Sport et crise sanitaire : une situation sans précédent ?

Pour beaucoup, l’épidémie du coronavirus est une situation inédite dont nombre de secteurs sont victimes, en particulier celui du sport et a fortiori celui de haut niveau. Durant le confinement, deux cas de figure se sont posés: l’arrêt total du championnat, comme en France ou bien son report comme dans les “plus grands championnats” (Allemagne, Angleterre, Espagne et Italie). Depuis la deuxième vague, on assiste au maintien pur et simple des matches à huis-clos, dans un calendrier condensé et fustigé par la plupart des acteurs, dont Thomas Tuchel, actuel entraîneur du Paris-Saint-Germain (PSG) qui a déclaré le 30 octobre 2020 : “On va tuer les joueurs, on n’a pas de phase pour récupérer, pas suffisamment de temps pour préparer. Sans préparation, tout est fragile. Ce n’est pas une excuse, c’est la vérité”. Avant d’ajouter, “à chaque match on perd un joueur, et pas seulement nous, on peut regarder Liverpool (champion d’Angleterre, NDLR), le Bayern (de Munich, champion d’Allemagne et d’Europe), (Manchester) City, si on continue comme ça, il n’y aura plus de joueurs disponibles” (source: l’Équipe). 

Pour les esprits les plus érudits, le maintien coûte que coûte du sport à haut niveau en période de crise connaît des précédents. L’exemple des règnes de Marc-Aurèle et Commode à Rome, au deuxième siècle après Jésus-Christ, est sans doute le plus frappant. Les cinéphiles se rappelleront de Commode comme un “empereur gladiateur” (Cf: Eric Teyssier, historien de l’empire romain) et de son combat face au légionnaire Maximus dans le film Gladiator. Ce qu’il ne dit pas, c’est que Marc-Aurèle n’est pas mort assassiné par son fils, mais de la peste antonine, qui, comme son nom ne l’indique pas, n’est pas une épidémie de peste. Un témoin des faits, déclare même qu’on assiste à “la mort de 2000 Romains par jour” en 189-190. Alors que la peste sévit, jamais la maxime “du pain et des jeux” – surtout “des jeux” – n’a été autant appliquée, puisqu’Eric Teyssier, auteur de Commode, l’empereur gladiateur parle d’un “star-system sophistiqué”, rapprochant les élites avec le peuple autour d’une passion commune.

Commode, empereur gladiateur romain régnant de 180 à 192 ap. JC. Image libre de droit.

Cette période d’âge d’or de cette pratique sportive violente est aussi celle du début du déclin de l’empire Romain qui connaîtra, durant un siècle (selon Wikipedia, la peste dure de 165 à 240 et cause des millions de morts) une instabilité chronique. Par exemple, la durée des règnes des empereurs est en moyenne d’un an durant le IIIe siècle jusqu’à la prise de pouvoir de Dioclétien en 284. De plus, le spécialiste du règne de Marc-Aurèle, Benoit Rossignol rend compte en 2019 d’une crise économique profonde à partir de 165, plus ou moins corrélée à la peste mais surtout aux conséquences de celles-ci: la disette, “un choc malthusien” (à savoir une baisse du nombre de naissances), les persécutions de communautés, en particulier chrétiennes, alors qu’une série de législations impériales comme locales (par exemple la déclaration du Sénat d’Italica, actuellement à proximité de Séville en Espagne, en 176-178) facilitent et permettent le développement de la gladiature et ce à un prix abordable.

L’enjeu est de permettre aux créanciers qui investissent dans ce type de jeux de bénéficier de retombées juteuses tout en multipliant les combats menés autant par des esclaves que des hommes libres, voire par l’empereur Commode lui-même. Ainsi, on se bat pour toutes sortes d’occasions, lors de fêtes collectives comme pour des rites funéraires privés. Les gladiateurs sont autant admirés pour leur performance que décriés pour leur traitement jugé trop inéquitable vis-à-vis du citoyen lambda qui souffre des affres de la crise, de l’épidémie et de la guerre.

À l’heure des tribunes vides, des calendriers surchargés, des “mercatos” (marché des transferts) aux enjeux plus comptables que sportifs (cf: Romain Molina, Le deal de la honte (Pjanic-Arthur) et le cirque de la direction, Youtube, 3 juillet 2020), des droits de diffusion à la télévision revus à la baisse (cf: RONDEAU P., “Mediapro : chronique d’une chute annoncée”, Sofoot, 12 octobre 2020, en ligne), la leçon que nous donne l’Histoire est univoque: en période de crise, les dominants cherchent à n’importe quel prix à maintenir un système décadent sur le dos de la classe laborieuse qui elle souffre des persécutions et de la guerre. Le sport professionnel en est le symbole le plus équivoque alors que la situation des clubs amateurs, là où vont les travailleurs, est source d’inquiétude, à l’image de la crise dont ils sont les victimes.

Adam Fourage, le 14 novembre 2020

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