Auto-confinement : l’apogée d’un État qui n’assume plus rien

Si vous le pouvez, auto-confinez-vous huit jours avant Noël” a déclaré le Premier ministre Jean Castex, hier mardi 15 décembre au micro d’Europe 1. Cette injonction s’avère être l’ultime symbole d’un État qui se défausse de tout, renvoyant systématiquement la responsabilité au gouverné pour mieux dissimuler les manquements graves des gouvernants.

Responsabilités individuelles

Depuis le déconfinement du printemps dernier, orchestré par le même monsieur Castex, la ligne directrice du gouvernement comme du Président Macron est de faire porter la responsabilité aux citoyens.

Responsabilité d’une amélioration de la situation sanitaire, responsabilité d’un système de santé dépassé par l’afflux de patients, responsabilité d’un regain de l’épidémie de Covid-19 : toutes incomberaient aux modestes travailleurs de France, écartés pourtant des responsabilités, entendues communément comme la direction politique ou économique du pays.

Scolarisation non-obligatoire

C’est bien pour s’épargner des décisions collectives, impopulaires mais indispensables, que le gouvernement renvoie ainsi la responsabilité de la situation sanitaire aux administrés. Alors que la quasi-totalité des grandes nations européennes, américaines et asiatiques mettent en place un nouveau confinement pour diminuer les risques de la circulation du virus lors des fêtes de fin d’année, Jean Castex et les ministres macronistes laissent toute latitude aux ménages et, notamment, aux familles en ce qui concerne la scolarisation des élèves des premier et second degrés. Scolarisation qui perd exceptionnellement son caractère obligatoire à partir du jeudi 17 décembre, à l’encontre de tous les discours de messieurs Macron et Blanquer sur la priorité donnée à l’Éducation nationale.

La même carte que les assurances privées

C’est également pour s’éviter de rendre des comptes que les ministres et le Président de la République se défaussent de leurs responsabilités, refusant de laisser vivre un débat public, censé caractériser une démocratie parlementaire, qui aboutirait à des décisions collectives desquelles l’État doit répondre.

Ce dernier, gouverné à moitié par des hauts fonctionnaires, à moitié par l’exécutif qui a réduit l’Assemblée nationale au rang de chambre d’enregistrement, joue à peu près la même carte que les assurances privées, en renvoyant la mutualisation des prises de décision et des risques qui en résultent au comportement individuel de chacun, assuré ou gouverné, anéantissant de ce fait et d’un même coup l’égalité devant la loi et le filet de sécurité protégeant les plus exploités et les plus endettés.

Rupture d’égalité

Il est bien question, derrière cette affaire de responsabilité individuelle pesant sur les épaules et la conscience de chacun, d’une – énième – rupture d’égalité entre les citoyens. Reprenons l’exemple de l’obligation de scolarité levée à partir du 17 décembre : les élèves dont les parents télétravaillent, parce qu’ils occupent un poste d’encadrement plutôt que d’exécutant, pourront rester chez eux tandis que ceux dont les parents sont contraints de se rendre en personne sur leurs lieux de travail n’auront pas cette possibilité.

Nous n’évoquerons même pas, si ce n’est en une phrase, la situation de ménages suffisamment riches pour disposer d’employés de maison, tuteurs, servantes et servants divers et variés ou pour disposer d’une résidence secondaire, loin de la densité de population des grandes villes et accompagnée d’un jardin, voire d’un domaine.

Contrôles et travail

Il en va de même en ce qui concerne les contrôles policiers : par grève du zèle ou sur ordre de la hiérarchie, la seconde option étant la plus probable, les fonctionnaires n’ont procédé pratiquement à aucune vérification des attestations lors du confinement d’automne. Les contrôles, au faciès ou à l’allure, se sont poursuivis vis-à-vis des plus pauvres, dont le défaut d’attestation leur vaudra à coup sûr une amende de 135 euros quand une personne présentant bien, qui “en impose” par sa démarche, ses vêtements ou son véhicule, ne risque souvent rien de plus qu’un rappel à la loi.

Au travail, enfin, quand la présence physique dans l’entreprise est exigée prioritairement des personnes occupant des postes d’exécutants, s’auto-confiner n’est pas possible pour tous. Pourtant, les “clusters” ou foyers épidémiques se concentrent là où les employés se côtoient, par exemple dans les abattoirs qui disposent de vestiaires collectifs. Ce sont les plus exposés au risque de contamination qui peuvent le moins se soustraire à la présence sur le lieu de travail, et qui de surcroît, abîmés par une vie d’exploitation et d’aliénation, de répétitions des mêmes gestes seconde après seconde des heures durant, risquent de contracter une forme sévère de Covid-19 et de se retrouver à l’hôpital.

Une trouvaille presque géniale

En refusant d’édicter des règles communes à tous les citoyens, en renvoyant toute responsabilité à l’individu plutôt qu’à la communauté nationale et ses représentants, le gouvernement renforce plus que jamais les inégalités économiques et sociales. Comme l’attestent les études statistiques, le coronavirus est un virus de classe, qui frappe plus nombreux et plus violemment les pauvres, les exploités, bien moins protégés face à la maladie que ne le sont les riches et les exploiteurs.

L’auto-confinement, dernière trouvaille du gouvernement, tellement vide de sens qu’elle en serait géniale si la situation n’était pas si grave, est le signe d’une faiblesse infinie de messieurs Macron, Castex et leurs ministres, d’une défaillance grave au sommet de l’État et d’une incapacité complète, chez eux, à se détacher d’un ultra-libéralisme qui laisse tous pouvoirs aux marchés et à leurs acteurs dominants, faisant de la santé des citoyens un objet de spéculation où se conjuguent tragiquement les pertes et profits.

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