qu’elle corrompt les esprits les plus purs pour en faire des aspirants-empereurs, des aspirants-martyrs, tant elle est régie par la guerre permanente. Une guerre économique, politique, artistique, d’influence, la vitesse pour seule boussole, nous empêchant de prendre le recul nécessaire à l’étude, à l’analyse, à la science.

Vouloir c’est pouvoir, nous inculque-t-on. Mais sait-on bien ce que l’on veut, à court ou à long terme ? Nos choix ne sont-ils pas conditionnés par notre environnement, par notre vécu, par tout ce qui nous affecte ? Sans prise de conscience de ce qui nous entoure, on n’est voué qu’à suivre le mouvement, à subir les événements, à accompagner les changements extérieurs, tout en s’en croyant le protagoniste principal.

Savoir, c’est pouvoir. Sachons avec certitude ce qui compose l’arrière-plan de nos vies, de nos relations sociales, pour certaines égales et respectueuses, pour d’autres empreintes de la domination des donneurs d’ordres : l’actionnaire, le banquier, le propriétaire locatif ; et nous pourrons agir sur le cours des choses. Nous sommes en guerre, mais sommes-nous tous du même côté de la barricade ? Face aux grands bourgeois, parvenus et envieux du côté de l’ordre établi et de l’idéologie dominante, une grande partie des classes laborieuses continue à leur tenir tête et y parvient, pour que la coopération l’emporte sur la compétition – nous en sommes certes loin aujourd’hui.

La clé pour réussir, c’est de décélérer et de redevenir maître de son temps. Réussir est possible à une condition : ne pas réussir seul, mais réussir tous, le temps venu, en repoussant l’obscurantisme dans les poubelles de l’Histoire dont il n’aurait jamais du sortir, en repoussant les conservatismes et les forces d’inertie, en repoussant les logiques délétères de la guerre qui commandent, entre autres, les laboratoires pharmaceutiques dans la « course au vaccin » contre le Coronavirus, les fauteurs de « guerre civile » animés par la haine, les spéculations qui mettent à mort des entreprises, des usines et des commerces, enfin l’impérialisme militaire, financier, économique et commercial représenté avec zèle et fierté par monsieur Macron. A l’opposé, la paix ne sera possible qu’en prévoyant, en planifiant, en s’appropriant collectivement toute affaire d’intérêt public.

La guerre a ses règles, elle s’étend en même temps qu’enfle le capital et que progresse la tempête sanitaire, économique, sociale, culturelle et politique. Selon que vous serez puissant ou misérable, vous en serez le profiteur ou la victime. Les logiques de paix deviennent vertus révolutionnaires. Non la paix des exploiteurs qui ne repose que sur la guerre entre exploités, mais la paix universelle. Celle-ci a bien des ennemis qui sauront être plus rapides que nous ; la paix deviendra une force irrésistible lorsque les masses populaires s’en empareront, avec le calme et la quiétude de la victoire finale.

Benoit Delrue, le 24 octobre 2020

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