Loi sur la Sécurité Globale : le perfide cadeau de la Macronie pour l’anniversaire des Gilets Jaunes

Ces dernières semaines, la polémique enfle dans les milieux médiatique, artistique et citoyen contre la proposition de loi de la majorité LREM relative à “la sécurité globale”, qui est examinée à partir d’aujourd’hui mardi 17 novembre, et jusqu’à vendredi inclus, à l’Assemblée nationale. Mais sous cette désignation positive (qui pourrait décemment s’opposer à la sécurité de ses concitoyens ?), se cache pourtant une atteinte supplémentaire aux droits fondamentaux et à la démocratie. Car si cette loi protège belle et bien, il n’est pas dit que ce sont les citoyens qui en bénéficieront. 

Aux origines d’une loi liberticide

Le 14 janvier 2020, les députés de la majorité LREM-Agir Alice Thourot (députée de la Drôme) et Jean-Michel Fauvergue (député de Seine-et-Marne et accessoirement ancien patron du RAID) enregistrent auprès de la Présidence de l’Assemblée nationale une proposition de loi relative à “la Sécurité Globale”. Cette proposition de loi s’axe, à l’origine, autour des questions de sécurités privées et sur la police municipale. 

Bien vite, cette énième proposition sécuritaire est “complétée” à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui souhaite en faire un outil pour “protéger ceux qui nous protègent“. 

Cette méthode, déjà surprenante, peut (à juste titre) déclencher la méfiance des observateurs. 

En effet, ce choix de la part de l’exécutif de passer par la modification d’un texte déjà déposé par les députés (d’autant plus pour intégrer des dispositions relatives aux liberté publiques ou qui donnent plus de pouvoir aux forces de polices) pourrait être perçu comme une manière pour lui de contourner le Conseil d’État, ce dernier pouvant examiner les projet de loi du gouvernement  mais pas les initiatives individuelles des députés. De fait, par ce passage en force, l’exécutif s’évite d’interminables examens du Conseil d’État (et notamment ses études d’impact). 

Des articles polémiques remettant en cause les libertés fondamentales

Il faut dire que nombre des articles de cette loi font l’unanimité contre eux. On peut par exemple citer l’article 21, qui dispose que les images des caméras-piétons portées par les policiers seront “transmises en direct au poste de commandement”, les personnels accéder directement à leurs enregistrements et les images utilisées pour “l’information du public sur les circonstances de l’intervention”. Avec l’Article 24 de cette même loi, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende toute personne qui diffuse le visage d’un fonctionnaire de police ou de la gendarmerie en exercice “dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique” (un concept des plus flous d’un point de vue juridique), cette loi donne à la police l’occasion d’imposer ses images et sa communication, empêchant les journalistes, militants ou simples badauds de diffuser (et donc de dénoncer) les abus des policiers lors de manifestations ou d’interventions, en criminalisant notamment ceux qui pourraient s’émouvoir de bavures, offrant, de fait, un blanc-seing aux forces de l’ordre dans leurs méthodes. 

En effet, sans ce travail citoyen et journalistique, des affaires comme la mort de Cédric Chouviat (mort le 3 janvier 2020 lors de son interpellation), l’affaire Benalla (où ce dernier, habillé en policier et entouré de fonctionnaires avait violenté des manifestants), et plus globalement toute les affaires de violences policières de ces dernières années (l’affaire Geneviève Legay, les violence du Burger King de l’Acte III des Gilets Jaunes en 2018…) n’auraient jamais pu sortir au grand jour, et, pire, ceux les ayant dénoncés auraient été criminalisés.

Ainsi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, s’inquiète “des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information“. Le Syndicat de la Magistrature considère que ce texte “n’a rien à envier aux meilleures dystopies” ; quant aux associations,  Amnesty clame que cette loi “constituerait une grave atteinte au droit à l’information, au respect de la vie privée, et à la liberté de réunion” tandis que la Ligue des Droits de l’Homme, elle, considère que “les risques sont considérables” et perçoit cette loi comme “liberticide” et  menaçant “gravement les principes fondamentaux de notre démocratie et l’État de droit“. 

Jean Castex, apprenant que la France a des obligations vis à vis des droits de l’Homme

Car d’un point de vue démocratique, cette loi, non content d’’étendre aux polices municipales des compétences de la police nationale (permettant notamment aux policiers municipaux de porter leur arme de service en dehors des heures de service et dans les lieux publics) va encore plus loin dans la surenchère sécuritaire, en prévoyant notamment d’instaurer une surveillance généralisée de l’espace public, en autorisant l’État à utiliser des drones avec caméras. 

Cette méthode, permettrait ainsi, selon l’article 22, de surveiller à peu près tous les pans de la vie sociale en France, de la surveillance des manifestations à la régulation des flux de transport, de la préventions des actes terroristes à la surveillance des littoraux, en passant également par la  protection des bâtiments et installations publics et la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale . 

Cette généralisation des systèmes de surveillance dans l’espace public pose de nombreuses questions de libertés individuelles. En effet, l’usage de systèmes de reconnaissance faciale, ainsi que la possibilité pour les policiers d’utiliser de manière “immédiate des images des caméras mobiles, portées par les policiers et [d’avoir] leur analyse automatisée pour reconnaître en temps réel l’identité de tous les manifestants” pose question dans un Etat se voulant démocratique. 

Le citoyen, militant engagé ou non, sera désormais muselé (interdiction de filmer ou diffuser des images des policiers, gendarmes ou militaires en action dans les lieux publics), surveillé (par drones) et fiché (par reconnaissance faciale), quand la police, elle, deviendra, de fait, plus difficilement attaquable juridiquement, car omniprésente et sans visage. 

En résumé, on se trouve face à un texte offrant un pouvoir immense à l’exécutif, tout en réduisant drastiquement les recours des citoyens face aux abus de pouvoir. Un sens du “en-même temps” qui n’est pas au goût de tout le monde, les associations (Amnesty International, la Ligue des Droits de l’Homme, la Quadrature du Net…), les syndicats (le Syndicat de la Magistrature, les principaux syndicats de journalistes et documentaristes) et les partis politiques (la France Insoumise, le PCF et même EELV) étant vent debout contre cette loi. 

Malgré cet élan populaire, il n’est pas certain que la majorité recule sur cette question. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a clairement fait comprendre sa volonté de durcir le texte, en interdisant tout court, sauf floutage, la diffusion d’images de policiers, et non plus seulement lors d’interventions.

Alexandre Bougreau, le 17 novembre 2020

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